Listento Aimer à perdre la raison on the French music album Les plus beaux slows des Antilles (Vol. 6) by Guy Newton, only on JioSaavn. Play online or download to listen offline free - in HD audio, only on JioSaavn.
Pauvreintonation est la raison la plus commune pour la modification de votre selle. Accordez votre guitare pour un concert en utilisant un accordeur de guitare. Jouer la corde de Mi bas ouverte et vérifier le terrain sur le tuner. Jouer la même chaîne à une octave supérieure à la 12ème frette et vérifier de nouveau le tuner. Si votre guitare a l'intonation
albummp3. 2.97€. 01 - You Will Be Found (Dear Evan Hansen) 0.99€. 02 - The Greatest Show (Medley) 0.99€. 03 - True Colors (Cyndi Lauper) 0.99€.
Vay Tiền Nhanh Ggads. Instrument Batterie Difficulté Débutant Accompagnement Batterie avec accomp. orchestre Ajouter à ma liste de souhaits Ajouté à ma liste de souhaits Informations sur le produit Détails de la partition Autres arrangements de ce morceau Avis Compositeur Jean Ferrat Titre des chansons Aimer à perdre la raison niveau débutant Instrument Batterie Difficulté Débutant Accompagnement Batterie avec accomp. orchestre Style de musique Variété française Durée Prix Jouez gratuitement avec l’essai gratuit de 14 jours ou € Evaluation Voir tous les avis Autres fonctionnalités interactives Batterie visuelle Informations à propos d'une pièce Arrangement Avec voix optionnelle en multi-track Crédits © 2020 Tombooks Audio playback license courtesy of Tency Music SAS Pas encore de commentaire! Veuillez vous connecter à votre compte pour écrire un avis. Vous ne pouvez évaluer que les morceaux que vous avez achetés ou joués en tant qu'abonné. score_1060862 EUR
Beaumarchais Théâtre L'Autre Tartuffe ou la mère coupable Un mot sur La Mère coupable Pendant ma longue proscription, quelques amis zélés avaient imprimé cette pièce, uniquement pour prévenir l'abus d'une contrefaçon infidèle, furtive, et prise à la volée pendant les représentations. Mais ces amis eux-mêmes, pour éviter d'être froissés par les agents de la Terreur, s'ils eussent laissé leurs vrais titres aux personnages espagnols car alors tout était péril, se crurent obligés de les défigurer, d'altérer même leur langage, et de mutiler plusieurs scènes. Honorablement rappelé dans ma patrie après quatre années d'infortune, et la pièce étant désirée par les anciens acteurs du Théâtre français, dont on connaÃt les grands talents, je la restitue en entier dans son premier état. Cette édition est celle que j'avoue. Parmi les vues de ces artistes, j'approuve celle de présenter en trois séances consécutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premières époques ne semblent pas, dans leur gaieté légère, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralité de la dernière; mais elles ont, dans le plan de l'auteur, une connexion intime, propre à verser le plus vif intérêt sur les représentations de La Mère coupable. J'ai donc pensé, avec les comédiens, que nous pouvions dire au public Après avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de Séville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est à peu près celle de tous les hommes. Après avoir, le second jour, gaiement considéré, dans La Folle Journée, les fautes de son âge viril, et qui sont trop souvent les nôtres. Par le tableau de sa vieillesse, et voyant La Mère coupable, venez vous convaincre avec nous que tout homme qui n'est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon quand l'âge des passions s'éloigne, et surtout quand il a goûté le bonheur si doux d'être père! C'est le but moral de la pièce. Elle en renferme plusieurs autres que ces détails feront ressortir. Et moi, l'auteur, j'ajoute ici Venez juger La Mère coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir à mêler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunée; si ses pleurs commandent les vôtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au théâtre, sur des maux simulés, qui ne font pas le mal de la réalité cruelle, sont bien douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon après la compassion! Auprès de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille, ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de Molière était celui de la religion aussi, de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbécile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probité, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entière qu'il dépouille. C'est celui-là qu'il fallait démasquer. C'est pour vous garantir des pièges de ces monstres et il en existe partout, que j'ai traduit sévèrement celui-ci sur la scène française. Pardonnez-le-moi en faveur de sa punition, qui fait la clôture de la pièce. Ce cinquième acte m'a coûté; mais je me serais cru plus méchant que Bégearss, si je l'avais laissé jouir du moindre fruit de ses atrocités, si je ne vous eusse calmés après des alarmes si vives. Peut-être ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait être écrit dans la force de l'âge. Il m'a tourmenté bien longtemps! Mes deux comédies espagnoles ne furent faites que pour le préparer. Depuis, en vieillissant, j'hésitais de m'en occuper je craignais de, manquer de force; et peut-être n'en ai-je plus à l'époque où je l'ai tenté; mais enfin, je l'ai composé dans une intention droite et pure avec la tête froide d'un homme et le coeur brûlant d'une femme, comme on l'a pensé de Rousseau. J'ai remarqué que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit. Au reste, sans tenir à nul parti, à nulle secte, La Mère coupable est un tableau des peines intérieures qui divisent bien des familles peines auxquelles malheureusement le divorce, très bon d'ailleurs, ne remédie point. Quoi qu'on fasse, ces plaies secrètes, il les déchire au lieu de les cicatriser. Le sentiment de la paternité, la bonté du coeur, l'indulgence en sont les uniques remèdes. Voilà ce que j'ai voulu peindre et graver dans tous les esprits. Les hommes de lettres qui se sont voués au théâtre, en examinant cette pièce, pourront y démêler une intrigue de comédie, fondue dans le pathétique d'un drame. Ce dernier genre, trop dédaigné de quelques juges prévenus, ne leur paraissait pas de force à comporter ces deux éléments réunis. L'intrigue, disaient-ils, est le propre des sujets gais, c'est le nerf de la comédie; on adapte le pathétique à la marche simple du drame pour en soutenir la faiblesse. Mais ces principes hasardés s'évanouissent à l'application, comme on peut s'en convaincre en s'exerçant dans les deux genres. L'exécution, plus ou moins bonne, assigne à chacun son mérite; et le mélange heureux de ces deux moyens dramatiques, employés avec art, peut produire un très grand effet. Voici comment je l'ai tenté. Sur des événements antécédents connus et c'est un fort grand avantage, j'ai fait en sorte qu'un drame intéressant existât aujourd'hui entre le Comte Almaviva, la Comtesse et les deux enfants. Si j'avais reporté la pièce à l'âge inconsistant où les fautes se sont commises, voici ce qui fût arrivé. D'abord le drame eût dû s'appeler, non La Mère coupable, mais L'Epouse infidèle, ou Les Epoux coupables. Ce n'était déjà plus le même genre d'intérêt; il eût fallu y faire entrer des intrigues d'amour, des jalousies, du désordre, que sais-je? de tout autres événements et la moralité que je voulais faire sortir d'un manquement si grave aux devoirs de l'épouse honnête, cette moralité, perdue, enveloppée dans les fougues de l'âge, n'aurait pas été aperçue. Mais c'est vingt ans après que les fautes sont consommées, quand les passions sont usées, que leurs objets n'existent plus, que les conséquences d'un désordre presque oublié viennent peser sur l'établissement et sur le sort de deux enfants malheureux qui les ont toutes ignorées, et qui n'en sont pas moins les victimes. C'est de ces circonstances graves que la moralité tire toute sa force, et devient le préservatif des jeunes personnes bien nées qui, lisant peu dans l'avenir, sont beaucoup plus près du danger de se voir égarées, que de celui d'être vicieuses. Voilà sur quoi porte mon drame. Puis, opposant au scélérat notre pénétrant Figaro, vieux serviteur très attaché, le seul être que le fripon n'a pu tromper dans la maison, l'intrigue qui se noue entre eux s'établit sous cet autre aspect. Le scélérat inquiet se dit "En vain j'ai le secret de tout le monde ici, en vain je me vois près de le tourner à mon profit; si je ne parviens pas à faire chasser ce valet, il pourra m'arriver malheur." D'autre côté, j'entends le Figaro se dire "Si je ne réussis à dépister ce monstre, à lui faire tomber le masque, la fortune, l'honneur, le bonheur de cette maison, tout est perdu." La Suzanne, jetée entre ces deux lutteurs, n'est ici qu'un souple instrument, dont chacun entend se servir pour hâter la chute de l'autre. Ainsi, la comédie d'intrigue, soutenant la curiosité, marche tout au travers du drame, dont elle renforce l'action, sans en diviser l'intérêt, qui se porte tout entier sur la mère. Les deux enfants, aux yeux du spectateur, ne courent aucun danger réel. On voit bien qu'ils s'épouseront si le scélérat est chassé, car ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage, c'est qu'ils ne sont parents à nul degré, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre ce que savent fort bien, dans le secret du coeur, le Comte, la Comtesse, le scélérat, Suzanne et Figaro, tous instruits des événements; sans compter le public qui assiste à la pièce, et à qui nous n'avons rien caché. Tout l'art de l'hypocrite, en déchirant le coeur du père et de la mère, consiste à effrayer les jeunes gens, à les arracher l'un à l'autre, en leur faisant croire à chacun qu'ils sont enfants du même père; c'est là le fond de son intrigue. Ainsi marche le double plan, que l'on peut appeler complexe. Une telle action dramatique peut s'appliquer à tous les temps, à tous les lieux où les grands traits de la nature, et tous ceux qui caractérisent le coeur de l'homme et ses secrets ne seront pas trop méconnus. Diderot, comparant les ouvrages de Richardson avec tous ces romans que nous nommons l'histoire, s'écrie, dans son enthousiasme pour cet auteur juste et profond "Peintre du coeur humain! c'est toi seul qui ne mens jamais!" Quel mot sublime! Et moi aussi j'essaye encore d'être peintre du coeur humain mais ma palette est desséchée par l'âge et les contradictions. La Mère coupable a dû s'en ressentir! Que si ma faible exécution nuit à l'intérêt de mon plan, le principe que j'ai posé n'en a pas moins toute sa justesse. Un tel essai peut inspirer le dessein d'en offrir de plus fortement concertés. Qu'un homme de feu l'entreprenne, y mêlant, d'un crayon hardi, l'intrigue avec le pathétique, qu'il broie et fonde savamment les vives couleurs de chacun, qu'il nous peigne à grands traits l'homme vivant en société, son état, ses passions, ses vices, ses vertus, ses fautes et ses malheurs, avec la vérité frappante que l'exagération même, qui fait briller les autres genres, ne permet pas toujours de rendre aussi fidèlement touchés, intéressés, instruits, nous ne dirons plus que le drame est un genre décoloré, né de l'impuissance de produire une tragédie ou une comédie. L'art aura pris un noble essor; il aura fait encore un pas. O mes concitoyens! vous à qui j'offre cet essai; s'il vous paraÃt faible ou manqué, critiquez-le, mais sans m'injurier. Lorsque je fis mes autres pièces, on m'outragea longtemps, pour avoir osé mettre au théâtre ce jeune Figaro, que vous avez aimé depuis. J'étais jeune aussi, j'en riais. En vieillissant, l'esprit s'attriste, le caractère se rembrunit. J'ai beau faire, je ne ris plus quand un méchant ou un fripon insulte à ma personne, à l'occasion de mes ouvrages on n'est pas maÃtre de cela. Critiquez la pièce fort bien. Si l'auteur est trop vieux pour en tirer du fruit, votre leçon peut profiter à d'autres. L'injure ne profite à personne, et même elle n'est pas de bon goût. On peut offrir cette remarque à une nation renommée par son ancienne politesse, qui la faisait servir de modèle en ce point, comme elle est encore aujourd'hui celui de la haute vaillance. Personnages Le Comte Almaviva, grand seigneur espagnol, d'une fierté noble, et sans orgueil. La Comtesse Almaviva, très malheureuse, et d'une angélique piété. Le Chevalier Léon, leur fils, jeune homme épris de la liberté, comme toutes les âmes ardentes et neuves. Florestine, pupille et filleule du Comte Almaviva, jeune personne d'une grande sensibilité. M. Bégearss, Irlandais, major d'infanterie espagnole, ancien secrétaire des ambassades du Comte; homme très profond, et grand machinateur d'intrigues, fomentant le trouble avec art. Figaro, valet de chambre, chirurgien et homme de confiance du Comte; homme formé par l'expérience du monde et des événements. Suzanne, première camariste de la Comtesse, épouse de Figaro; excellente femme, attachée à sa maÃtresse, et revenue des illusions du jeune âge. M. Fal, notaire du Comte, homme exact et très honnête. Guillaume, valet allemand de M. Bégearss, homme trop simple pour un tel maÃtre. La scène est à Paris, dans l'hôtel occupé par la famille du Comte, et se passe à la fin de 1790. L'autre Tartuffe ou La Mère coupable Acte Premier Le théâtre représente un salon fort orné. Scène I Suzanne, seule, tenant des fleurs obscures dont elle fait un bouquet. Que madame s'éveille et sonne; mon triste ouvrage est achevé. Elle s'assied avec abandon. A peine il est neuf heures, et je me sens déjà d'une fatigue... Son dernier ordre, en la couchant, m'a gâté ma nuit tout entière... Demain, Suzanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets. - Au portier Que, de la journée, il n'entre personne pour moi. - Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncé, un seul oeillet blanc au milieu... Le voilà . - Pauvre maÃtresse! Elle pleurait!... Pour qui ce mélange d'apprêts?... Eeeh! si nous étions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fête de son fils Léon... avec mystère et d'un autre homme qui n'est plus! Elle regarde les fleurs. Les couleurs du sang et du deuil! Elle soupire. Ce coeur blessé ne guérira jamais! - Attachons-le d'un crêpe noir, puisque c'est là sa triste fantaisie. Elle attache le bouquet. Scène II Suzanne, Figaro, regardant avec mystère. Cette scène doit marcher chaudement. Suzanne Entre donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme! Figaro Peut-on vous parler librement? Suzanne Oui, si la porte reste ouverte. Figaro Et pourquoi cette précaution? Suzanne C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment à l'autre. Figaro, appuyant. Honoré Tartuffe Bégearss? Suzanne Et c'est un rendez-vous donné. - Ne t'accoutume donc pas à charger son nom d'épithètes; cela peut se redire et nuire à tes projets. Figaro Il s'appelle Honoré! Suzanne Mais non pas Tartuffe. Figaro Morbleu! Suzanne Tu as le ton bien soucieux! Figaro Furieux. Elle se lève. Est-ce là notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, à prévenir un grand désordre? Serais-tu dupe encore de ce très méchant homme? Suzanne Non; mais je crois qu'il se méfie de moi il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vérité, qu'il ne nous croie raccommodés. Figaro Feignons toujours d'être brouillés. Suzanne Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur? Figaro Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes à Paris, et que M. Almaviva... Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur.... Suzanne, avec humeur. C'est beau! et madame sort sans livrée! Nous avons l'air de tout le monde! Figaro Depuis, dis-je, qu'il a perdu, pour une querelle de jeu, son libertin de fils aÃné, tu sais comment tout a changé pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible! Suzanne Tu n'es pas mal bourru non plus! Figaro Comme son autre fils paraÃt lui devenir odieux! Suzanne Que trop! Figaro Comme madame est malheureuse! Suzanne C'est un grand crime qu'il commet! Figaro Comme il redouble de tendresse pour sa pupille Florestine! comme il fait surtout des efforts pour dénaturer sa fortune! Suzanne Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences à radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire? Figaro Encore faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avéré pour nous que cet astucieux Irlandais, le fléau de cette famille, après avoir chiffré, comme secrétaire, quelques ambassades auprès du Comte, s'est emparé de leurs secrets à tous? Que ce profond machinateur a su les entraÃner de l'indolente Espagne en ce pays, remué de fond en comble, espérant y mieux profiter de la désunion où ils vivent pour séparer le mari de la femme, épouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se délabre? Suzanne Enfin, moi! que puis-je à cela? Figaro Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses démarches. Suzanne Mais je te rends tout ce qu'il dit. Figaro Oh! ce qu'il dit... n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui échappent, le moindre geste, un mouvement; c'est là qu'est le secret de l'âme! Il se trame ici quelque horreur. Il faut qu'il s'en croie assuré; car je lui trouve un air... plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succès. Ne peux-tu être aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoi qu'il demande, ne pas le refuser? Suzanne C'est beaucoup! Figaro Tout est bien, et tout marche au but, si j'en suis promptement instruit. Suzanne ... Et si j'en instruis ma maÃtresse? Figaro Il n'est pas temps encore ils sont tous subjugués par lui. On ne te croirait pas tu nous perdrais sans les sauver. Suis-le partout, comme son ombre... et moi, je l'épie au-dehors... Suzanne Mon ami, je t'ai dit qu'il se défie de moi; et s'il nous surprenait ensemble... Le voilà qui descend... Ferme! ayons ait de quereller bien fort. Elle pose le bouquet sur la table. Figaro, élevant la voix. Moi, je ne le veux pas! Que je t'y prenne une autre fois!... Suzanne, élevant la voix. Certes! oui, je te crains beaucoup! Figaro, feignant de lui donner un soufflet. Ah! tu me crains!... Tiens, insolente! Suzanne, feignant de l'avoir reçu. Des coups à moi... chez ma maÃtresse! Scène III Le Major Bégearss, Figaro, Suzanne. Bégearss en uniforme, un crêpe noir au bras. Eh! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi... Figaro, à part. Depuis une heure! Bégearss Je sors, je trouve une femme éplorée... Suzanne, feignant de pleurer. Le malheureux lève la main sur moi! Bégearss Ah! l'horreur, monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappé une personne de l'autre sexe? Figaro, brusquement. Eh morbleu! monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe elle est ma femme, une insolente qui se mêle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigéner... Bégearss Est-on brutal à cet excès? Figaro Monsieur, si je prends un arbitre de mes procédés envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi! Bégearss Vous me manquez, monsieur; je vais m'en plaindre à votre maÃtre. Figaro, raillant. Vous manquer! moi? c'est impossible. Il sort. Scène IV Bégearss, Suzanne. Bégearss Mon enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement? Suzanne Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me défendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est échauffée; elle a fini par un soufflet... Voilà le premier de sa vie; mais moi, je veux me séparer. Vous l'avez vu... Bégearss Laissons cela. - Quelque léger nuage altérait ma confiance en toi; mais ce débat l'a dissipé. Suzanne Sont-ce là vos consolations? Bégearss Va, c'est moi qui t'en vengerai! il est bien temps que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Suzanne! Pour commencer, apprends un grand secret... Mais sommes-nous bien sûrs que la porte est fermée? Suzanne y va voir. - Il dit à part Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'écrin au double fond que j'ai fait faire à la Comtesse, où sont ces importantes lettres... Suzanne, revient. Eh bien! ce grand secret? Bégearss Sers ton ami; ton sort devient superbe. - J'épouse Florestine; c'est un point arrêté; son père le veut absolument. Suzanne Qui, son père? Bégearss, en riant. Eh, d'où sors-tu donc? Règle certaine, mon enfant lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un comme pupille ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. D'un ton sérieux. Bref, je puis l'épouser... si tu me la rends favorable. Suzanne Oh! mais Léon en est très amoureux. Bégearss Leur fils? Froidement. Je l'en détacherai. Suzanne, étonnée. Ha!... Elle aussi, elle est fort éprise! Bégearss De lui? Suzanne Bégearss, froidement. Je l'en guérirai. Suzanne, plus surprise. Ha! ha!... Madame, qui le sait, donne les mains à leur union. Bégearss, froidement. Nous la ferons changer d'avis. Suzanne, stupéfaite. Aussi?... Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme. Bégearss C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en être délivrée? Suzanne S'il ne lui arrive aucun mal... Bégearss Fi donc! la seule idée flétrit l'austère probité. Mieux instruits sur leurs intérêts, ce sont eux-mêmes qui changeront d'avis. Suzanne, incrédule. Si vous faites cela, monsieur... Bégearss, appuyant. Je le ferai. - Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. L'air caressant. Je n'ai jamais vraiment aimé que toi. Suzanne, incrédule. Ah? si madame avait voulu... Bégearss Je l'aurais consolée sans doute; mais elle a dédaigné mes voeux!... Suivant le plan que le Comte a formé, la Comtesse va au couvent. Suzanne, vivement. Je ne me prête à rien contre elle. Bégearss Que diable! il la sert dans ses goûts! je t'entends toujours dire Ah! C'est un ange sur la terre! Suzanne, en colère. Eh bien! faut-il la tourmenter? Bégearss, riant. Non; mais du moins la rapprocher de ce ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombée!... Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est établi... Suzanne, vivement. Le Comte veut s'en séparer? Bégearss S'il peut. Suzanne, en colère. Ah! les scélérats d'hommes! quand on les étranglerait tous!... Bégearss, riant. J'aime à croire que tu m'en exceptes? Suzanne Ma foi!... pas trop. Bégearss, riant. J'adore ta franche colère elle met à jour ton bon coeur! Quant à l'amoureux chevalier, il le destine à voyager... longtemps. - Le Figaro, homme expérimenté,. sera son discret conducteur. Il lui prend la main. Et voici ce qui nous concerne. Le Comte, Florestine et moi, habiterons le même hôtel; et la chère Suzanne à nous, chargée de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticité, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur; des jours filés d'or et de soie, et la vie la plus fortunée!... Suzanne A vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprès de Florestine? Bégearss, caressant. A dire vrai, j'ai compté sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. Vivement. Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalé... Suzanne l'examine. Bégearss se reprend. Je dis un signalé, par l'importance qu'il y met. Froidement. Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie... de donner à sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamants de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sût. Suzanne, surprise. Ha! ha! Bégearss Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamants terminent bien des choses! Peut-être il va te demander d'apporter l'écrin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier. Suzanne Pourquoi comme ceux de madame? C'est une idée assez bizarre! Bégearss Il prétend qu'ils soient aussi beaux... Tu sens, pour moi, combien c'était égal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient. Scène V Le Comte, Suzanne, Bégearss. Le Comte Monsieur Bégearss; je vous cherchais. Bégearss Avant d'entrer chez vous, monsieur, je venais prévenir Suzanne que vous avez dessein de lui demander cet écrin... Suzanne Au moins, Monseigneur, vous sentez... Le Comte Eh! laisse là ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonné, en passant dans ce pays-ci?... Suzanne Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit. Le Comte C'est que tu t'entends mieux en vanité qu'en vraie fierté. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les préjugés. Suzanne Eh bien! monsieur, du moins vous me donnez votre parole... Le Comte, fièrement. Depuis quand suis-je méconnu? Suzanne Je vais donc vous l'aller chercher. A part. Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!... Scène VI Le Comte, Bégearss. Le Comte J'ai tranché sur le point qui paraissait l'inquiéter. Bégearss Il en est un, monsieur, qui m'inquiète beaucoup plus; je vous trouve un air accablé... Le Comte Te le dirai-je, ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable. Bégearss Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier là -dessus, je vous dirais que votre second fils... Le Comte, vivement. Mon second fils! je n'en ai point! Bégearss Calmez-vous, monsieur;. raisonnons. La perte d'un enfant chéri peut vous rendre injuste envers l'autre, envers votre épouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits? Le Comte Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. Tant que mon pauvre fils vécut, j'y mettais fort eu d'importance. Héritier de mon nom, de mes places, de ma fortune... que me faisait cet autre individu? Mon froid dédain, un nom de terre, une croix de Malte, une pension m'auraient vengé de sa mère et de lui! Mais conçois-tu mon désespoir, en perdant un fils adoré, de voir un étranger succéder à ce rang, à ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son père? Bégearss Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant à vous apaiser; mais la vertu de votre épouse... Le Comte, avec colère. Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-là ! Commander vingt ans, par ses moeurs, et la piété la plus sévère, l'estime et le respect du monde, et verser sur moi seul, par cette conduite affectée, tous les torts qu'entraÃne après soi ma prétendue bizarrerie!... Ma haine pour eux s'en augmente. Bégearss Que vouliez-vous donc qu'elle fÃt, même en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt années ne doive effacer à la fin? Fûtes-vous sans reproche vous-même? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus près... Le Comte Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dénaturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. Déjà trois millions d'or, arrivés de la Vera-Cruz, vont lui servir de dot; et c'est à toi que je les donne. Aide-moi seulement à jeter sur ce don un voile impénétrable. En acceptant mon portefeuille et te présentant comme époux, suppose un héritage, un legs de quelque parent éloigné. Bégearss montrant le crêpe de son bras. Voyez que, pour vous obéir, je me suis déjà mis en deuil. Le Comte Quand j'aurai l'agrément du Roi pour l'échange entamé de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays je trouverai moyen de vous en assurer la possession à tous deux. Bégearss, vivement. Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons... peut-être encore très peu fondés, j'irai me rendre le complice de la spoliation entière de l'héritier de votre nom, d'un jeune homme plein de mérite? car il faut avouer qu'il en a... Le Comte, impatienté. Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!... Bégearss Si votre pupille m'accepte, et si, sur vos grands biens, vous prélevez pour la doter ces trois millions d'or du Mexique, je ne supporte point l'idée d'en devenir propriétaire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censé lui faire. Le Comte le serre dans ses bras. Loyal et franc ami! Quel époux je donne à ma fille! Scène VII Suzanne, Le Comte, Bégearss. Suzanne Monsieur, voilà le coffre aux diamants. Ne le gardez pas trop longtemps, que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame. Le Comte Suzanne, en t'en allant, défends qu'on entre, à moins que je ne sonne. Suzanne, à part. Avertissons Figaro de ceci. Elle sort. Scène VIII Le Comte, Bégearss. Bégearss Quel est votre projet sur l'examen de cet écrin? Le Comte tire de sa poche un bracelet entouré de brillants. Je ne veux plus te déguiser tous les détails de mon affront; écoute. Un certain Léon d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait Chérubin... Bégearss Je l'ai connu; nous servions dans le régiment dont je vous dois d'être major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus. Le Comte C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus éprise de lui, je l'éloignai d'Andalousie, par un emploi dans ma légion. Un an après la naissance du fils... qu'un combat détesté m'enlève il met la main à ses yeux, lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique, au lieu de rester à Madrid, ou dans mon palais à Séville, ou d'habiter Aguas Frescas, qui est un superbe séjour, quelle retraite, ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain château d'Astorga, chef-lieu d'une méchante terre que j'avais achetée des parents de ce page. C'est là qu'elle a voulu passer les trois années de mon absence qu'elle y a mis au monde... après neuf ou dix mois, que sais-je? ce misérable enfant, qui porte les traits d'un perfide! jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre, ayant trouvé ce page fort joli, désira d'en faire une étude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet. Bégearss Oui... il baisse les yeux à telles enseignes que votre épouse... Le Comte, vivement. Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le même joaillier qui monta tous ses diamants; je vais le substituer à la place du mien. Si elle en garde le silence, vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle une explication sévère éclaircit ma honte à l'instant. Bégearss Si vous demandez mon avis, monsieur, je blâme un tel projet. Le Comte Pourquoi? Bégearss L'honneur répugne à de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eût présenté certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piège! des surprises! Eh! quel homme, un peu délicat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi? Le Comte Il est trop tard pour reculer le bracelet est fait, le portrait du page est dedans... Bégearss prend l'écrin. Monsieur, au nom du véritable honneur... Le Comte a enlevé le bracelet de l'écrin. Ah! mon cher portrait, je te tiens! j'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter! Il y substitue l'autre. Bégearss feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'écrin de leur coté; Bégearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colère Ah! voilà la boÃte brisée! Le Comte regarde. Non; ce n'est qu'un secret que le débat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers! Bégearss, s'y opposant. Je me flatte, monsieur, que vous n'abuserez point... Le Comte, impatient. "Si quelque heureux hasard vous eût présenté certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir..." Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. Il arrache les papiers. Bégearss, avec chaleur. Pour l'espoir de ma vie entière, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, monsieur, ou souffrez que je me retire. Il s'éloigne. - Le Comte tient des papiers et lit. - Bégearss le regarde en dessous, et s'applaudit secrètement. Le Comte, avec fureur. Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres; et moi, je garde celui-ci. Bégearss Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une... Le Comte, fièrement. Une?... Achevez! tranchez le mot; je puis l'entendre. Bégearss, se courbant. Pardon, monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'à ma douleur l'indécence de mon reproche. Le Comte Loin de t'en savoir mauvais gré, je t'en estime davantage. Il rejette sur un fauteuil. Ah! perfide Rosine! car, malgré mes légèretés, elle est la seule pour qui j'aie éprouvé... J'ai subjugué les autres femmes! Ah! je sens à ma rage combien cette indigne passion... Je me déteste de l'aimer! Bègearss Au nom de Dieu, monsieur, remettez ce fatal papier! Scène IX Figaro, Le Comte, Bégearss. Le Comte se lève. Homme importun, que voulez-vous? Figaro J'entre, parce qu'on a sonné. Le Comte, en colère. J'ai sonné? Valet curieux!... Figaro Interrogez le joaillier, qui l'a entendu comme moi. Le Comte Mon joaillier? que me veut-il? Figaro Il dit qu'il a un rendez-vous pour un bracelet qu'il a fait. Bégearss, s'apercevant qu'il cherche à voir l'écrin qui est sur la table fait ce qu'il peut pour le masquer. Le Comte Ah!... Qu'il revienne un autre jour. Figaro, avec malice. Mais pendant que monsieur a l'écrin de madame ouvert, il serait peut-être à propos... Le Comte, en colère. Monsieur l'inquisiteur, partez; et s'il vous échappe un seul mot... Figaro Un seul mot? J'aurais trop à dire; je ne veux rien faire à demi. Il examine l'écrin, le papier que tient le Comte, lance un fier coup d'oeil à Bégearss, et sort. Scène X Le Comte, Bégearss. Le Comte Refermons ce perfide écrin. J'ai la preuve que je cherchais. Je la tiens, j'en suis désolé pourquoi l'ai-je trouvée? Ah! Dieu! lisez, lisez, monsieur Bégearss. Bégearss, repoussant le papier. Entrer dans de pareils secrets! Dieu préserve qu'on m'en accuse! Le Comte Quelle est donc la sèche amitié qui repousse mes confidences? Je vois qu'on n'est compatissant que pour les maux qu'on éprouva soi-même. Bégearss Quoi! pour refuser ce papier!... Vivement. Serrez-le donc, voici Suzanne. Il referme vite le secret de l'écrin. - Le Comte met la lettre dans sa veste, sur sa poitrine. Scène XI Suzanne, Le Comte, Bégearss. Le Comte est accablé. Suzanne accourt. L'écrin, l'écrin! Madame sonne. Bégearss le lui donne. Suzanne, vous voyez que tout y est en bon état. Suzanne Qu'a donc monsieur? il est troublé! Bégearss Ce n'est rien qu'un peu de colère contre votre indiscret mari qui est entré malgré ses ordres. Suzanne, finement. Je l'avais dit pourtant de manière à être entendue. Elle sort. Scène XII Léon, Le Comte, Bégearss. Le Comte veut sortir, il voit entrer Léon. Voici l'autre! Léon, timidement, veut embrasser le Comte. Mon père, agréez mon respect. Avez-vous bien passé la nuit? Le Comte, sèchement le repousse. Où fûtes-vous, monsieur, hier au soir? Léon Mon père, on me mena dans une assemblée estimable... Le Comte Où vous fÃtes une lecture? Léon On m'invita d'y lire un essai que j'ai fait sur l'abus des voeux monastiques et le droit de s'en relever. Le Comte, amèrement. Les voeux des chevaliers en sont? Bégearss Qui fut, dit-on, très applaudi? Léon Monsieur, on a montré quelque indulgence pour mon âge. Le Comte Donc, au lieu de vous préparer à partir pour vos caravanes, à bien mériter de votre ordre, vous vous faites des ennemis? vous allez composant, écrivant sur le ton du jour!... Bientôt on ne distinguera plus un gentilhomme savant! Léon, timidement. Mon père, on en distinguera mieux un ignorant d'un homme instruit, et l'homme libre de l'esclave. Le Comte Discours d'enthousiaste! On voit où vous en voulez venir. Il veut sortir. Léon Mon père!... Le Comte, dédaigneux. Laissez à l'artisan des villes ces locutions triviales. Les gens de notre état ont un langage plus élevé. Qui est-ce qui dit mon père, à la Cour, monsieur? Appelez-moi monsieur! Vous sentez l'homme du commun! Son père!... Il sort; Léon le suit en regardant Bégearss qui lui fait un geste de compassion. Allons, monsieur Bégearss, allons! Acte deuxième Le théâtre représente la bibliothèque du Comte. Scène I Le Comte. Puisqu'enfin je suis seul, lisons cet étonnant écrit, qu'un hasard presque inconcevable a fait tomber entre mes mains Il tire de son sein la lettre de l'écrin, et la lit en pesant sur tous les mots. "Malheureux insensé! notre sort est rempli. La surprise nocturne que vous avez osé me faire, dans un château où vous fûtes élevé, dont vous connaissiez les détours; la violence 'qui s'en est suivie, enfin votre crime, - le mien... il s'arrête le mien reçoit sa juste punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir. Grâce à de tristes précautions, l'honneur est sauf; mais la vertu n'est plus. - Condamnée désormais à des larmes intarissables, je sens qu'elles n'effaceront point un crime... dont l'effet reste subsistant. Ne me voyez jamais; c'est l'ordre irrévocable de la misérable Rosine... qui n'ose plus signer un autre nom." Il porte ses mains avec la lettre à son front et se promène.... Qui n'ose plus signer un autre nom!... Ah! Rosine! où est le temps?... Mais tu t'es avilie!... Il s'agite. Ce n'est point là l'écrit d'une méchante femme! Un misérable corrupteur... Mais voyons la réponse écrite sur la même lettre. Il lit. "Puisque je ne dois plus vous voir, la vie m'est odieuse et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d'un fort où je ne suis point commandé. "Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j'ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dérobai. L'ami qui vous rendra ceci quand je ne serai plus est sûr. Il a vu tout mon désespoir. Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à l'héritier... d'un autre plus heureux!... puis-je espérer que le nom de Léon vous rappellera quelquefois le souvenir du malheureux... qui expire en vous adorant, et signe pour la dernière fois, Chérubin-Léon d'Astorga..." Puis, en caractères sanglants!... "Blessé à mort, je rouvre cette lettre, et vous écris avec mon sang ce douloureux, cet éternel adieu. Souvenez-vous..." Le reste est effacé par des larmes... Il s'agite. Ce n'est point là non plus l'écrit d'un méchant homme! Un malheureux égarement... Il s'assied et reste absorbé. Je me sens déchiré! Scène II Bégearss, Le Comte. Bégearss, en entrant, s'arrête, le regarde, et se mord le doigt avec mystère. Le Comte Ah! mon cher ami, venez donc!... Vous me voyez dans un accablement... Bégearss Très effrayant, monsieur, je n'osais avancer. Le Comte Je viens de lire cet écrit. Non, ce n'étaient point là des ingrats ni des monstres, mais de malheureux insensés, comme ils se le disent eux-mêmes... Bégearss Je l'ai présumé comme vous. Le Comte se lève et se promène. Les misérables femmes, en se laissant séduire, ne savent guère les maux qu'elles apprêtent! Elles vont, elles vont... les affronts s'accumulent... et le monde injuste et léger accuse un père qui se tait, qui dévore en secret ses peines! On le taxe de dureté pour les sentiments qu'il refuse au fruit d'un coupable adultère!... Nos désordres, à nous, ne leur enlèvent presque rien; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d'être mères, ce bien inestimable de la maternité! tandis que leur moindre caprice, un goût, une étourderie légère, détruit dans l'homme le bonheur... le bonheur de toute sa vie, la sécurité d'être père. - Ah! ce n'est point légèrement qu'on a donné tant d'importance à la fidélité des femmes! Le bien, le mal de la société, sont attachés à leur conduite; le paradis ou l'enfer des familles dépend à tout jamais de l'opinion qu'elles ont donnée d'elles. Bégearss Calmez-vous; voici votre fille. Scène III Florestine, Le Comte, Bégearss. Florestine, un bouquet au côté. On vous disait, monsieur, si occupé, que je n'ai pas osé vous fatiguer de mon respect. Le Comte Occupé de toi, mon enfant! ma fille! Ah! je me plais à te donner ce nom; car j'ai pris soin de ton enfance. Le mari de ta mère était fort dérangé; en mourant il ne laissa rien. Elle-même, en quittant la vie, t'a recommandée à mes soins. Je lui engageai ma parole; je la tiendrai, ma fille, en te donnant un noble époux. Je te parle avec liberté devant cet ami qui nous aime. Regarde autour de toi; choisis! Ne trouves-tu personne ici digne de posséder ton coeur? Florestine, lui baisant la main. Vous l'avez tout entier, monsieur; et si je me vois consultée, je répondrai que mon bonheur est de ne point changer d'état. - Monsieur votre fils en se mariant... car, sans doute, il ne restera plus dans l'ordre de Malte aujourd'hui, monsieur votre fils, en se mariant, peut se séparer de son père. Ah! permettez que ce soit moi qui prenne soin de vos vieux jours! C'est un devoir, monsieur, que je remplirai avec joie. Le Comte Laisse, laisse monsieur, réservé pour l'indifférence; on ne sera point étonné qu'une enfant si reconnaissante me donne un nom plus doux! Appelle-moi ton père. Bégearss Elle est digne, en honneur, de votre confidence entière... Mademoiselle, embrassez ce bon, ce tendre protecteur. Vous lui devez plus que vous ne pensez. Sa tutelle n'est qu'un devoir. Il fut l'ami... l'ami secret de votre mère... et, pour tout dire en un seul mot... Scène IV Figaro, La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. La Comtesse est en robe à peigner. Figaro, annonçant. Madame la Comtesse. Bégearss jette un regard furieux sur Figaro. A part. Au diable le faquin La Comtesse, au Comte. Figaro m'avait dit que vous vous trouviez mal; effrayée, j'accours, et je vois... Le Comte ... Que cet homme officieux vous a fait encore un mensonge. Figaro Monsieur, quand vous êtes passé, vous aviez un air si défait... Heureusement il n'en est rien. Bégearss l'examine. La Comtesse Bonjour, monsieur Bégearss... Te voilà , Florestine; je te trouve radieuse... Mais voyez donc comme elle est fraÃche et belle! Si le ciel m'eût donné une fille, je l'aurais voulue comme toi de figure et de caractère... Il faudra bien que tu m'en tiennes lieu. Le veux-tu, Florestine? Florestine, lui baisant la main. Ah! madame! La Comtesse Qui t'a donc fleurie si matin? Florestine, avec joie. Madame, on ne m'a point fleurie; c'est moi qui ai fait des bouquets. N'est-ce pas aujourd'hui saint Léon? La Comtesse Charmante enfant, qui n'oublie rien! Elle la baise au front. - Le Comte fait an geste terrible; Bégearss le retient. La Comtesse, à Figaro. Puisque nous voilà rassemblés, avertissez mon fils que nous prendrons ici le chocolat. Florestine Pendant qu'ils vont le préparer, mon parrain, faites-nous donc voir ce beau buste de Washington, que vous avez, dit-on, chez vous. Le Comte J'ignore qui me l'envoie je ne l'ai demandé à personne; et, sans doute, il est pour Léon. Il est beau; je l'ai là dans mon cabinet venez tous. Bégearss, en sortant le dernier, se retourne deux fois pour examiner Figaro qui le regarde de même. Ils ont l'air de se menacer sans parier. Scène V Figaro, seul, rangeant la table et les tasses pour le déjeuner. Serpent ou basilic! tu peux me mesurer, me lancer des regards affreux! Ce sont les miens qui te tueront!... Mais où reçoit-il ses paquets? Il ne vient rien pour lui de la poste à l'hôtel! Est-il monté seul de l'enfer?... Quelque autre diable correspond!... Et moi, je ne puis découvrir... Scène VI Figaro, Suzanne. Suzanne, accourt, regarde, et dit très vivement à l'oreille de Figaro. C'est lui que la pupille épouse. - Il a la promesse du Comte. Il guérira Léon de son amour. - Il détachera Florestine. - Il fera consentir madame. - Il te chasse de la maison. - Il cloÃtre ma maÃtresse en attendant que l'on divorce. - Fait déshériter le jeune homme, et me rend maÃtresse de tout. Voilà les nouvelles du jour. Elle s'enfuit. Scène VII Figaro, seul. Non, s'il vous plaÃt, monsieur le Major! nous compterons ensemble auparavant. Vous apprendrez de moi qu'il n'y a que les sots qui triomphent. Grâce à l'Ariane Suzon, je tiens le fil du labyrinthe, et le minotaure est cerné... Je t'envelopperai dans tes pièges et te démasquerai si bien!... Mais quel intérêt assez pressant lui fait faire une telle école, desserre les dents d'un tel homme? S'en croirait-il assez sûr pour?... La sottise et la vanité sont compagnes inséparables! Mon politique babille et se confie! il a perdu le coup. Y a faute. Scène VIII Guillaume, Figaro. Guillaume, avec une lettre. Meissieïr Bégearss! Ché vois qu'il est pas pour ici? Figaro, rangeant le déjeuner. Tu peux l'attendre, il va rentrer. Guillaume, reculant. Meingoth! ch'attendrai pas meissieïr en gombagnie té vous! Mon maÃtre il voudrait point, jé chure. Figaro Il te le défend? Eh bien! donne la lettre; je vais la lui remettre en rentrant. Guillaume, reculant. Pas plis à vous té lettres! O tiaple! il voudra pientôt me jasser. Figaro, à part. Il faut pomper le sot. - Haut. Tu... viens de la poste, je crois? Guillaume Tiable! non, ché viens pas. Figaro C'est sans doute quelque missive du gentleman... du parent irlandais dont il vient d'hériter? Tu sais cela, toi, bon Guillaume? Guillaume, riant niaisement. Lettre d'un qu'il est mort, meissieïr! Non, ché vous prie! Celui-là , ché crois pas, partié! Ce sera pien plitôt d'un autre. Peut-être il viendrait d'un qu'ils sont là ... pas contents, dehors. Figaro D'un de nos mécontents, dis-tu? Guillaume Oui, mais ch'assure pas... Figaro, à part. Cela se peut; il est fourré dans tout. A Guillaume. On pourrait voir au timbre, et s'assurer... Guillaume Ch'assure pas; pourquoi? Les lettres il vient chez M. O'Connor; et puis, je sais pas quoi c'est timpré, moi. Figaro, vivement. O'Connor! banquier irlandais? Guillaume Mon foi! Figaro, revient à lui, froidement. Ici près, derrière l'hôtel? Guillaume Ein fort choli maison, partié! tes chens très... beaucoup gracieux, si j'osse dire. Il se retire à l'écart. Figaro, à lui-même. O fortune! ô bonheur! Guillaume, revenant. Parle pas, fous, de s'té banquier, pour personne, entende-fous? ch'aurais pas dû... Tertaïfle! Il frappe du pied. Figaro Va, je n'ai garde; ne crains rien. Guillaume Mon maÃtre, il dit, meissieïr... vous âfre tout l'esprit, et moi pas... Alors c'est chuste... Mais peut-être ché suis mécontent d'avoir dit à fous. Figaro Et pourquoi? Guillaume Ché sais pas. - La valet trahir, voye-fous... L'être un péché qu'il est parpare, vil, et même... puéril. Figaro Il est vrai; mais tu n'as rien dit. Guillaume, désolé. Mon Thié! mon Thié! ché sais pas, là ... quoi tire... ou non... Il se retire en soupirant. Ah! Il regarde niaisement les livres de la bibliothèque. Figaro, à part. Quelle découverte! Hasard! je te salue. Il cherche ses tablettes. Il faut pourtant que je démêle comment un homme si caverneux s'arrange d'un tel imbécile... De même que les brigands redoutent les réverbères... Oui, mais un sot est un falot; la lumière passe à travers. Il dit en écrivant sur ses tablettes O'Connor, banquier irlandais. C'est là qu'il faut que j'établisse mon noir comité de recherches. Ce moyen-là n'est pas trop constitutionnel; ma! Perdio! l'utilité! Et puis, j'ai mes exemples! Il écrit. Quatre ou cinq louis d'or au valet chargé du détail de la poste, pour ouvrir dans un cabaret chaque lettre de l'écriture d'Honoré-Tartuffe Bégearss... Monsieur le tartuffe honoré! vous cesserez enfin de l'être! Un dieu m'a mis sur votre piste. Il serre ses tablettes. Hasard! dieu méconnu! les anciens t'appelaient Destin! nos gens te donnent un autre nom. Scène IX La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss, Figaro, Guillaume. Bégearss aperçoit Guillaume, et dit avec humeur, en lui prenant la lettre Ne peux-tu pas me les garder chez moi? Guillaume Ché crois celui-ci, c'est tout comme... Il sort. La Comtesse, au Comte. Monsieur, ce buste est un très beau morceau votre fils l'a-t-il vu? Bégearss, la lettre ouverte. Ah! lettre de Madrid! du secrétaire du ministre! il y a un mot qui vous regarde. Il lit. "Dites au Comte Almaviva que le courrier qui part demain lui porte l'agrément du Roi pour l'échange de toutes ses terres." Figaro écoute, et se fait, sans parler, un signe d'intelligence. La Comtesse Figaro, dis donc à mon fils que nous déjeunons tous ici. Figaro Madame, je vais l'avertir. Il sort. Scène X La Comtesse, Le Comte, Florestine, Bégearss. Le Comte, à Bégearss. J'en veux donner avis sur-le-champ à mon acquéreur. Envoyez-moi du thé dans mon arrière-cabinet. Florestine Bon papa, c'est moi qui vous le porterai. Le Comte, bas à Florestine. Pense beaucoup au peu que je t'ai dit. Il la baise au front et sort. Scène XI Léon, La Comtesse, Florestine, Bégearss. Léon, avec chagrin. Mon père s'en va quand j'arrive! il m'a traité avec une rigueur... La Comtesse, sévèrement. Mon fils, quels discours tenez-vous? Dois-je me voir toujours froissée par l'injustice de chacun? Votre père a besoin d'écrire à la personne qui échange ses terres Florestine, gaiement. Vous regrettez votre papa? nous aussi nous le regrettons. Cependant, comme il sait que c'est aujourd'hui votre fête, il m'a chargée, monsieur, de vous présenter ce bouquet. Elle lui fait une grande révérence. Léon, pendant qu'elle l'ajuste à sa boutonnière. Il n'en pouvait tuer quelqu'un qui me rendÃt ses bontés aussi chères... Il l'embrasse. Florestine, se débattant. Voyez, madame, si jamais on peut badiner avec lui, sans qu'il abuse au même instant... La Comtesse, souriant. Mon enfant, le jour de sa fête, on peut lui passer quelque chose. Florestine, baissant les yeux. Pour l'en punir, madame, faites-lui lire le discours qui fut, dit-on, tant applaudi hier à l'assemblée. Léon Si maman juge que j'ai tort, j'irai chercher ma pénitence. Florestine Ah! madame, ordonnez-le-lui. La Comtesse Apportez-nous, mon fils, votre discours moi je vais prendre quelque ouvrage, pour l'écouter avec plus d'attention. Florestine, gaiement. Obstiné! c'est bien fait; et je l'entendrai malgré vous. Léon, tendrement. Malgré moi, quand vous l'ordonnez? Ah! Florestine, j'en défie! La Comtesse et Léon sortent chacun de leur côté. Scène XII Florestine, Bégearss. Bégearss, bas. Eh bien! mademoiselle, avez-vous deviné l'époux qu'on vous destine? Florestine, avec joie. Mon cher monsieur Bégearss, vous êtes à tel point notre ami, que je me permettrai de penser tout haut avec vous. Sur qui puis-je porter les yeux? Mon parrain m'a bien dit Regarde autour de toi, choisis. Je vois l'excès de sa bonté ce ne peut être que Léon. Mais moi, sans biens, dois-je abuser?... Bégearss, d'un ton terrible. Qui? Leon! son fils? votre frère? Florestine, avec un cri douloureux. Ah! monsieur!... Bégearss Ne vous a-t-il pas dit Appelle-moi ton père? Réveillez-vous, ma chère enfant! écartez un songe trompeur, qui pouvait devenir funeste. Florestine Ah! oui; funeste pour tous deux! Bégearss Vous sentez qu'un pareil secret doit rester caché dans votre âme. Il sort en la regardant. Scène XIII Florestine, seule en pleurant. O ciel! il est mon frère et j'ose avoir pour lui... Quel coup d'une lumière affreuse! et dans un tel sommeil, qu'il est cruel de s'éveiller! Elle tombe accablée sur un siège. Scène XIV Léon, un papier à la main, Florestine. Léon, joyeux, à part. Maman n'est pas rentrée, et monsieur Bégearss est sorti profitons d'un moment heureux. - Florestine, vous êtes ce matin, et toujours, d'une beauté parfaite; mais vous avez un air de joie, un ton aimable de gaieté qui ranime mes espérances. Florestine, au désespoir. Ah! Léon! Elle retombe. Léon Ciel! vos yeux noyés de larmes et votre visage défait m'annoncent quelque grand malheur! Florestine Des malheurs! Ah! Léon, il n'y en a plus que pour moi. Léon Floresta, ne m'aimez-vous plus? lorsque mes sentiments pour vous... Florestine, d'un ton absolu. Vos sentiments? ne m'en parlez jamais. Léon Quoi? l'amour le plus pur... Florestine, au désespoir. Finissez ces cruels discours, ou je vais vous fuir à l'instant. Léon Grand Dieu! qu'est-il donc arrivé? Monsieur Bégearss vous a parlé, mademoiselle. Je veux savoir ce que vous a dit ce Bégearss. Scène XV La Comtesse, Florestine, Léon. Léon, continue. Maman, venez à mon secours! Vous me voyez au désespoir Florestine ne m'aime plus! Florestine, pleurant. Moi, madame, ne plus l'aimer! Mon parrain, vous et lui, c'est le cri de ma vie entière. La Comtesse Mon enfant, je n'en doute pas. Ton coeur excellent m'en répond. Mais de quoi donc s'afflige-t-il? Léon Maman, vous approuvez l'ardent amour que j'ai pour elle? Florestine, se jetant dans les bras de la Comtesse. Ordonnez-lui donc de se taire! En pleurant. Il me fait mourir de douleur! La Comtesse Mon enfant, je ne t'entends point. Ma surprise égale la sienne... Elle frissonne entre mes bras! Qu'a-t-il donc fait qui puisse te déplaire? Florestine, se renversant sur elle. Madame, il ne me déplaÃt point. Je l'aime et le respecte à l'égal de mon frère; mais qu'il n'exige rien de plus. Léon Vous l'entendez, maman! Cruelle fille, expliquez-vous. Florestine Laissez-moi! laissez-moi! ou vous me causerez la mort. Scène XVI La Comtesse, Florestine, Léon, Figaro arrivant avec l'équipage du thé; Suzanne, de l'autre côté, avec un métier de tapisserie. La Comtesse Remporte tout, Suzanne, il n'est pas plus question de déjeuner que de lecture. Vous, Figaro, servez du thé à votre maÃtre; il écrit dans son cabinet. Et toi, ma Florestine, viens dans le mien rassurer ton amie. Mes chers enfants, je vous porte en mon coeur! - Pourquoi l'affligez-vous l'un après l'autre sans pitié? Il y a ici des choses qu'il m'est important d'éclaircir. Elles sortent. Scène XVII Suzanne, Figaro, Léon. Suzanne, à Figaro. Je ne sais pas de quoi il est question; mais je parierais bien que c'est là du Bégearss tout pur. Je veux absolument prémunir ma maÃtresse. Figaro Attends que je sois plus instruit nous nous concerterons ce soir. Oh! j'ai fait une découverte... Suzanne Et tu me la diras? Elle sort. Scène XVIII Figaro, Léon. Léon, désolé. Ah! dieux! Figaro De quoi s'agit-il donc, monsieur? Léon Hélas! je l'ignore moi-même. Jamais je n'avais vu Floresta de si belle humeur, et je savais qu'elle avait eu un entretien avec mon père. Je la laisse un instant avec monsieur Bégearss; je la trouve seule, en rentrant, les yeux remplis de larmes, et m'ordonnant de la fuir pour toujours. Que peut-il donc lui avoir dit? Figaro Si je ne craignais pas votre vivacité, je vous instruirais sur des points qu'il vous importe de savoir. Mais lorsque nous avons besoin d'une grande prudence, il ne faudrait qu'un mot de vous, trop vif, pour me faire perdre le fruit de dix années d'observations. Léon Ah! s'il ne faut qu'être prudent... Que crois-tu donc qu'il lui ait dit? Figaro Qu'elle doit accepter Honoré Bégearss pour époux; que c'est une affaire arrangée entre monsieur votre père et lui. Léon Entre mon père et lui! Le traÃtre aura ma vie. Figaro Avec ces façons-là , monsieur, le traÃtre n'aura pas votre vie; mais il aura votre maÃtresse, et votre fortune avec elle. Léon Eh bien! ami, pardon; apprends-moi ce que je dois faire. Figaro Deviner l'énigme du sphinx, ou bien en être dévoré. En d'autres termes, il faut vous modérer, le laisser dire, et dissimuler avec lui. Léon, avec fureur. Me modérer!... Oui, je me modérerai. Mais j'ai la rage dans le coeur! - M'enlever Florestine! Ah! le voici qui vient je vais m'expliquer... froidement. Figaro Tout est perdu si vous vous échappez. Scène XIX Bégearss, Figaro, Léon. Léon, se contenant mal. Monsieur, monsieur, un mot. Il importe à votre repos que vous répondiez sans détour. - Florestine est au désespoir qu'avez-vous dit à Florestine? Bégearss, d'un ton glacé. Et qui vous dit que je lui aie parlé? Ne peut-elle avoir des chagrins, sans que j'y sois pour quelque chose? Léon, vivement. Point d'évasions, monsieur. Elle était d'une humeur charmante en sortant d'avec vous, on la voit fondre en larmes. De quelque part qu'elle en reçoive, mon coeur partage ses chagrins. Vous m'en direz la cause, ou bien vous m'en ferez raison. Bégearss Avec un ton moins absolu, on peut tout obtenir de moi; je ne sais point céder à des menaces. Léon, furieux. Eh bien! perfide, défends-toi. J'aurai ta vie, ou tu auras la mienne! Il met la main à son épée. Figaro les arrête. Monsieur Bégearss! au fils de votre ami! dans sa maison où vous logez! Bégearss, se contenant. Je sais trop ce que je me dois... Je vais m'expliquer avec lui; mais je n'y veux point de témoins. Sortez, et laissez-nous ensemble. Léon Va, mon cher Figaro tu vois qu'il ne peut m'échapper. Ne lui laissons aucune excuse. Figaro Moi, je cours avertir son père. Il sort. Scène XX Léon, Bégearss. Léon, lui barrant la porte. Il vous convient peut-être mieux de vous battre que de parler. Vous êtes le maÃtre du choix; mais je n'admettrai rien d'étranger à ces deux moyens. Bégearss, froidement. Léon! un homme d'honneur n'égorge pas le fils de son ami... Devais-je m'expliquer devant un malheureux valet, insolent d'être parvenu à presque gouverner son maÃtre? Léon, s'asseyant. Au fait, monsieur, je vous attends... Bégearss Oh! que vous allez regretter une fureur déraisonnable! Léon C'est ce que nous verrons bientôt. Bégearss, affectant une dignité froide. Léon! vous aimez Florestine; il y a longtemps que je le vois... Tant que votre frère a vécu, je n'ai pas cru devoir servir un amour malheureux qui ne vous conduisait à rien. Mais depuis qu'un funeste duel, disposant de sa vie, vous a mis en sa place, j'ai eu l'orgueil de croire mon influence capable de disposer monsieur votre père à vous unir à celle que vous aimez. Je l'attaquais de toutes les manières, une résistance invincible a repoussé tous mes efforts. Désolé de le voir rejeter un projet qui me paraissait fait pour le bonheur de tous... Pardon, mon jeune ami, je vais vous affliger; mais il le faut en ce moment, pour vous sauver d'un malheur éternel. Rappelez bien votre raison, vous allez en avoir besoin. - J'ai forcé votre père à rompre le silence, à me confier son secret. O mon ami! m'a dit enfin le Comte, je connais l'amour de mon fils; mais puis-je lui donner Florestine pour femme? Celle que l'on croit ma pupille... elle est ma fille, elle est sa soeur. Léon, reculant vivement. Florestine?... Ma soeur?... Bégearss Voilà le mot qu'un sévère devoir... Ah! je vous le dois à tous deux mon silence pouvait vous perdre. Eh bien! Léon, voulez-vous vous battre avec moi? Léon Mon généreux ami! Je ne suis qu'un ingrat, un monstre! oubliez ma rage insensée... Bégearss, bien tartuffe. Mais c'est à condition que ce fatal secret ne sortira jamais. Dévoiler la honte d'un père, ce serait un crime... Léon, se jetant dans ses bras. Ah! jamais. Scène XXI Le Comte, Figaro, Léon, Bégearss. Figaro, accourant. Les voilà , les voilà ! Le Comte Dans les bras l'un de l'autre! Eh! vous perdez l'esprit? Figaro, stupéfait. Ma foi, monsieur... on le perdrait à moins. Le Comte, à Figaro. M'expliquerez-vous cette énigme? Léon, tremblant. Ah! c'est à moi, mon père, à l'expliquer. Pardon! je dois mourir de honte! Sur un sujet assez frivole, je m'étais... beaucoup oublié. Son caractère généreux, non seulement me rend à la raison, mais il a la bonté d'excuser ma folie en me la pardonnant. Je lui en rendais grâce lorsque vous nous avez surpris. Le Comte Ce n'est pas la centième fois que vous lui devez de la reconnaissance. Au fait, nous lui en devons tous. Figaro sans parler se donne un coup de poing au front, Bégearss l'examine et sourit. Le Comte, à son fils. Retirez-vous, monsieur. Votre aveu seul enchaÃne ma colère. Bégearss Ah! monsieur, tout est oublié. Le Comte, à Léon. Allez vous repentir d'avoir manqué à mon ami, au vôtre, à l'homme le plus vertueux... Léon, s'en allant. Je suis au désespoir! Figaro, à part, avec colère. C'est une légion de diables enfermés dans un seul pourpoint. Scène XXII Le Comte, Bégearss, Figaro. Le Comte, à Bégearss, à part. Mon ami, finissons ce que nous avons commencé. A Figaro. Vous, monsieur l'étourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d'or que vous m'avez vous-même apportés de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargé de les numéroter. Figaro Je l'ai fait. Le Comte Remettez-m'en le portefeuille. Figaro De quoi? de ces trois millions d'or? Le Comte Sans doute. Eh bien! qui vous arrête? Figaro, humblement. Moi, monsieur?... Je ne les ai plus. Bégearss Comment, vous ne les avez plus? Figaro, fièrement. Non, monsieur. Bégearss, vivement. Qu'en avez-vous fait? Figaro Lorsque mon maÃtre m'interroge, je lui dois compte de mes actions mais à vous, je ne vous dois rien. Le Comte, en colère. Insolent! qu'en avez-vous fait? Figaro, froidement. Je les ai portés en dépôt chez monsieur Fal, votre notaire. Bégearss Mais de l'avis de qui? Figaro, fièrement. Du mien; et j'avoue que j'en suis toujours. Bégearss Je vais gager qu'il n'en est rien. Figaro Comme j'ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure. Bégearss Ou s'il les a reçus, c'est pour agioter. Ces gens-là partagent ensemble. Figaro Vous pourriez un peu mieux parler d'un homme qui vous a obligé. Bégearss Je ne lui dois rien. Figaro Je le crois; quand on a hérité de quarante mille doublons de huit... Le Comte, se fâchant. Avez-vous donc quelque remarque à nous faire aussi là -dessus? Figaro Qui? moi, monsieur? J'en doute d'autant moins, que j'ai beaucoup connu le parent dont monsieur hérite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans moeurs, sans caractère, et n'ayant rien à lui, pas même les vices qui l'ont tué; qu'un combat des plus malheureux... Le Comte frappe du pied. Bégearss, en colère. Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez déposé cet or? Figaro Ma foi, monsieur, c'est pour n'en être plus chargé. Ne pouvait-on pas le voler? Que sait-on? Il s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons... Bégearss, en colère. Pourtant monsieur veut qu'on le rende. Figaro Monsieur peut l'envoyer chercher. Bégearss Mais ce notaire s'en dessaisira-t-il, s'il ne voit son récépissé? Figaro Je vais le remettre à monsieur; et quand j'aurai fait mon devoir, s'il en arrive quelque mal, il ne pourra s'en prendre à moi. Le Comte Je l'attends dans mon cabinet. Figaro, au Comte. Je vous préviens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu; je le lui ai recommandé. Il sort. Scène XXIII Le Comte, Bégearss. Bégearss, en colère. Comblez cette canaille, et voyez ce qu'elle devient! En vérité, monsieur, mon amitié me force à vous le dire vous devenez trop confiant; il a deviné nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l'avez établi trésorier, secrétaire; une espèce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous. Le Comte Sur la fidélité, je n'ai rien à lui reprocher, mais il est vrai qu'il est d'une arrogance... Bégearss Vous avez un moyen de vous en délivrer en le récompensant. Le Comte Je le voudrais souvent. Bégearss, confidentiellement. En envoyant le chevalier à Malte, sans doute vous voulez qu'un homme affidé le surveille? Celui-ci, trop flatté d'un aussi honorable emploi, ne peut manquer de l'accepter vous en voilà défait pour bien du temps. Le Comte Vous avez raison, mon ami. Aussi bien m'a-t-on dit qu'il vit très mal avec sa femme. Il sort. Scène XXIV Bégearss, seul. Encore un pas de fait!... Ah! noble espion, la fleur des drôles, qui faites ici le bon valet et voulez nous souffler la dot, en nous donnant des noms de comédie! Grâce aux soins d'Honoré Tartuffe, vous irez partager le malaise des caravanes, et finirez vos inspections sur nous. Acte troisième Le théâtre représente le cabinet de la Comtesse, orné de fleurs de toutes parts. Scène I La Comtesse, Suzanne. La Comtesse Je n'ai pu rien tirer de cette enfant. - Ce sont des pleurs, des étouffements!... Elle se croit des torts envers moi, m'a demandé cent fois pardon; elle veut aller au couvent. Si je rapproche tout ceci de sa conduite envers mon fils, je présume qu'elle se reproche d'avoir écouté son amour, entretenu ses espérances, ne se croyant pas un parti assez considérable pour lui. - Charmante délicatesse! excès d'une aimable vertu! Monsieur Bégearss apparemment lui en a touché quelques mots qui l'auront amenée à s'affliger sur elle! car c'est un homme si scrupuleux et si délicat sur l'honneur, qu'il s'exagère quelquefois, et se fait des fantômes où les autres ne voient rien. Suzanne J'ignore d'où provient le mal; mais il se passe ici des choses bien étranges! Quelque démon y souffle un feu secret. Notre maÃtre est sombre à périr; il nous éloigne tous de lui. Vous êtes sans cesse à pleurer. Mademoiselle est suffoquée; monsieur votre fils, désolé!... Monsieur Bégearss lui seul, imperturbable comme un dieu, semble n'être affecté de rien, voit tous vos chagrins d'un oeil sec... La Comtesse Mon enfant, son coeur les partage. Hélas! sans ce consolateur, qui verse un baume sur nos plaies, dont la sagesse nous soutient, adoucit toutes les aigreurs, calme mon irascible époux, nous serions bien plus malheureux! Suzanne Je souhaite, madame, que vous ne vous abusiez pas. La Comtesse Je t'ai vue autrefois lui rendre plus de justice! Suzanne baisse les yeux. Au reste, il peut seul me tirer du trouble où cette enfant m'a mise. Fais-le prier de descendre chez moi. Suzanne Le voici qui vient à propos; vous vous ferez coiffer plus tard. Elle sort. Scène II La Comtesse, Bégearss. La Comtesse, douloureusement. Ah! mon pauvre Major! que se passe-t-il donc ici? Touchons-nous enfin à la crise que j'ai si longtemps redoutée, que j'ai vue de loin se former? L'éloignement du Comte pour mon malheureux fils semble augmenter de jour en jour. Quelque lumière fatale aura pénétré jusqu'à lui. Bégearss Madame, je ne le crois pas. La Comtesse Depuis que le ciel m'a punie par la mort de mon fils aÃné, je vois le Comte absolument changé au lieu de travailler avec l'ambassadeur à Rome pour rompre les voeux de Léon, je le vois s'obstiner à l'envoyer à Malte. Je sais de plus, monsieur Bégearss, qu'il dénature sa fortune, et veut abandonner l'Espagne pour s'établir dans ce pays. - L'autre jour à dÃner, devant trente personnes, il raisonna sur le divorce d'une façon à me faire frémir. Bégearss J'y étais, je m'en souviens trop. La Comtesse, en larmes. Pardon, mon digne ami; je ne puis pleurer qu'avec vous! Bégearss Déposez vos douleurs dans le sein d'un homme sensible. La Comtesse Enfin, est-ce lui, est-ce vous qui avez déchiré le coeur de Florestine? Je la destinais à mon fils. - Née sans biens, il est vrai, mais noble, belle et vertueuse; élevée au milieu de nous mon fils, devenu héritier, n'en a-t-il pas assez pour deux? Bégearss Que trop, peut-être; et c'est d'où vient le mal! La Comtesse Mais, comme si le ciel n'eût attendu aussi longtemps que pour me mieux punir d'une imprudence tant pleurée, tout semble s'unir à la fois pour renverser mes espérances. Mon époux déteste mon fils... Florestine renonce à lui. Aigrie par je ne sais quel motif, elle veut le fuir pour toujours. Il en mourra, le malheureux! voilà ce qui est bien certain. Elle joint les mains. Ciel vengeur! après vingt années de larmes et de repentir, me réservez-vous à l'horreur de voir ma faute découverte? Ah! que je sois seule misérable! mon Dieu, je ne m'en plaindrai pas; mais que mon fils ne porte point la peine d'un crime qu'il n'a pas commis! Connaissez-vous, monsieur Bégearss, quelque remède à tant de maux? Bégearss Oui, femme respectable! et je venais exprès dissiper vos terreurs. Quand on craint une chose, tous nos regards se portent vers cet objet trop alarmant quoi qu'on dise ou qu'on fasse, la frayeur empoisonne tout! Enfin, je tiens la clef de ces énigmes. Vous pouvez encore être heureuse. La Comtesse L'est-on avec une âme déchirée de remords? Bégearss Votre époux ne fuit point Léon; il ne soupçonne rien sur le secret de sa naissance. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! Bégearss Et tous ces mouvements que vous prenez pour de la haine ne sont que l'effet d'un scrupule. Oh! que je vais vous soulager! La Comtesse, ardemment. Mon cher monsieur Bégearss! Bégearss Mais enterrez dans ce coeur allégé le grand mot que je vais vous dire. Votre secret à vous, c'est la naissance de Léon le sien est celle de Florestine; plus bas il est son tuteur... et son père. La Comtesse, joignant les mains. Dieu tout-puissant, qui me prends en pitié! Bégearss Jugez de sa frayeur en voyant ces enfants amoureux l'un de l'autre! Ne pouvant dire son secret, ni supporter qu'un tel attachement devÃnt le fruit de son silence, il est resté sombre, bizarre; et s'il veut éloigner son fils, c'est pour éteindre, s'il se peut, par cette absence et par ces voeux, un malheureux amour qu'il croit ne pouvoir tolérer. La Comtesse, priant avec ardeur. Source éternelle des bienfaits! ô mon Dieu! tu permets qu'en partie je répare la faute involontaire qu'un insensé me fit commettre; que j'aie de mon côté quelque chose à remettre à cet époux que j'offensai! O Comte Almaviva! mon coeur flétri, fermé par vingt années de peines, va se rouvrir enfin pour toi! Florestine est ta fille; elle me devient chère comme si mon sein l'eût portée. Faisons, sans nous parler, l'échange de notre indulgence! Oh! monsieur Bégearss, achevez! Bégearss Mon amie, je n'arrête point ces premiers élans d'un bon coeur; les émotions de la joie ne sont point dangereuses comme celles de la tristesse; mais au nom de votre repos, écoutez-moi jusqu'à la fin. La Comtesse Parlez, mon généreux ami vous à qui je dois tout, parlez. Bégearss Votre époux, cherchant un moyen de garantir sa Florestine de cet amour qu'il croit incestueux, m'a proposé de l'épouser; mais indépendamment du sentiment profond et malheureux que mon respect pour vos douleurs... La Comtesse, douloureusement. Ah! mon ami, par compassion pour moi... Bégearss N'en parlons plus. Quelques mots d'établissement, tournés d'une forme équivoque, ont fait penser à Florestine qu'il était question de Léon. Son jeune coeur s'en épanouissait, quand un valet vous annonça. Sans m'expliquer depuis sur les vues de son père, un mot de moi, la ramenant aux sévères idées de la fraternité, a produit cet orage, et la religieuse horreur dont votre fils ni vous ne pénétriez le motif. La Comtesse Il en était bien loin, le pauvre enfant! Bégearss Maintenant qu'il vous est connu, devons-nous suivre ce projet d'une union qui répare tout?... La Comtesse, vivement. Il faut s'y tenir, mon ami; mon coeur et mon esprit sont d'accord sur ce point, et c'est à moi de la déterminer. Par là , nos secrets sont couverts; nul étranger ne les pénétrera. Après vingt années de souffrances, nous passerons des jours heureux, et c'est à vous, mon digne ami, que ma famille les devra. Bégearss, élevant le ton. Pour que rien ne les trouble plus, il faut encore un sacrifice, et mon amie est digne de le faire. La Comtesse Hélas! je veux les faire tous. Bégearss, l'air imposant. Ces lettres, ces papiers d'un infortuné qui n'est plus, il faudra les réduire en cendres. La Comtesse, avec douleur. Ah! Dieu! Bégearss Quand cet ami mourant me chargea de vous les remettre, son dernier ordre fut qu'il fallait sauver votre honneur, en ne laissant aucune trace de ce qui pourrait l'altérer. La Comtesse Dieu! Dieu! Bégearss Vingt ans se sont passés sans que j'aie pu obtenir que ce triste aliment de votre éternelle douleur s'éloignât de vos yeux. Mais indépendamment du mal que tout cela vous fait, voyez quel danger vous courez! La Comtesse Eh! que peut-on avoir à craindre! Begearss, regardant si on peut l'entendre. Parlant bas. Je ne soupçonne point Suzanne; mais une femme de chambre, instruite que vous conservez ces papiers, ne pourrait-elle pas un jour s'en faire un moyen de fortune? Un seul remis à votre époux, que peut-être il payerait bien cher, vous plongerait dans des malheurs... La Comtesse Non, Suzanne a le coeur trop bon... Bégearss, d'un ton plus élevé, très ferme. Ma respectable amie, vous avez payé votre dette à la tendresse, à la douleur, à vos devoirs de tous les genres; et si vous êtes satisfaite de la conduite d'un ami, j'en veux avoir la récompense. Il faut brûler tous ces papiers, éteindre tous ces souvenirs d'une faute autant expiée! Mais pour ne jamais revenir sur un sujet si douloureux, j'exige que le sacrifice en soit fait dans ce même instant. La Comtesse, tremblante. Je crois entendre Dieu qui parle! Il m'ordonne de l'oublier, de déchirer le crêpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu! je vais obéir à cet ami que vous m'avez donné. Elle sonne. Ce qu'il exige en votre nom, mon repentir le conseillait mais ma faiblesse a combattu. Scène III Suzanne, La Comtesse, Bégearss. La Comtesse Suzanne, apporte-moi le coffret de mes diamants. - Non, je vais le prendre moi-même; il te faudrait chercher la clef... Scène IV Suzanne, Bégearss. Suzanne, un peu troublée. Monsieur Bégearss, de quoi s'agit-il donc? Toutes les têtes sont renversées! Cette maison ressemble à l'hôpital des fous! Madame pleure; mademoiselle étouffe; le chevalier Léon parle de se noyer; monsieur est enfermé, et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamants inspire-t-il en ce moment tant d'intérêt à tout le monde? Bégearss, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystère. Chut! ne montre ici nulle curiosité! Tu le sauras dans peu... Tout va bien; tout est bien... Cette journée vaut... Chut... Scène V La Comtesse, Bégearss, Suzanne. La Comtesse, tenant le coffret aux diamants. Suzanne, apporte-nous du feu dans le brasero du boudoir. Suzanne Si c'est pour brûler des papiers, la lampe de nuit allumée est encore là dans l'athénienne. Elle l'avance. La Comtesse Veille à la porte, et que personne n'entre. Suzanne, en sortant, à part. Courons, avant, avertir Figaro. Scène VI La Comtesse, Bégearss. Bégearss Combien j'ai souhaité pour vous le moment auquel nous touchons! La Comtesse, étouffée. O mon ami! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice! celui de la naissance de mon malheureux fils! A cette époque, tous les ans, leur consacrant cette journée, je demandais pardon au ciel, et je m'abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le témoignage qu'il y eut entre nous plus d'erreur que de crime. Ah! faut-il donc brûler tout ce qui me reste de lui? Bégearss Quoi! madame, détruisez-vous ce fils qui vous le représente? Ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le préserve de mille affreux dangers? Vous vous le devez à vous-même, et la sécurité de votre vie entière est attachée peut-être à cet acte imposant! Il ouvre le secret de l'écrin et en tire les lettres. La Comtesse, surprise. Monsieur Bégearss, vous l'ouvrez mieux que moi!... Que je les lise encore! Bégearss, sévèrement. Non, je ne le permettrai pas. La Comtesse Seulement la dernière, où, traçant ses tristes adieux du sang qu'il répandit pour moi, il m'a donné la leçon du courage dont j'ai tant besoin aujourd'hui. Bégearss, s'y opposant. Si vous lisez un mot, nous ne brûlerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines! ou, si vous n'osez l'accomplir, c'est à moi d'être fort pour vous. Les voilà toutes dans le feu. Il y jette le paquet. La Comtesse, vivement. Monsieur Bégearss! cruel ami! c'est ma vie que vous consumez! Qu'il m'en reste au moins un lambeau. Elle veut se précipiter sur les lettres enflammées. - Bégearss la retient à bras-le-corps. Bégearss J'en jetterai la cendre au vent. Scène VII Suzanne, Le Comte, Figaro, La Comtesse, Bégearss. Suzanne accourt. C'est monsieur, il me suit; mais amené par Figaro. Le Comte, les surprenant en cette posture. Qu'est-ce donc que je vois, madame! D'où vient ce désordre? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers? Pourquoi ce débat et ces pleurs? Bégearss et la Comtesse restent confondus. Vous ne répondez point? Bégearss se remet, et dit d'un ton pénible. J'espère, monsieur, que vous n'exigez pas qu'on s'explique devant vos gens. J'ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi madame! Quant à moi, je suis résolu de soutenir mon caractère en rendant un hommage pur à la vérité, quelle qu'elle soit. Le Comte, à Figaro et à Suzanne. Sortez tous deux. Figaro Mais, monsieur, rendez-moi du moins la justice de déclarer que je vous ai remis le récépissé du notaire sur le grand objet de tantôt. Le Comte Je le fais volontiers, puisque c'est réparer un tort. A Bégearss. Soyez certain, monsieur, que voilà le récépissé. Il le remet dans sa poche. - Figaro et Suzanne sortent chacun de leur côté. Figaro, bas à Suzanne, en s'en allant. S'il échappe à l'explication!... Suzanne, bas. Il est bien subtil! Figaro, bas. Je l'ai tué! Scène VIII La Comtesse, Le Comte, Bégearss. Le Comte, d'un ton sérieux. Madame, nous sommes seuls. Bégearss, encore ému. C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, monsieur, trahir la vérité dans quelque occasion que ce fût? Le Comte, sèchement. Monsieur... je ne dis pas cela. Bégearss, tout à fait remis. Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu décente, l'honneur m'oblige à répéter ce que je disais à madame, en répondant à sa consultation "Tout dépositaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait à s'en défaire, et quelque intérêt même qu'on eût à les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." Il montre Le Comte. Un accident inopiné ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur? Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin. Auriez-vous dit, monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser à moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous surtout, monsieur Le Comte! Le Comte lui fait un signe. Voilà sur la demande que m'a faite madame, et sans chercher à pénétrer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sévère exécution duquel je l'ai vue manquer de courage; je n'ai pas hésité d'y substituer le mien, en combattant ses délais imprudents. Voilà quels étaient nos débats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. Il lève les bras. Sainte amitié! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austères devoirs. - Permettez que je me retire. Le Comte, exalté. O le meilleur des hommes! Non, vous ne nous quitterez ras. - Madame, il va nous appartenir de plus près; je lui donne ma Florestine. La Comtesse, avec vivacité. Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nécessaire et le plus tôt vaudra le mieux. Le Comte, hésitant. Eh bien!... ce soir... sans bruit... votre aumônier... La Comtesse, avec ardeur. Eh bien! moi qui lui sers de mère, je vais la préparer à l'auguste cérémonie mais laisserez-vous votre ami seul généreux envers ce digne enfant? J'ai du plaisir à penser le contraire. Le Comte, embarrassé. Ah! madame... croyez... La Comtesse, avec joie. Oui, monsieur, je le crois. C'est aujourd'hui la fête de mon fils; ces deux événements réunis me rendent cette journée bien chère. Elle sort. Scène IX Le Comte, Bégearss Le Comte, la regardant aller. Je ne reviens pas de mon étonnement. Je m'attendais à des débats, à des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, généreuse envers mon enfant! Moi qui lui sers de mère, dit-elle... Non, ce n'est point une méchante femme! elle a dans ses actions une dignité qui m'impose... un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois à moi-même, pour la surprise que j'ai montrée en voyant brûler ces papiers. Bégearss Quant à moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflé que j'étais là pour trahir vos secrets? De si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur je les vois ramper loin de moi. Mais, après tout, monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez-vous pas pris malgré moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plût au ciel qu'elle m'eût consulté plus tôt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans réplique! Le Comte, avec douleur. Oui, sans réplique! Avec ardeur. Otons-les de mon sein elles me brûlent la poitrine. Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche. Bégearss continue avec douceur. Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi; car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras. Le Comte, reprend sa fureur. Lui dans mes bras? jamais! Bégearss Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste près d'elle, puis-je m'unir à cette enfant, qui, peut-être éprise elle-même, ne cédera qu'à son respect pour vous? La délicatesse blessée... Le Comte Mon ami, je t'entends! et ta réflexion me décide à le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards. Mais comment entamer ce sujet avec elle? Voudra-t-elle s'en séparer? Il faudra donc faire un éclat? Bégearss Un éclat!... non... mais le divorce, accrédité chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen. Le Comte Moi, publier ma honte! Quelques lâches l'ont fait! c'est le dernier degré de l'avilissement du siècle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent! Bégearss J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s'agit d'un fils... Le Comte Dites d'un étranger, dont je vais hâter le départ. Bégearss N'oubliez pas cet insolent valet. Le Comte J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voila, mes trois millions d'or déposés. Alors tu peux à juste titre être généreux au contrat, qu'il nous faut brusquer aujourd'hui... car te voilà bien possesseur... Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent. Et ce soir à minuit, sans bruit, dans la chapelle de madame... On n'entend pas le reste. Acte quatrième Le théâtre représente le même cabinet de la Comtesse. Scène I Figaro, seul, agité, regardant de côté et d'autre. Elle me dit "Viens à six heures au cabinet c'est le plus sûr pour nous parler..." Je brusque tout dehors, et Je rentre en sueur! Où est-elle? Il se promène en s'essuyant. Ah! parbleu, je ne suis pas fout je les ai vus sortir d'ici, monsieur le tenant sous le bras!... Eh bien! pour un échec, abandonnons-nous la partie? Un orateur fuit-il lâchement la tribune pour un argument tué sous lui? Mais quel détestable endormeur! Vivement. Parvenir à brûler les lettres de madame, pour qu'elle ne voie pas qu'il en manque; et se tirer d'un éclaircissement!... C'est l'enfer concentré tel que Milton nous l'a dépeint! D'un ton badin. J'avais raison tantôt, dans ma colère Honoré Bégearss est le diable que les Hébreux nommaient Légion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mère, que les démons ne peuvent déguiser. Il rit. Ah! ah! ah! ma gaieté me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sûreté chez Fal; ce qui nous donnera du temps. Il frappe d'un billet sur sa main; et puis... Docteur en toute hypocrisie! Vrai major d'infernal Tartuffe! grâce au hasard qui régit tout, à ma tactique, à quelques louis semés, voici qui me promet une lettre de toi, où, dit-on, tu poses le masque, à ne rien laisser désirer! Il ouvre le billet et dit Le coquin qui l'a lue en veut cinquante louis?... eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une année de mes gages sera bien employée, si je parviens à détromper un maÃtre à qui nous devons tant... Mais où es-tu, Suzanne, pour en rire? O che piacere!... A demain donc! car je ne vois pas que rien périclite ce soir... Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti... Très vivement. Point de délai, courons attacher le pétard, dormons dessus la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre. Scène II Bégearss, Figaro. Bégearss, raillant. Eeeh! c'est mons Figaro! La place est agréable, puisqu'on y retrouve monsieur. Figaro, du même ton. Ne fût-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois. Bégearss De la rancune pour si peu! Vous êtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie? Figaro Et celle de monsieur est de ne plaider qu'à huis clos? Bégearss, lui frappant sur l'épaule. Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner. Figaro Chacun se sert des petits talents que le ciel lui a départis. Bégearss Et l'intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici? Figaro Ne mettant rien à la partie, j'ai tout gagné... si je fais perdre l'autre. Bégearss, piqué. On verra le jeu de monsieur. Figaro Ce n'est pas de ces coups brillants qui éblouissent la galerie. Il prend un air niais. Mais chacun pour soi, Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon, Bégearss, souriant. Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi le soleil luit pour tout le monde? Figaro, fièrement. Oui, en dardant sur le serpent prêt à mordre la main de son imprudent bienfaiteur! Il sort. Scène III Bégearss, seul, le regardant aller. Il ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? Bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il était instruit qu'à minuit... Il cherche dans ses poches vivement. Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. Il lit. "Reçu de monsieur Fal, notaire, les trois millions d'or spécifiés dans le bordereau ci-dessus. A Paris, le... Almaviva." - C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore... Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force à s'expliquer... brutalement. Il se promène. - Diable! ne risquons pas ce soir un dénouement aussi scabreux! En précipitant trop les choses, on se précipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serré le doux lien sacramentel qui va les enchaÃner à moi! Il appuie ses deux mains sur sa poitrine. Eh bien, maudite joie, qui me gonfles le coeur! ne peux-tu donc te contenir?... Elle m'étouffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'évaporer pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crédulité! l'époux te doit la magnifique dot! Pâle déesse de la nuit, il te devra bientôt sa froide épouse. Il frotte ses mains de joie. Bégearss! heureux Bégearss!... Pourquoi l'appelez-vous Bégearss? n'est-il donc pas plus d'à moitié le seigneur Comte Almaviva? D'un ton terrible. Encore un pas, Bégearss! et tu l'es tout à fait. - Mais il te faut auparavant... Ce Figaro pèse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!... Le moindre trouble me perdrait... Ce valet-là me portera malheur... C'est le plus clairvoyant coquin!... Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant! Scène IV Bégearss, Suzanne. Suzanne, accourant, fait un cri d'étonnement de voir un autre que Figaro. Ah! A part. Ce n'est pas lui! Bégearss Quelle surprise? Et qu'attendais-tu donc? Suzanne, se remettant. Personne. On se croit seule ici... Bégearss Puisque je t'y rencontre, un mot avant le comité. Suzanne Que parlez-vous de comité? Réellement, depuis deux ans, on n'entend plus du tout la langue de ce pays. Bégearss, riant sardoniquement. Hé! hé! Il pétrit dans sa boÃte une prise de tabac, d'un air content de lui. Ce comité, ma chère, est une conférence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais. Suzanne Après la scène que j'ai vue, osez-vous encore l'espérer? Bégearss, bien fat. Oser l'espérer!... Non. Mais seulement... je l'épouse ce soir. Suzanne, virement. Malgré son amour pour Léon? Bégearss Bonne femme, qui me disais Si vous faites cela, monsieur... Suzanne Eh! qui eût pu l'imaginer? Bégearss, prenant son tabac en plusieurs fois. Enfin que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intérieur, qui as l'honneur des confidences, y pense-t-on du bien de moi? car c'est là le point important. Suzanne L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits. Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme, ma maÃtresse vous porte aux nues, son fils n'a d'espoir qu'en vous seul, notre pupille vous révère!... Bégearss, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot. Et toi, Suzanne, qu'en dis-tu? Suzanne Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du désordre affreux que vous entretenez ici, vous seul êtes calme et tranquille; il me semble entendre un génie qui fait tout mouvoir à son gré. Bégearss, bien fat. Mon enfant, rien n'est plus aisé. D'abord, il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste à être juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routinières, Suzanne Quant à la politique?... Bégearss, avec chaleur. Ah! c'est l'art de créer des faits, de dominer, en se jouant les événements et les hommes; l'intérêt est son but, l'intrigue son moyen toujours sobre de vérités, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui éblouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brûle et gronde longtemps avant d'éclater au-dehors; mais alors rien ne lui résiste. Elle exige de hauts talents le scrupule seul peut lui nuire; en riant c'est le secret des négociateurs. Suzanne Si la morale ne vous échauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme! Bégearss, averti, revient a lui. Eh!... ce n'est pas elle; c'est toi! - Ta comparaison d'un génie... - Le chevalier vient; laisse-nous. Scène V Léon, Bégearss. Léon Monsieur Bégearss, je suis au désespoir! Bégearss, d'un ton protecteur. Qu'est-il arrivé, jeune ami? Léon Mon père vient de me signifier, avec une dureté!... que j'eusse à faire, sous deux jours, tous les apprêts de mon départ pour Malte. Point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous. Bégearss Cette conduite est en effet bizarre pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pénétré, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable Malte et vos voeux ne sont que le prétexte; un amour qu'il redoute est son véritable motif. Léon, avec douleur. Mais, mon ami, puisque vous l'épousez? Bégearss, confidentiellement. Si son frère le croit utile à suspendre un fâcheux départ!... Je ne verrais qu'un seul moyen... Léon O mon ami! dites-le-moi. Bégearss Ce serait que madame votre mère vainquÃt cette timidité qui l'empêche, avec lui, d'avoir une opinion à elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractère trop ferme. - Supposons qu'on lui ait donné quelque prévention injuste qui a le droit, comme une mère, de rappeler un père à la raison? Engagez-la à le tenter... non pas aujourd'hui, mais... demain, et sans y mettre de faiblesse, Léon Mon ami, vous avez raison cette crainte est son vrai motif. Sans doute, il n'y a que ma mère qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle... que je n'ose plus adorer. Avec douleur. O mon ami! rendez-la bien heureuse! Bégearss, caressant. En lui parlant tous les jours de son frère. Scène VI La Comtesse, Florestine, Bégearss, Suzanne, Léon. La Comtesse, coiffée, parée, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de même couleur. Suzanne, donne mes diamants. Suzanne va les chercher. Bégearss, affectant de la dignité. Madame, et vous mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. Hélas! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir à tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez mais, soit que mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma déclaration que toute la fortune dont je viens d'hériter lui est destinée de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes mademoiselle choisira. Après ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma présence ici gênât un parti qu'elle doit rendre en toute liberté mais, quel qu'il soit, ô mes amis! sachez qu'il est sacré pour moi je l'adopte sans restrictions. Il salue profondément et sort. Scène VII La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse le regarde aller. C'est un ange envoyé du ciel pour réparer tous nos malheurs. Léon, avec une douleur ardente. O Florestine! il faut céder ne pouvant être l'un à l'autre, nos premiers élans de douleur nous avaient fait jurer de n'être jamais à personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout à fait vous perdre, puisque je retrouve une soeur où j'espérais posséder une épouse. Nous pourrons encore nous aimer. Scène VIII La Comtesse, Léon, Florestine, Suzanne. Suzanne apporte l'écrin. La Comtesse, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder. Florestine! épouse Bégearss, ses procédés l'en rendent digne et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parrain, il faut l'achever aujourd'hui. Suzanne sort et emporte l'écrin. Scène IX La Comtesse, Léon, Florestine. La Comtesse, à Léon. Nous, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine! Florestine, pleurant. Ayez pitié de moi, madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer à moi-même et me livrer... Je meurs de douleur et d'effroi. Dénuée d'objections contre monsieur Bégearss, je sens mon coeur à l'agonie en pensant qu'il peut devenir... Cependant il le faut, il faut me sacrifier au bien de ce frère chéri, à son bonheur... que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitié de nous..., bénissez vos enfants! ils sont bien malheureux! Elle se jette à genoux. Léon en fait autant. La Comtesse, leur imposant les mains. Je vous bénis, mes chers enfants. Ma Florestine, je t'adopte. Si tu savais à quel point tu m'es chère! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-là peut dédommager des autres. Ils se relèvent. Florestine Mais, croyez-vous, madame, que mon dévouement le ramène à Léon, à son fils? car il ne faut pas se flatter son injuste prévention va quelquefois jusqu'à la haine. La Comtesse Chère fille, j'en ai l'espoir. Léon C'est l'avis de monsieur Bégearss il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opérer ce miracle. Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur? La Comtesse Je l'ai tenté souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent. Léon O ma digne mère! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empêchée d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous êtes entourée. Si vous lui parliez avec force, il ne vous résisterait pas. La Comtesse Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presque autant que son injustice. Mais pour que vous ne gêniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de là , plaider une cause si juste vous n'accuserez plus une mère de manquer d'énergie quand il faut défendre son fils! Elle sonne. Florestine, la décence ne te permet pas de rester va t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succès et rende enfin la paix à ma famille désolée. Florestine sort. Scène X Suzanne, La Comtesse, Léon. Suzanne Que veut madame? elle a sonné. La Comtesse Prie monsieur, de ma part, de passer un moment ici. Suzanne, effrayée. Madame! vous me faites trembler! Ciel! que va-t-il donc se passer? Quoi! monsieur qui ne vient jamais... sans... La Comtesse Fais ce que je te dis, Suzanne, et ne prends nul souci du reste. Suzanne sort, en levant les bras au ciel de terreur. Scène XI La Comtesse, Léon. La Comtesse Vous allez voir, mon fils, si votre mère est faible en défendant vos intérêts! Mais laissez-moi me recueillir, me préparer, par la prière, à cet important plaidoyer. Léon entre au cabinet de sa mère. Scène XII La Comtesse, seule, une genou sur son fauteuil. Ce moment me semble terrible comme le jugement dernier! Mon sang est prêt à s'arrêter... O mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! Plus bas. Vous seul connaissez les motifs qui m'ont toujours fermé la bouche! Ah! s'il ne s'agissait du bonheur de mon fils, vous savez, ô mon Dieu! si j'oserais dire un seul mot pour moi! Mais enfin, s'il est vrai qu'une faute pleurée vingt ans ait obtenu de vous un pardon généreux, comme un ami sage m'en assure, ô mon Dieu, donnez-moi la force de frapper au coeur d'un époux! Scène XIII La Comtesse, Le Comte, Léon caché. Le Comte, sèchement. Madame, on dit que vous me demandez? La Comtesse, timidement. J'ai cru, monsieur, que nous serions plus libres dans ce cabinet que chez vous. Le Comte M'y voilà , madame; parlez. La Comtesse, tremblante. Asseyons-nous, monsieur, je vous conjure, et prêtez-moi votre attention. Le Comte, impatient, Non, j'entendrai debout; vous savez qu'en parlant je ne saurais tenir en place. La Comtesse, s'asseyant, avec un soupir, et parlant bas. Il s'agit de mon fils... monsieur. Le Comte, brusquement. De votre fils, madame? La Comtesse Et quel autre intérêt pourrait vaincre ma répugnance à engager un entretien que vous ne recherchez jamais? Mais je viens de le voir dans un état à faire compassion l'esprit troublé, le coeur serré de l'ordre que vous lui donnez de partir sur-le-champ; surtout du ton de dureté qui accompagne cet exil. Eh! comment a-t-il encouru la disgrâce d'un p... d'un homme si juste? Depuis qu'un exécrable duel nous a ravi notre autre fils... Le Comte, les mains sur le visage, avec un air de douleur. Ah!... La Comtesse Celui-ci, qui jamais ne dût connaÃtre le chagrin, a redoublé de soins et d'attentions pour adoucir l'amertume des nôtres! Le Comte, se promenant doucement. Ah!... La Comtesse Le caractère emporté de son frère, son désordre, ses goûts et sa conduite déréglée nous en donnaient souvent de bien cruels. Le ciel sévère, mais sage en ses décrets, en nous privant de cet enfant, nous en a peut-être épargné de plus cuisants pour l'avenir. Le Comte, avec douleur. Ah!... ah!... La Comtesse Mais enfin, celui qui nous reste a-t-il jamais manqué à ses devoirs? Jamais le plus léger reproche fut-il mérité de sa part? Exemple des hommes de son âge, il a l'estime universelle il est aimé, recherché, consulté. Son p... protecteur naturel, mon époux seul, paraÃt avoir les yeux fermés sur un mérite transcendant, dont l'éclat frappe tout le monde. Le Comte se promène plus vite sans parler. - La Comtesse, prenant courage de son silence, continue d'un ton plus ferme, et l'élève par degrés. En tout autre sujet, monsieur, je tiendrais à fort grand honneur de vous soumettre mon avis, de modeler mes sentiments, ma faible opinion sur la vôtre; mais il s'agit... d'un fils... Le Comte s'agite en marchant. Quand il avait un frère aÃné, l'orgueil d'un très grand nom le condamnant au célibat, l'ordre de Malte était son sort. Le préjugé semblait alors couvrir l'injustice de ce partage entre deux fils timidement égaux en droits. Le Comte s'agite plus fort. A part, d'un ton étouffé. Egaux en droits!... La Comtesse, un peu plus fort. Mais depuis deux années qu'un accident affreux... les lui a tous transmis, n'est-il pas étonnant que vous n'ayez rien entrepris pour le relever de ses voeux? Il est de notoriété que vous n'avez quitté l'Espagne que pour dénaturer vos biens, par la vente ou par des échanges. Si c'est pour l'en priver, monsieur, la haine ne va pas plus loin! Puis, vous le chassez de chez vous, et semblez lui fermer la maison p... par vous habitée. Permettez-moi de vous le dire, un traitement aussi étrange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu'a-t-il fait pour le mériter? Le Comte s'arrête; d'un ton terrible. Ce qu'il a fait! La Comtesse, effrayée. Je voudrais bien, monsieur, ne pas vous offenser! Le Comte, plus fort. Ce qu'il a fait, madame? Et c'est vous qui le demandez? La Comtesse, en désordre. Monsieur, monsieur! vous m'effrayez beaucoup! Le Comte, avec fureur. Puisque vous avez provoqué l'explosion du ressentiment qu'un respect humain enchaÃnait, vous entendrez son arrêt et le vôtre. La Comtesse, plus troublée. Ah! monsieur! Ah! monsieur! Le Comte Vous demandez ce qu'il a fait? La Comtesse, levant les bras. Non, monsieur, ne me dites rien! Le Comte, hors de lui. Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-même! et comment, recevant un adultère dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant étranger, que vous osez nommer mon fils! La Comtesse, au désespoir, veut se lever. Laissez-moi m'enfuir, je vous prie. Le Comte, la clouant sur son fauteuil. Non, vous ne fuirez pas; vous n'échapperez point à la conviction qui vous presse. Lui montrant sa lettre. Connaissez-vous cette écriture? Elle est tracée de votre main coupable! et ces caractères sanglants qui lui servirent de réponse... La Comtesse, anéantie. Je vais mourir! je vais mourir! Le Comte, avec force. Non, non! vous entendrez les traits que j'en ai soulignés! Il lit avec égarement. "Malheureux insensé! notre sort est rempli; votre crime, le mien, reçoit sa punition. Aujourd'hui, jour de saint Léon, patron de ce lieu et le vôtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon désespoir..." Il parle. Et cet enfant est né le jour de saint Léon, plus de dix mois après mon départ pour la Vera-Cruz! Pendant qu'il lit très fort, on entend la Comtesse, égarée, dire des mots coupés qui partent du délire. La Comtesse, priant, les mains jointes. Grand Dieu! tu ne permets donc pas que le crime le plus caché demeure toujours impuni! Le Comte ... Et de la main du corrupteur. Il lit. "L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sûr." La Comtesse, priant. Frappe, mon Dieu, car je l'ai mérité! Le Comte, lit. "Si la mort d'un infortuné vous inspirait un reste de pitié, parmi les noms qu'on va donner à ce fils, héritier 'un autre..." La Comtesse, priant. Accepte l'horreur que j'éprouve, en expiation de ma faute! Le Comte, lit. "Puis-je espérer que le nom de Léon..." Il parle. Et ce fils s'appelle Léon! La Comtesse, égarée, les yeux fermés. O Dieu! mon crime fut bien grand, s'il égala ma punition! Que ta volonté s'accomplisse! Le Comte, plus fort. Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon éloignement pour lui? La Comtesse, priant toujours. Qui suis-je pour m'y opposer, lorsque ton bras s'appesantit? Le Comte Et, lorsque vous plaidez pour l'enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait! La Comtesse, en le détachant, le regarde. Monsieur, monsieur, je le rendrai; je sais que je n'en suis pas digne. Dans le plus grand égarement. Ciel! que m'arrive-t-il? Ah! je perds la raison! Ma conscience troublée fait naÃtre des fantômes! - Réprobation anticipée! - Je vois ce qui n'existe pas... Ce n'est plus vous, c'est lui qui me fait signe de le suivre, d'aller le rejoindre au tombeau! Le Comte, effrayé. Comment? Eh bien! non, ce n'est pas... La Comtesse, en délire. Ombre terrible! éloigne-toi!... Le Comte crie avec douleur. Ce n'est pas ce que vous croyez! La Comtesse jette le bracelet par terre. Attends... Oui, je t'obéirai... Le Comte, plus troublé. Madame, écoutez-moi... La Comtesse J'irai... Je t'obéis... Je meurs. Elle reste évanouie. Le Comte, effrayé, ramasse le bracelet. J'ai passé la mesure. Elle se trouve mal... Ah! Dieu, courons lui chercher du secours. Il sort, il s'enfuit. - Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse à terre. Scène XIV Léon, accourant; La Comtesse, évanouie. Léon, avec force. O ma mère! ma mère! c'est moi qui te donne la mort! Il l'enlève et la remet sur son fauteuil, évanouie. Que ne suis-je parti sans rien exiger de personne! j'aurais prévenu ces horreurs! Scène XV Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie. Le Comte, en rentrant, s'écrie Et son fils! Léon, égaré. Elle est morte! Ah! je ne lui survivrai pas! Il l'embrasse en criant. Le Comte, effrayé. Des sels! des sels! Suzanne! Un million si vous la sauvez! Léon O malheureuse mère! Suzanne Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, monsieur; je vais tâcher de la desserrer. Le Comte, égaré. Romps tout, arrache tout! Ah! j'aurais dû la ménager! Léon, criant avec délire. Elle est morte! elle est morte! Scène XVI Le Comte, Suzanne, Léon, La Comtesse, évanouie, Figaro, accourant. Figaro Eh! qui morte? madame? Apaisez donc ces cris! c'est vous qui la ferez mourir! Il lui prend le bras. Non, elle ne l'est pas ce n'est qu'une suffocation; le sang qui monte avec violence. Sans perdre de temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu'il lui faut. Le Comte, hors de lui. Des ailes, Figaro! ma fortune est à toi. Figaro, vivement. J'ai bien besoin de vos promesses lorsque madame est en péril! Il sort en courant. Scène XVII Le Comte, Léon, La Comtesse, évanouie, Suzanne. Léon, lui tenant le flacon sous le nez. Si l'on pouvait la faire respirer! O Dieu! rends-moi ma malheureuse mère!... La voici qui revient. Suzanne, pleurant. Madame! allons, madame!... La Comtesse, revenant à elle. Ah! qu'on a de peine à mourir! Léon, égaré. Non, maman, vous ne mourrez pas! La Comtesse, égarée. O ciel! Entre mes juges! entre mon époux et mon fils! tout est connu... et, criminelle envers tous deux... Elle se jette à terre et se prosterne. Vengez-vous l'un et l'autre! Il n'est plus de pardon pour moi! Avec horreur. Mère coupable! épouse indigne! un instant nous a tous perdus. J'ai mis l'horreur dans ma famille! j'allumai la guerre intestine entre le père et les enfants! Ciel juste, il Fallait bien que ce crime fût découvert! Puisse ma mort expier mon forfait! Le Comte, au désespoir. Non, revenez à vous! votre douleur a déchiré mon âme! Asseyons-la, Léon!... mon fils! Léon fait un grand mouvement. Suzanne, asseyons-la. Ils la remettent sur le fauteuil. Scène XVIII Les Précédents, Figaro. Figaro, accourant. Elle a repris sa connaissance? Suzanne Ah! Dieu! j'étouffe aussi. Elle se desserre. Le Comte crie. Figaro! vos secours! Figaro, étouffé. Un moment, calmez-vous. Son état n'est plus si pressant. Moi qui étais dehors, grand Dieu! Je suis rentré bien à propos!... Elle m'avait fort effrayé! Allons, madame, du courage! La Comtesse, priant, renversée. Dieu de bonté, fais que je meure! Léon, en l'asseyant mieux. Non, maman, vous ne mourrez pas, et nous réparerons nos torts. Monsieur! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens; je n'y avais nul droit hélas! je l'ignorais. Mais, par pitié, n'écrasez point d'un déshonneur public cette infortunée qui fut vôtre... Une erreur expiée par vingt années de larmes est-elle encore un crime, a lors qu'on fait justice? Ma mère et moi, nous nous bannissons de chez vous. Le Comte, exalté. Jamais! Vous n'en sortirez point. Léon Un couvent sera sa retraite; et moi, sous mon nom de Léon, sous le simple habit d'un soldat, je défendrai la liberté de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zélé citoyen. Suzanne pleure dans un coin; Figaro est absorbé dans l'autre. La Comtesse, péniblement. Léon! mon cher enfant! ton courage me rend la vie. Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas détester sa mère. Cette fierté dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'épousa sans biens; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence, et toi, tu serviras l'Etat. Le Comte, avec désespoir. Non, Rosine! jamais! C'est moi qui suis le vrai coupable! De combien de vertus je privais ma triste vieillesse! La Comtesse Vous en serez enveloppé. - Florestine et Bégearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chéri de votre coeur!... Le Comte, étonné. Comment?... d'où savez-vous?... qui vous l'a dit?... La Comtesse Monsieur, donnez-lui tous vos biens; mon fils et moi n'y mettrons point d'obstacle; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous séparer, que j'obtienne au moins une grâce! Apprenez-moi comment vous êtes possesseur d'une lettre que je croyais brûlée avec les autres? Quelqu'un m'a-t-il trahie? Figaro, s'écriant. Oui! l'infâme Bégearss! Je l'ai surpris tantôt qui la remettait à monsieur. Le Comte, parlant vite. Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, nous examinions votre écrin, sans nous douter qu'il eût un double fond. Dans le débat, et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, à son très grand étonnement. Il a cru le coffre brisé! Figaro, criant plus fort. Son étonnement d'un secret? Monstre! c'est lui qui l'a fait faire! Le Comte Est-il possible? La Comtesse Il est trop vrai! Le Comte Des papiers frappent nos regards; il en ignorait l'existence; et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusé de les voir. Suzanne, s'écriant. Il les a lus cent fois avec madame! Le Comte Est-il vrai? Les connaissait-il? La Comtesse Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armée, lorsqu'un infortuné mourut. Le Comte Cet ami sûr, instruit de tout?... Figaro, La Comtesse, Suzanne, ensemble, criant. C'est lui! Le Comte O scélératesse infernale! Avec quel art il m'avait engagé! A présent je sais tout. Figaro Vous le croyez! Le Comte Je connais son affreux projet. Mais, pour en être plus certain, déchirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine? La Comtesse, vite. Lui seul m'en a fait confidence. Léon, vite. Il me l'a dit sous le secret. Suzanne, vite. Il me l'a dit aussi. Le Comte, avec horreur. O monstre! Et moi j'allais la lui donner! mettre ma fortune en ses mains! Figaro, vivement. Plus d'un tiers y serait déjà , si je n'avais porté, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dépôt chez monsieur Fal; vous alliez l'en rendre le maÃtre; heureusement je m'en suis douté; je vous ai donné son reçu... Le Comte, vivement. Le scélérat vient de me l'enlever pour en aller toucher la somme. Figaro, désolé. O proscription sur moi! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu! Je cours chez monsieur Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard! Le Comte, à Figaro. Le traÃtre n'y peut être encore. Figaro S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. Il veut sortir. Le Comte, vivement, l'arrête. Mais, Figaro, que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire reste enseveli dans ton sein! Figaro, avec une grande sensibilité. Mon maÃtre, il y a vingt ans qu'il est dans ce sein-là , et dix que je travaille à empêcher qu'un monstre n'en abuse! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti. Le Comte, vivement. Penserait-il se disculper? Figaro Il fera tout pour le tenter. Il tire une lettre de sa poche. Mais voici le préservatif. Lisez le contenu de cette épouvantable lettre; le secret de l'enfer est là . Vous me saurez bon gré d'avoir tout fait pour me la procurer. Il lui remet la lettre de Bégearss. Suzanne! des gouttes à ta maÃtresse. Tu sais comment je les prépare. Il lui donne un flacon. Passez-la sur sa chaise longue; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas; elle s'éteindrait dans nos mains! Le Comte, exalté. Recommencer! Je me ferais horreur! Figaro, à la Comtesse. Vous l'entendez, madame? Le voilà dans son caractère! Et c'est mon maÃtre que j'entends. Ah! je l'ai toujours dit de lui la colère, chez les bons coeurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner! Il s'enfuit. - Le Comte et Léon la prennent sous les bras, ils sortent tous. Acte cinquième Le théâtre représente le grand salon du premier acte. Scène I Le Comte, La Comtesse, Léon, Suzanne. La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand désordre de parure. Léon, soutenant sa mère. Il fait trop chaud, maman, dans l'appartement intérieur. Suzanne, avance une bergère. On l'assied. Le Comte, attendri, arrangeant les coussins. Etes-vous bien assise? Eh quoi! pleurer encore? La Comtesse, accablée. Ah! laissez-moi verser des larmes de soulagement! Ces récits affreux m'ont brisée! cette infâme lettre surtout. Le Comte, délirant. Marié en Irlande, il épousait ma fille! Et tout mon bien placé sur la banque de Londres eût fait vivre un repaire affreux jusqu'à la mort du dernier de nous tous!... Et qui sait, grand Dieu, quels moyens?... La Comtesse Homme infortuné, calmez-vous! mais il est temps de faire descendre Florestine; elle avait le coeur si serré de ce qui devait lui arriver! Va la chercher, Suzanne; et ne l'instruis de rien. Le Comte, avec dignité. Ce que j'ai dit à Figaro, Suzanne, était pour vous comme pour lui. Suzanne Monsieur, celle qui vit madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gémi de ses douleurs pour rien faire qui les accroisse! Elle sort. Scène II Le Comte, La Comtesse, Léon. Le Comte, avec un vif sentiment. Ah! Rosine, séchez vos pleurs; et maudit soit qui vous affligera! La Comtesse Mon fils! embrasse les genoux de ton généreux protecteur, et rends-lui grâce pour ta mère. Il veut se mettre à genoux. Le Comte le relève. Oublions le passé, Léon. Gardons-en le silence, et n'émouvons plus votre mère. Figaro demande un grand calme. Ah! Respectons surtout la jeunesse de Florestine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident. Scène III Florestine, Suzanne, Les Précédents. Florestine, accourant. Mon Dieu! maman, qu'avez-vous donc? La Comtesse Rien que d'agréable à t'apprendre; et ton parrain va t'en instruire. Le Comte Hélas! ma Florestine, je frémis du péril où j'allais plonger ta jeunesse. Grâce au ciel, qui dévoile tout, tu n'épouseras point Bégearss! Non, tu ne seras point la femme du plus épouvantable ingrat!... Florestine Ah! Ciel! Léon!... Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Sa soeur! Le Comte Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres, et tu étais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi. La Comtesse L'instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumières. Aimable enfant, rends grâces au ciel qui te sauve d'un tel danger. Léon Ma soeur, il nous a tous joués! Florestine, au Comte. Monsieur, il m'appelle sa soeur! La Comtesse, exaltée. Oui, Floresta, tu es à nous. C'est là notre secret chéri. Voilà ton père, voilà ton frère; et moi, je suis ta mère pour la vie. Ah! garde-toi de l'oublier jamais! Elle tend la main au Comte. Almaviva, pas vrai qu'elle est ma fille? Le Comte, exalté. Et lui, mon fils; voilà nos deux enfants. Tous se serrent dans les bras l'un de l'autre. Scène IV Figaro, M. Fal, notaire; Les Précédents. Figaro, accourant et jetant son manteau. Malédiction! Il a le portefeuille. J'ai vu le traÃtre l'emporter, quand je suis entré chez monsieur. Le Comte O monsieur Fal! vous vous êtes pressé! M. Fal, vivement. Non, monsieur, au contraire. Il est resté plus d'une heure avec moi, m'a fait achever le contrat, y insérer la donation qu'il fait. Puis il m'a remis mon reçu, au bas duquel était le vôtre, en me disant que la somme est à lui, qu'elle est un fruit d'hérédité, qu'il vous l'a remise en confiance... Le Comte O scélérat! Il n'oublie rien! Figaro Que de trembler sur l'avenir! M. Fal Avec ces éclaircissements, ai-je pu refuser le portefeuille qu'il exigeait? Ce sont trois millions au porteur. Si vous rompez le mariage et qu'il veuille garder l'argent, c'est un mal presque sans remède. Le Comte, avec véhémence. Que tout l'or du monde périsse, et que je sois débarrassé de lui! Figaro, jetant son chapeau sur un fauteuil, Dussé-je être pendu, il n'en gardera pas une obole. A Suzanne. Veille au-dehors, Suzanne. Elle sort. M. Fal Avez-vous un moyen de lui faire avouer devant de bons témoins qu'il tient ce trésor de monsieur? Sans cela, je défie qu'on puisse le lui arracher. Figaro S'il apprend par son Allemand ce qui se passe dans l'hôtel, il n'y rentrera plus. Le Comte, vivement. Tant mieux! c'est tout ce que je veux. Ah! qu'il garde le reste. Figaro, vivement. Lui laisser par dépit l'héritage de vos enfants? ce n'est pas vertu, c'est faiblesse. Léon, fâché. Figaro! Figaro, plus fort. Je ne m'en dédis point. Au Comte. Qu'obtiendra donc de vous l'attachement, si vous payez ainsi la perfidie? Le Comte, se fâchant. Mais l'entreprendre sans succès, c'est lui ménager un triomphe... Scène V Les Précédents, Suzanne. Suzanne, à la porte et criant. Monsieur Bégearss qui rentre! Elle sort. Scène VI Les Précédents, excepté Suzanne. Ils font tous un grand mouvement. Le Comte, hors de lui. Oh! traÃtre! Figaro, très vite. On ne peut plus se concerter; mais si vous m'écoutez et me secondez tous pour lui donner une sécurité profonde, j'engage ma tête au succès. M. Fal Vous allez lui parler du portefeuille et du contrat? Figaro, très vite. Non pas; il en sait trop pour l'entamer si brusquement! Il faut l'amener de plus loin à faire un aveu volontaire. Au Comte. Feignez de vouloir me chasser. Le Comte, troublé. Mais, mais... sur quoi? Scène VII Les Précédents, Suzanne, Bégearss. Suzanne, accourant. Monsieur Bégeaaaaaaarss! Elle se range près de La Comtesse. - Bégearss montre une grande surprise. Figaro, s'écrie en le voyant. Monsieur Bégearss! Humblement. Eh bien! ce n'est qu'une humiliation de plus. Puisque vous attachez à l'aveu de mes torts le pardon que je sollicite, j'espère que monsieur ne sera pas moins généreux. Bégearss, étonné. Qu'y a-t-il donc? je vous trouve assemblés! Le Comte, brusquement. Pour chasser un sujet indigne. Bégearss, plus surpris encore, voyant le notaire. Et monsieur Fal? M. Fal, lui montrant le contrat. Voyez qu'on ne perd point de temps; tout ici concourt avec vous. Bégearss, surpris. Ha! Ha!... Le Comte, impatient, à Figaro. Pressez-vous; ceci me fatigue. Pendant cette scène, Bégearss les examine l'un après l'autre avec la plus grande attention. Figaro, l'air suppliant, adressant la parole au Comte. Puisque la feinte est inutile, achevons mes tristes aveux. Oui, pour nuire à monsieur Bégearss, je répète avec confusion que je me suis mis à l'épier, le suivre et le troubler partout au Comte car monsieur n'avait pas sonné lorsque je suis entré chez lui pour savoir ce qu'on y faisait du coffre aux brillants de madame, que j'ai trouvé là tout ouvert. Bégearss Certes! ouvert à mon grand regret! Le Comte fait un mouvement inquiétant. A part. Quelle audace! Figaro, se courbant, le tire par l'habit pour l'avertir. Ah! mon maÃtre! M. Fal, effrayé. Monsieur! Bégearss, du Comte, à part. Modérez-vous, ou nous ne saurons rien. Le Comte frappe du pied; Bégearss l'examine. Figaro, soupirant, dit au Comte C'est ainsi que, sachant madame enfermée avec lui, pour brûler de certains papiers dont je connaissais l'importance, je vous ai fait venir subitement. Bégearss, au Comte. Vous l'ai-je dit? Le Comte mord son mouchoir de fureur. Suzanne, bas à Figaro, par-derrière. Achève, achève! Figaro Enfin, vous voyant tous d'accord j'avoue que j'ai fait l'impossible pour provoquer entre madame et vous la vive explication... qui n'a pas eu la fin que j'espérais... Le Comte, à Figaro, avec colère. Finissez-vous ce plaidoyer? Figaro, bien humble. Hélas! je n'ai plus rien à dire, puisque c'est cette explication qui a fait chercher monsieur Fal, pour finir ici le contrat. L'heureuse étoile de monsieur a triomphé de tous mes artifices... Mon maÃtre! en faveur de trente ans... Le Comte, avec humeur. Ce n'est pas à moi de juger. Il marche vite. Figaro Monsieur Bégearss! Bégearss, qui a repris sa sécurité, dit ironiquement Qui! moi? cher ami, je ne comptais guère vous avoir tant d'obligations! Elevant son ton. Voir mon bonheur accéléré par le coupable effort destiné à me le ravir! A Léon et Florestine. O jeunes gens! quelle leçon! Marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tôt ou tard l'intrigue est la perte de son auteur. Figaro, prosterné. Ah! Oui! Bégearss, au Comte. Monsieur, pour cette fois encore, et qu'il parte! Le Comte, à Bégearss, durement. C'est là votre arrêt?... J'y souscris. Figaro, ardemment. Monsieur Bégearss! je vous le dois. Mais je vois M. Fal pressé d'achever un contrat... Le Comte, brusquement. Les articles m'en sont connus. M. Fal Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que monsieur fait... Cherchant l'endroit. M, M, M, messire James-Honoré Bégearss... Ah! Il lit. "Et pour donner à la demoiselle future épouse une preuve non équivoque de son attachement pour elle, ledit seigneur futur époux lui fait donation entière de tous les grands biens qu'il possède; consistant aujourd'hui il appuie en lisant ainsi qu'il le déclare et les a exhibés à nous notaires soussignés, en trois millions d'or ici joints, en très bons effets au porteur." Il tend la main en lisant. Bégearss Les voilà dans ce portefeuille. Il donne le portefeuille à Fal.! Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en ôter pour fournir aux apprêts des noces. Figaro, montrant le Comte, et vivement. Monsieur a décidé qu'il payerait tout; j'ai l'ordre. Bégearss, tirant les effets de sa poche, et les remettant au notaire. En ce cas, enregistrez-les; que la donation soit entière! Figaro, retourné, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets. M. Fal, montrant Figaro. Monsieur va tout additionner, pendant que nous achèverons. Il donne le portefeuille ouvert à Figaro qui, voyant les effets, dit Figaro, l'air exalté. Et moi j'éprouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action, qu'il porte aussi sa récompense. Bégearss En quoi? Figaro J'ai le bonheur de m'assurer qu'il est ici plus d'un généreux homme. Oh! que le ciel comble les voeux de deux amis aussi parfaits! Nous n'avons nul besoin d'écrire. ,Au Comte. Ce sont vos effets au porteur oui, monsieur, je les reconnais. Entre monsieur Bégearss et vous, c'est un combat de générosité l'un donne ses biens à l'époux, l'autre les rend à sa future! Aux jeunes gens. Monsieur, mademoiselle! ah! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chérir!... Mais que dis-je? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrétion offensante? Tout le monde garde le silence. Bégearss, un peu surpris, se remet, prend son parti, et dit Elle ne peut l'être pour personne, si mon ami ne la désavoue pas; s'il met mon âme à l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-là n'a pas un bon coeur, que la gratitude fatigue, et cet aveu manquait à ma satisfaction. Montrant le Comte. Je lui dois bonheur et fortune; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre à ses pieds moi-même, en signant notre heureux contrat. Il veut le reprendre. Figaro, sautant de joie. Messieurs, vous l'avez entendu? Vous témoignerez s'il le faut. Mon maÃtre voilà vos effets; donnez-les à leur détenteur, si votre coeur l'en juge digne. Il lui remet le portefeuille. Le Comte, se levant, à Bégearss. Grand Dieu! Les lui donner! Homme cruel, sortez de ma maison l'enfer n'est pas aussi profond que vous! Grâce à ce bon vieux serviteur, mon imprudence est réparée sortez à l'instant de chez moi! Bégearss O mon ami, vous êtes encore trompé! Le Comte, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte. Et cette lettre, monstre m'abuse-t-elle aussi? Bégearss la voit; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est. Ah!... je suis joué! mais j'en aurai raison. Léon Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur. Bégearss, furieux. Jeune insensé! c'est toi qui vas payer pour tous; je t'appelle au combat. Léon, vite. J'y cours. Le Comte, vite. Léon! La Comtesse, vite. Mon fils! Florestine, Vite. Mon frère! Le Comte Léon! je vous défends... A Bégearss. Vous vous êtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez ce n'est point par cette voie-là qu'un homme comme vous doit terminer sa vie. Bégearss fait un geste affreux, sans parler. Figaro, arrêtant Léon, vivement. Non, jeune homme, vous n'irez point, monsieur votre père a raison, et l'opinion est réformée sur cette horrible frénésie on ne combattra plus ici que les ennemis de l'Etat. Laissez-le en proie à sa fureur; et s'il ose vous attaquer, défendez-vous comme d'un assassin. Personne ne trouve mauvais qu'on tue une bête enragée! Mais il se gardera de l'oser l'homme capable de tant d'horreurs doit être aussi lâche que vil! Bégearss, hors de lui. Malheureux! Le Comte, frappant du pied. Nous laissez-vous enfin? c'est un supplice de vous voir, La Comtesse est effrayée sur son siège; Florestine et Suzanne la soutiennent; Léon se réunit à elles. Bégearss, les dents serrées. Oui, morbleu! je vous laisse; mais j'ai la preuve en main de votre infâme trahison! Vous n'avez demandé l'agrément de Sa Majesté, pour échanger vos biens d'Espagne, que pour être à portée de troubler sans péril l'autre côté des Pyrénées. Le Comte O monstre! que dit-il? Bégearss Ce que je vais dénoncer à Madrid. N'y eût-il que le buste en grand d'un Washington dans votre cabinet, j'y fais confisquer tous vos biens. Figaro, criant. Certainement; le tiers au dénonciateur. Bégearss Mais pour que vous n'échangiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrêter dans ses mains l'agrément de Sa Majesté que l'on attend par ce courrier. Figaro, tirant un paquet de sa poche, s'écrie vivement L'agrément du Roi? le voici. J'avais prévu le coup je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrétariat d'ambassade. Le courrier d'Espagne arrivait! Le Comte, avec vivacité, prend le paquet. Bégearss, furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne. Adieu, famille abandonnée, maison sans moeurs et sans honneur! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frère avec sa soeur mais l'univers saura votre infamie! Il sort. Scene VIII et dernière. - Les Précédents, excepté Bégearss. Figaro, follement. Qu'il fasse des libelles, dernière ressource des lâches! il n'est plus dangereux. Bien démasqué, à bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde! Ah! monsieur Fal, je me serais poignardé s'il eût gardé les deux mille louis qu'il avait soustraits du paquet! Il reprend un ton grave. D'ailleurs, nul ne sait mieux que lui, que, par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien, qu'ils sont étrangers l'un à l'autre. Le Comte, l'embrasse et crie O Figaro!... Madame, il a raison. Léon, très vite. Dieux! maman! quel espoir! Florestine, au Comte. Eh quoi! monsieur, n'êtes-vous plus?... Le Comte, ivre de joie. Mes enfants, nous y reviendrons; et nous consulterons, sous des noms supposés, des gens de loi discrets, éclairés, pleins d'honneur. O mes enfants! Il vient un âge où les honnêtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses, font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis. Rosine c'est le nom que votre époux vous rend allons nous reposer des fatigues de la journée. Monsieur Fal! restez avec nous. Venez, mes deux enfants! Suzanne, embrasse ton mari! et que nos sujet de querelles soient ensevelis pour toujours! A Figaro. Les deux mille louis qu'il avait soustraits, je te les donne, en attendant la récompense qui t'est bien due! Figaro, vivement. A moi, monsieur? Non, s'il vous plaÃt! moi, gâter par un vil salaire le bon service que j'ai fait! Ma récompense est de mourir chez vous. Jeune, si j'ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie! O ma vieillesse, pardonne à ma jeunesse; elle s'honorera de toi. Un jour a changé notre état! plus d'oppresseur, d'hypocrite insolent; chacun a bien fait son devoir. Ne plaignons point quelques moments de trouble; on gagne assez dans les familles, quand on en expulse un méchant. FIN DU CINQUIEME ET DERNIER ACTE. Le Barbier de Séville ou La précaution inutile Lettre modérée sur la chute et la critique du Barbier de Séville L'auteur vêtu modestement et courbé présentant sa pièce au lecteur Monsieur, J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces moments heureux où, dégagé de soins, content de votre santé, de vos affaires, de votre maÃtresse, de votre dÃner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment à la lecture de mon Barbier de Séville; car il faut tout cela pour être homme amusable et lecteur indulgent. Mais si quelque accident a dérangé votre santé; si votre état est compromis; si votre belle a forfait à ses serments; si votre dÃner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier; ce n'est pas là l'instant examinez l'état de vos dépenses, étudiez le factum de votre adversaire, relisez ce traÃtre billet surpris à Rose, ou parcourez les chefs-d'oeuvre de Tissot sur la tempérance, et faites des réflexions politiques, économiques, diététiques, philosophiques ou morales. Ou si votre état est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une bergère, ouvrez le journal établi dans Bouillon avec encyclopédie, approbation et privilège, et dormez vite une heure ou deux. Quel charme aurait une production légère au milieu des plus noires vapeurs? Et que vous importe en effet si Figaro le barbier s'est bien moqué de Bartholo le médecin, en aidant un rival à lui souffler sa maÃtresse? On rit peu de la gaieté d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte. Que vous fait encore si ce barbier espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donné trop d'importance aux rêveries de mon bonnet? On ne s'intéresse guère aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiétude sur les siennes. Mais enfin tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous à souhait double estomac, bon cuisinier, maÃtresse honnête et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons donnez audience à mon Barbier. Je sens trop, monsieur, que ce n'est plus le temps où, tenant mon manuscrit en réserve, et semblable à la coquette qui refuse souvent ce qu'elle brûle toujours d'accorder, j'en faisais quelque avare lecture à des gens préférés, qui croyaient devoir payer ma complaisance par un éloge pompeux de mon ouvrage. O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire à ma dévotion, et la magie d'une lecture adroite assurant mon succès, je glissais sur le morceau faible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'oeil avec une orgueilleuse modestie, je jouissais d'un triomphe d'autant plus doux, que le jeu d'un fripon d'acteur ne m'en dérobait pas les trois quarts pour son compte. Que reste-t-il, hélas! de toute cette gibecière? A l'instant qu'il faudrait des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de Moïse y suffirait à peine, je n'ai plus même la ressource du bâton de Jacob; plus d'escamorage, de tricherie de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion théâtrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger. Ne trouvez donc pas étrange, monsieur, si, mesurant mon style à ma situation, je ne fais pas comme ces écrivains qui se donnent le ton de vous appeler négligemment lecteur, ami lecteur, cher lecteur, bénin ou benoÃt lecteur, ou de telle autre dénomination cavalière, je dirais même indécente, par laquelle ces imprudents essayent de se mettre au pair avec leur juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion J'ai toujours vu que les airs ne séduisaient personne, et que le ton modeste d'un auteur pouvait seul inspirer un peu d'indulgence à son fier lecteur. Eh! quel écrivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrais le cacher en vain; j'eus la faiblesse autrefois, monsieur, de vous présenter, en différents temps, deux tristes drames; productions monstrueuses, comme on sait! car entre la tragédie et la comédie, on n'ignore plus qu'il n'existe rien, c'est un point décidé, le maÃtre l'a dit, l'école en retentit et pour moi, j'en suis tellement convaincu que si je voulais aujourd'hui mettre au théâtre une mère éplorée, une épouse trahie, une soeur éperdue, un fils déshérité, pour les présenter décemment au public, je commencerais par leur supposer un beau royaume où ils auraient régné de leur mieux, vers l'un des archipels, ou dans tel autre coin du monde; certain après cela que l'invraisemblance du roman, l'énormité des faits, l'enflure des caractères, le gigantesque des idées et la bouffissure du langage, loin de m'être imputés à reproche, assureraient encore mon succès. Présenter des hommes d'une condition moyenne accablés et dans le malheur! fi donc! On ne doit jamais les montrer que bafoués. Les citoyens ridicules et les rois malheureux, voilà tout le théâtre existant et possible; et je me le tiens pour dit, c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne. J'ai donc eu la faiblesse autrefois, monsieur, de faire des drames qui n'étaient pas du bon genre; et je m'en repens beaucoup. Pressé depuis par les événements, j'ai hasardé de malheureux Mémoires, que mes ennemis n'ont pas trouvés du bon style, et j'en ai le remords cruel. Aujourd'hui je fais glisser sous vos yeux une comédie fort gaie, que certains maÃtres de goût n'estiment pas du bon ton; et je ne m'en console point. Peut-être un jour oserai-je affliger votre oreille d'un opéra dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon français; et j'en suis tout honteux d'avance. Ainsi, de fautes en pardons, et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie à mériter votre indulgence par la bonne foi naïve avec laquelle je reconnaÃtrai les unes en vous présentant les autres. Quant au Barbier de Séville, ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux mais on m'a fort assuré que lorsqu'un auteur était sorti, quoique échiné, vainqueur au théâtre, il ne lui manquait plus que d'être agréé par vous, monsieur, et lacéré dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires. Ma gloire est donc certaine, si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrément, persuadé que plusieurs de messieurs les journalistes ne me refuseront pas celui de leur dénigrement. Déjà l'un d'eux, établi dans Bouillon avec approbation et privilège, m'a fait l'honneur encyclopédique d'assurer à ses abonnés que ma pièce était sans plan, sans unité, sans caractères, vide d'intrigue et dénuée de comique. Un autre plus naïf encore, à la vérité sans approbation, sans privilège, et même sans encyclopédie, après un candide exposé de mon drame, ajoute au laurier de sa critique cet éloge flatteur de ma personne "La réputation du sieur de Beaumarchais est bien tombée; et les honnêtes gens sont enfin convaincus que, lorsqu'on lui aura arraché les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain corbeau noir, avec son effronterie et sa voracité." Puisqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la comédie du Barbier de Séville, pour remplir l'horoscope entier, je pousserai la voracité jusqu'à vous prier humblement, monsieur, de me juger vous-même, et sans égard aux critiques passés, présents et futurs; car vous savez que, par état, les gens de feuilles sont souvent ennemis des gens de lettres; j'aurai même la voracité de vous prévenir qu'étant saisi de mon affaire, il faut que vous soyez mon juge absolument, soit que vous le vouliez ou non; car vous êtes mon lecteur. Et vous sentez bien, monsieur, que si, pour éviter ce tracas ou me prouver que je raisonne mal, vous refusiez constamment de me lire, vous feriez vous-même une pétition de principe au-dessous de vos lumières n'étant pas mon lecteur, vous ne seriez pas celui à qui s'adresse ma requête. Que si, par dépit de la dépendance où je parais vous mettre, vous vous avisiez de jeter le livre en cet instant de votre lecture, c'est, monsieur, comme si, au milieu de tout autre jugement, vous étiez enlevé du tribunal par la mort, ou tel accident qui vous rayât du nombre des magistrats. Vous ne pouvez éviter de me juger qu'en devenant nul, négatif, anéanti, qu'en cessant d'exister en qualité de mon lecteur. Eh! quel tort vous fais-je en vous élevant au-dessus de moi? Après le bonheur de commander aux hommes, le plus grand honneur, monsieur, n'est-il pas de les juger? Voilà donc qui est arrangé. Je ne reconnais plus d'autre juge que vous; sans excepter messieurs les spectateurs, qui ne jugeant qu'en premier ressort, voient souvent leur sentence infirmée à votre tribunal. L'affaire avait d'abord été plaidée devant eux au théâtre; et, ces messieurs ayant beaucoup ri, j'ai pu penser que j'avais gagné ma cause à l'audience. Point du tout; le journaliste établi dans Bouillon prétend que c'est de moi qu'on a ri. Mais ce n'est là , monsieur, comme on dit en style de palais, qu'une mauvaise chicane de procureur mon but ayant été d'amuser les spectateurs, qu'ils aient ri de ma pièce ou de moi, s'ils ont ri de bon coeur, le but est également rempli ce que j'appelle avoir gagné ma cause à l'audience. Le même journaliste assure encore, ou du moins laisse entendre que j'ai voulu gagner quelques-uns de ces messieurs, en leur faisant des lectures particulières, en achetant d'avance leur suffrage par cette prédilection. Mais ce n'est encore là , monsieur, qu'une difficulté de publiciste allemand. Il est manifeste que mon intention n'a jamais été que de les instruire c'étaient des espèces de consultations que je faisais sur le fond de l'affaire. Que si les consultants, après avoir donné leur avis, se sont mêlés parmi les juges, vous voyez bien, monsieur, que je n'y pouvais rien de ma part, et que c'était à eux de se récuser par délicatesse, s'ils se sentaient de la partialité pour mon barbier andalou. Eh! plût au ciel qu'ils en eussent un peu conservé pour ce jeune étranger! Nous aurions eu moins de peine à soutenir notre malheur éphémère. Tels sont les hommes avez-vous du succès, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s'honorent de vous; mais gardez de broncher dans la carrière au moindre échec, ô mes amis! Souvenez-vous qu'il n'est plus d'amis. Et c'est précisément ce qui nous arriva le lendemain de la plus triste soirée. Vous eussiez vu les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir les femmes, toujours si braves quand elles protègent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'aux panaches, et baissant des yeux confus; les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma pièce, et rejetant sur ma maudite façon de lire les choses tout le faux plaisir qu'ils y avaient goûté. C'était une désertion totale, une vraie désolation. Les uns lorgnaient à gauche, en me sentant passer à droite et ne faisaient plus semblant de me voir ah! dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire "Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? car, il faut en convenir, mon ami, votre pièce est la plus grande platitude du monde. - Hélas! messieurs, j'ai lu ma platitude, en vérité, tout platement comme je l'avais faite; mais, au nom de la bonté que vous avez de me parler encore après ma chute, et pour l'honneur de votre second jugement, ne souffrez pas qu'on redonne la pièce au théâtre si, par malheur, on venait à la jouer comme je l'ai lue, on vous ferait peut-être une nouvelle tromperie, et vous vous en prendriez à moi de ne plus savoir quel jour vous eûtes raison ou tort; ce qu'à Dieu ne plaise!" On ne m'en crut point; on laissa rejouer la pièce, et pour le coup je fus prophète en mon pays. Ce pauvre Figaro, fessé par la cabale en faux-bourdon, et presque enterré le vendredi ne fit point comme Candide; il prit courage, et mon héros se releva le dimanche avec une vigueur que l'austérité d'un carême entier et la fatigue de dix-sept séances publiques n'ont pas encore altérée. Mais qui sait combien cela durera? Je ne voudrais pas jurer qu'il en fût seulement question dans cinq ou six siècles, tant notre nation est inconstante et légère! Les ouvrages de théâtre, monsieur, sont comme les enfants des hommes. Conçus avec volupté, menés à terme avec fatigue, enfantés avec douleur, et vivant rarement assez pour payer les parents de leurs soins, ils coûtent plus de chagrins qu'ils ne donnent de plaisirs. Suivez-les dans leur carrière à peine ils voient le jour, que, sous prétexte d'enflure, on leur applique les censeurs; plusieurs en sont restés en chartre. Au lieu de jouer doucement avec eux, le cruel parterre les rudoie et les fait tomber. Souvent, en les berçant, le comédien les estropie. Les perdez-vous un instant de vue, on les trouve, hélas! traÃnant partout, mais dépenaillés, défigurés, rouges d'extraits et couverts de critiques. Echappés à tant de maux, s'ils brillent un moment dans le monde, le plus grand de tous les atteint le mortel oubli les tue; ils meurent, et, replongés au néant, les voilà perdus à jamais dans l'immensité des livres. Je demandais à quelqu'un pourquoi ces combats, cette guerre animée entre le parterre et l'auteur, à la première représentation des ouvrages, même de ceux qui devaient plaire un autre jour. "Ignorez-vous, me dit-il, que Sophocle et le vieux Denys sont morts de joie d'avoir remporté le prix des vers au théâtre? Nous aimons trop nos auteurs pour souffrir qu'un excès de joie nous prive d'eux, en les étouffant aussi, pour les conserver, avons-nous grand soin que leur triomphe ne soit jamais si pur qu'ils puissent en expirer de plaisir." Quoi qu'il en soit des motifs de cette rigueur, l'enfant de mes loisirs, ce jeune, cet innocent Barbier, tarit dédaigné le premier jour, loin d'abuser le surlendemain de son triomphe, ou de montrer de l'humeur à ses critiques, ne s'en est que plus empressé de les désarmer par l'enjouement de son caractère. Exemple rare et frappant, monsieur, dans un siècle d'ergotisme, où l'on calcule tout jusqu'au rire; où la plus légère diversité d'opinions fait germer les bonnes éternelles; où tous les jeux tournent en guerre; où l'injure qui repousse l'injure est à son tour payée par l'injure, jusqu'à ce qu'une autre effaçant cette dernière en enfante une nouvelle, auteur de plusieurs autres, et propage ainsi l'aigreur à l'infini, depuis le rire jusqu'à la satiété, jusqu'au dégoût, à l'indignation même du lecteur le plus caustique. Quant à moi, monsieur, s'il est vrai, comme on l'a dit, que tous les hommes soient frères et c'est une belle idée, je voudrais qu'on pût engager nos frères les gens de lettres à laisser, en discutant, le ton rogue et tranchant à nos frères les libellistes qui s'en acquittent si bien! ainsi que les injures à nos frères les plaideurs... qui ne s'en acquittent pas mal non plus! Je voudrais surtout qu'on pût engager nos frères les journalistes à renoncer à ce ton pédagogue et magistral avec lequel ils gourmandent les fils d'Apollon, et font rire la sottise aux dépens de l'esprit. Ouvrez un journal ne semble-t-il pas voir un dur répétiteur, la férule ou la verge levée sur des écoliers négligents, les traiter en esclaves au plus léger défaut dans le devoir? Eh! mes frères, il s'agit bien de devoir ici! la littérature en est le délassement et la douce récréation. A mon égard au moins, n'espérez pas asservir dans ses jeux mon esprit à la règle il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermée, il devient si léger et badin que je ne puis que jouer avec lui. Comme un liège emplumé qui bondit sur la raquette, il s'élève, il retombe, il égaye mes yeux, repart en l'air, y fait la roue, et revient encore. Si quelque joueur adroit veut entrer en partie et ballotter à nous deux le léger volant de mes pensées, de tout mon coeur; s'il riposte avec grâce et légèreté, le jeu m'amuse et la partie s'engage. Alors on pourrait voir les coups portés, parés, reçus, rendus, accélérés, pressés, relevés même avec une prestesse, une agilité propre à réjouir autant les spectateurs qu'elle animerait les acteurs. Telle au moins, monsieur, devrait être la critique; et c'est ainsi que j'ai toujours conçu la dispute entre les gens polis qui cultivent les lettres. Voyons, je vous prie, si le journaliste de Bouillon a conservé dans sa critique ce caractère aimable et surtout de candeur pour lequel on vient de faire des voeux. "La pièce est une farce", dit-il. Passons sur les qualités. Le méchant nom qu'un cuisinier étranger donne aux ragoûts français ne change rien à leur saveur c'est en passant par ses mains qu'ils se dénaturent. Analysons la farce de Bouillon. "La pièce, a-t-il dit, n'a pas de plan." Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il échappe à la sagacité de ce critique adolescent? Un vieillard amoureux prétend épouser demain sa pupille; un jeune amant plus adroit le prévient, et ce jour même en fait sa femme à la barbe et dans la maison du tuteur. Voilà le fond, dont un eût pu faire, avec un égal succès, une tragédie, une comédie, un drame, un opéra, et caetera. L'Avare de Molière est-il autre chose? le grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une pièce, comme celui de toute autre action, dépend moins du fond des choses que des caractères qui les mettent en oeuvre. Quant à moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu'une pièce amusante et sans fatigue, une espèce d'imbroille, il m'a suffi que le machiniste au lieu d'être un noir scélérat, fût un drôle de garçon, un homme insouciant, qui rit également du succès et de la chute de ses entreprises, pour que l'ouvrage, loin de tourner en drame sérieux, devÃnt une comédie fort gaie et de cela seul que le tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au théâtre, il est résulté beaucoup de mouvement dans la pièce, et surtout la nécessité d'y donner plus de ressort aux intrigants. Au lieu de rester dans ma simplicité comique, si j'avais voulu compliquer, étendre et tourmenter mon plan à la manière tragique ou dramique, imagine-t-on que j'aurais manqué de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en scènes que la partie la moins merveilleuse? En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'à l'époque historique où la pièce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sérieusement à s'échauffer, comme qui dirait derrière la toile, entre le docteur et Figaro, sur les cent écus. Des injures on en vint aux coups. Le docteur, étrillé par Figaro, fit tomber, en se débattant, le rescille ou filet qui coiffait le barbier; et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimée à chaud sur sa tête rasée. Suivez-moi, monsieur, je vous prie. A cet aspect, moulu de coups en qu'il est, le médecin s'écrie avec transport "Mon fils! ô ciel, mon fils! mon cher fils!..." Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublé de horions sur son cher père. En effet, ce l'était. Ce Figaro, qui pour toute famille avait jadis connu sa mère, est fils naturel de Bartholo. Le médecin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon. Mais avant de les quitter, le désolé Bartholo, frater alors, a fait rougir sa spatule; il en a timbré son fils à l'occiput, pour le reconnaÃtre un jour, si jamais le sort les rassemble. La mère et l'enfant avaient passé six années dans une honorable mendicité; lorsqu'un chef de bohémiens, descendu de Luc Gauric, traversant l'Andalousie avec sa troupe, et consulté par la mère sur le destin de son fils, déroba l'enfant furtivement, et laissa par écrit cet horoscope à sa place Après avoir versé le sang dont il est né, Ton fils assommera son père infortuné; Puis, tournant sur lui-même et le fer et le crime, Il se frappe, et devient heureux et légitime. En changeant d'état sans le savoir, l'infortuné jeune homme a changé de nom sans le vouloir; il s'est élevé sous celui de Figaro il a vécu. Sa mère est cette Marceline, devenue vieille et gouvernante chez le docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolé de sa perte. Mais aujourd'hui tout s'accomplit. En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma pièce, ou plutôt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier vers Après avoir versé le sang dont il est né, Quand il étrille innocemment le docteur, après la toile tombée, il accomplit le second vers Ton fils assommera son père infortuné; A l'instant, la plus touchante reconnaissance a lieu entre le médecin, la vieille et Figaro C'est vous! C'est lui! C'est toi! C'est moi! Quel coup de théâtre! Mais le fils, au désespoir de son innocente vivacité, fond en larmes, et se donne un coup de rasoir, selon le sens du troisième vers Puis tournant sur lui-même et le fer et le crime, Il se frappe, et... Quel tableau! En n'expliquant point si, du rasoir, il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avais le choix de finir ma pièce au plus grand pathétique. Enfin, le docteur épouse la vieille; et Figaro, suivant la dernière leçon, ... devient heureux et légitime. Quel dénouement! Il ne m'en eût coûté qu'un sixième acte! Eh, quel sixième acte! Jamais tragédie au Théâtre-Français... Il suffit. Reprenons ma pièce à l'état où elle a été jouée et critiquée. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurais pu faire. "La pièce est invraisemblable dans sa conduite", a dit encore le journaliste établi dans Bouillon avec approbation et privilège. - Invraisemblable? Examinons cela par plaisir. Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai, depuis longtemps, l'honneur d'être ami particulier, est un jeune seigneur, ou, pour mieux dire, était; car l'âge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-même. Son Excellence était donc un jeune seigneur espagnol, vif, ardent, comme tous les amants de sa nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse. Il s'était mis secrètement à la poursuite d'une belle personne qu'il avait entrevue à Madrid, et que son tuteur a bientôt ramenée au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenait sous ses fenêtres à Séville, où, depuis huit jours, il cherchait à s'en faire remarquer, le hasard conduisit au même endroit Figaro le barbier. - Ah! le hasard, dira mon critique et si le hasard n'eût pas conduit ce jour-là le barbier dans cet endroit, que devenait la pièce? - Elle eût commencé, mon frère, à quelque autre époque. - Impossible, puisque le tuteur, selon vous-même, épousait le lendemain. - Alors il n'y aurait pas eu de pièce; ou, s'il y en avait eu, mon frère, elle aurait été différente. Une chose est-elle invraisemblable, parce qu'elle était possible autrement? Réellement vous avez un peu d'humeur. Quand le cardinal de Retz nous dit froidement; "Un jour j'avais besoin d'un homme; à la vérité, je ne voulais qu'un fantôme j'aurais désiré qu'il fût petit-fils de Henri le Grand; qu'il eût de longs cheveux blonds; qu'il fût beau, bien fait, bien séditieux, qu'il eût le langage et l'amour des halles; et voilà que le hasard me fait rencontrer à Paris M. de Beaufort, échappé de la prison du roi c'était justement l'homme qu'il me fallait"; va-t-on dire au coadjuteur "Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontré M. de Beaufort? Mais ceci, mais cela?" Le hasard donc conduisit en ce même endroit Figaro le barbier, beau diseur, mauvais poète, hardi musicien, grand fringueneur de guitare, et jadis valet de chambre du Comte, établi dans Séville, y faisant avec succès des barbes, des romances et des mariages; y maniant également le fer du phlébotome et le piston du pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous fallait. Et comme en toute recherche ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un désir irrité par la contradiction, le jeune amant, qui n'eût peut-être eu qu'un goût de fantaisie pour cette beauté s'il l'eût rencontrée dans le monde, en devient amoureux parce qu'elle est enfermée, au point de faire l'impossible pour l'épouser. Mais vous donner ici l'extrait entier de la pièce, monsieur, serait douter de la sagacité, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, à travers un léger dédale. Moins prévenu que le journal de Bouillon, qui se trompe, avec approbation et privilège, sur toute la conduite de cette pièce, vous verrez que tous les soins de l'amant ne sont pas destinés à remettre simplement une lettre, qui n'est là qu'un léger accessoire à l'intrigue, mais bien à s'établir dans un fort défendu par la vigilance et le soupçon, surtout à tromper un homme qui, sans cesse éventant la manoeuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'être pas désarçonné d'emblée. Et lorsque vous verrez que tout le mérite du dénouement consiste en ce que le tuteur a fermé sa porte, en donnant son passe-partout à Bazile, pour que lui seul et le notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'être étonné qu'un critique aussi équitable se joue de la confiance de son lecteur, ou se trompe, au point d'écrire, et dans Bouillon encore Le Comte s'est donné la peine de monter au balcon par une échelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermée. Enfin, lorsque vous verrez le malheureux tuteur, abusé par toutes les précautions qu'il prend pour ne le point être, à la fin forcé de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prévenir, vous laisserez au critique à décider si ce tuteur était un imbécile, de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachait tout, lorsque lui, critique, à qui l'on ne cachait rien, ne l'a pas devinée plus que le tuteur. En effet, s'il l'eût bien conçue, aurait-il manqué de louer tous les beaux endroits de l'ouvrage? Qu'il n'ait point remarqué la manière dont le premier acte annonce et déploie avec gaieté tous les caractères de la pièce, on peut lui pardonner. Qu'il n'ait pas aperçu quelque peu de comédie dans la grande scène du second acte, où, malgré la défiance et la fureur du jaloux, la pupille parvient à lui donner le change sur une lettre remise en sa présence, et à lui faire demander pardon à genoux du soupçon qu'il a montré, je le conçois encore aisément. Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la scène de stupéfaction de Bazile au troisième acte, qui a paru si neuve au théâtre, et a tant réjoui les spectateurs, je n'en suis point surpris du tout. Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras où l'auteur s'est jeté volontairement au dernier acte, en faisant avouer par la pupille à son tuteur que le Comte avait dérobé la clef de sa jalousie; et comment l'auteur s'en démêle en deux mots et sort, en se jouant, de la nouvelle inquiétude qu'il a imprimée aux spectateurs. C'est peu de chose en vérité. Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu à l'esprit que la pièce, une des plus gaies qui soient au théâtre, est écrite sans la moindre équivoque, sans une pensée, un seul mot dont la pudeur, même des petites loges, ait à s'alarmer; ce qui pourtant est bien quelque chose, monsieur, dans un siècle où l'hypocrisie de la décence est poussée presque aussi loin que le relâchement des moeurs. Très volontiers. Tout cela sans doute pouvait n'être pas digne de l'attention d'un critique aussi majeur. Mais comment n'a-t-il pas admiré ce que tous les honnêtes gens n'ont pu voir sans répandre des larmes de tendresse et de plaisir? Je veux dire la piété filiale de ce bon Figaro, qui ne saurait oublier sa mère! Tu connais donc ce tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mère, répond Figaro. Un avare aurait dit; Comme mes poches. Un petit-maÃtre eût répondu Comme moi-même; un ambitieux Comme le chemin de Versailles; et le journaliste de Bouillon Comme mon libraire; les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intéressant. Comme ma mère, a dit le fils tendre et respectueux. Dans un autre endroit encore Ah! vous êtes charmant! lui dit le tuteur. Et ce bon, cet honnête garçon qui pouvait gaiement assimiler cet éloge à tous ceux qu'il a reçus de ses maÃtresses, en revient toujours à sa bonne mère, et répond à ce mot Vous êtes charmant! - Il est vrai, monsieur, que ma mère me l'a dit autrefois. Et le journal de Bouillon ne relève point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien desséché pour ne les pas voir, ou le coeur bien dur pour ne pas les sentir. Sans compter mille autres finesses de l'art répandues à pleines mains dans cet ouvrage. Par exemple, on sait que les comédiens ont multiplié chez eux les emplois à l'infini emplois de grande, moyenne et petite amoureuse; emplois de grands, moyens et petits valets; emplois de niais, d'important, de croquant, de paysan, de tabellion, de bailli mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointé celui de bâillant. Qu'a fait l'auteur pour former un comédien peu exercé au talent d'ouvrir largement la bouche au théâtre? Il s'est donné le soin de lui rassembler, dans une seule phrase, toutes les syllabes bâillantes du français Rien... qu'en... l'en... ten... dant... parler syllabes, en effet, qui feraient bâiller un mort, et parviendraient à desserrer les dents même de l'envie! En cet endroit admirable où, pressé par les reproches du tuteur qui lui crie Que direz-vous à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? Et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle? Que leur direz-vous? Le naïf barbier répond Eh! parbleu, je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher à celui qui bâille. Réponse en effet si juste, si chrétienne et si admirable, qu'un de ces fiers critiques qui ont leurs entrées au paradis n'a pu s'empêcher de s'écrier "Diable! l'auteur a dû rester au moins huit jours à trouver cette réplique!" Et le journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautés sans nombre, use encre et papier, approbation et privilège, à mettre un pareil ouvrage au-dessous même de la critique! On me couperait le cou, monsieur, que je ne saurais m'en taire. N'a-t-il pas été jusqu'à dire, le cruel! que, pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le théâtre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'élaguer, le réduire en quatre actes, et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembours, de jeux de mots, en un mot, de bas comique? A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'ouvrage qu'il décompose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que loin d'avoir purgé la pièce d'aucun des calembours, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'auteur a fait rentrer dans les actes restés au théâtre tout ce qu'il en a pu reprendre à l'acte au portefeuille tel un charpentier économe cherche, dans ses copeaux épars sur le chantier, tout ce qui peut servir à cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage. Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait à la jeune personne, d'avoir sous les défauts d'une fille mal élevée? Il est vrai que, pour échapper aux conséquences d'une telle imputation, il tente à la rejeter sur autrui, comme s'il n'en était pas l'auteur, en employant cette expression banale; On trouve à la jeune personne, etc. On trouve!... Que voulait-il donc qu'elle fÃt? Quoi! qu'au lieu de se prêter aux vues d'un jeune amant très aimable et qui se trouve un homme de qualité, notre charmante enfant épousât le vieux podagre médecin? Le noble établissement qu'il lui destinait là ! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de monsieur, on a tous les défauts d'une fille mal élevée! En vérité si le journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delà des Pyrénées, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les dames espagnoles. Eh! qui sait si Son Excellence madame la comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son état, et vivant comme un ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertés qu'on se donne à Bouillon sur elle avec approbation et privilège? L'imprudent journaliste a-t-il au moins réfléchi que Son Excellence, ayant, par le rang de son mari, le plus grand crédit dans les bureaux, eût pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne, ou la Gazette elle-même; et que, dans la carrière qu'il embrasse, il faut garder plus de ménagements pour les femmes de qualité? Qu'est-ce que cela me fait, à moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle. Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit à la tête des gens qui prétendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq actes, je me suis mis en quatre pour ramener le public. Et quand cela serait! Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquième de son bien que de le voir aller tout entier au pillage? Mais ne tombez pas, cher lecteur... monsieur, veux-je dire, ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui ferait grand tort à votre jugement. Ma pièce, qui paraÃt n'être aujourd'hui qu'en quatre actes, est réellement et de fait, en cinq, qui sont le premier, le deuxième, le troisième, le quatrième et le cinquième, à l'ordinaire. Il est vrai que, le jour du combat, voyant les ennemis acharnés, le parterre ondulant, agité, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, précurseurs des tempêtes, ont amené plus d'un naufrage, je vins à réfléchir que beaucoup de pièces en cinq actes comme la mienne, toutes très bien faites d'ailleurs comme la mienne, n'auraient pas été au diable en entier comme la mienne, si l'auteur eût pris un parti vigoureux comme le mien. Le dieu des cabales est irrité, dis-je aux comédiens avec force Enfants! un sacrifice est ici nécessaire. Alors, faisant la part au diable, et déchirant mon manuscrit - Dieu des siffleurs, moucheurs, cracheurs, tousseurs et perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang; bois mon quatrième acte, et que ta fureur s'apaise! A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal, qui faisait pâlir et broncher les acteurs, s'affaiblir, s'éloigner, s'anéantir; l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du parterre un bravo général s'élever en circulant jusqu'aux hauts bancs du paradis. De cet exposé, monsieur, il suit que ma pièce est restée en cinq actes, qui sont le premier, le deuxième, le troisième au théâtre, le quatrième au diable et le cinquième avec les trois premiers. Tel auteur même vous soutiendra que ce quatrième acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la pièce, en ce qu'on ne l'y voit point. Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac et les modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la règle à couvert. Par le second arrangement, le diable a son affaire mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquième roue le public est content, je le suis aussi. Pourquoi le journal de Bouillon ne l'est-il pas? - Ah! pourquoi? C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées. Je me flatte, monsieur, que cela s'appelle raisonner principes, et que vous n'êtes pas mécontent de mon petit syllogisme. Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des drames hasardés depuis un siècle au théâtre. Je mets à part les lettres écrites aux comédiens, à moi-même, sans signature, et vulgairement appelées anonymes; on juge, à l'âpreté du style, que leurs auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise pièce n'est point une mauvaise action, et que telle injure convenable à un méchant homme est toujours déplacée à un méchant écrivain. Passons aux autres. Des connaisseurs ont remarqué que j'étais tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages français par un plaisant de Séville à Séville; tandis que la vraisemblance exigeait qu'il s'étayât sur les moeurs espagnoles. Ils ont raison j'y avais même tellement pensé que, pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avais d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la pièce en langage espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdrait peut-être un peu de sa gaieté pour le public de Paris; raison qui m'a déterminé à l'écrire en français en sorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le journal de Bouillon. Un autre amateur, saisissant l'instant qu'il y avait beaucoup de monde au foyer, m'a reproché, du ton le plus sérieux, que ma pièce ressemblait à On ne s'avise jamais de tout. - Ressembler, monsieur! Je tiens que ma pièce est On ne s'avise jamais de tout lui-même. - Et comment cela? - C'est qu'on ne s'était pas encore avisé de ma pièce. L'amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochait On ne s'avise jamais de tout est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien. Quelques jours après ceci est plus sérieux chez une dame incommodée, un monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchait légèrement le poignet de la dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avais lancés contre les médecins. Monsieur, lui dis-je, êtes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serais désolé qu'un badinage... - On ne peut pas moins je vois que vous ne me connaissez pas; je ne prends jamais le parti d'aucun; je parle ici pour le corps en général. - Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvait être. En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. - Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier? - A merveille, docteur, dit la dame. Le monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler aussi mal de nous? Faisons cause commune. A ce mot de docteur, je commençai à soupçonner qu'elle parlait à son médecin. - Il est vrai, madame et monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts d'autant plus aisément qu'ils tirent moins à conséquence. Eh! qui pourrait nuire à deux corps puissants dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les envieux, les belles y régneront toujours par le plaisir, et les médecins par la douleur et la brillante santé nous ramène à l'amour, comme la maladie nous rend à la médecine. Cependant je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les belles nous renvoyer aux médecins; mais plus souvent encore les médecins nous gardent, et ne nous renvoient plus aux belles. En plaisantant donc, il faudrait peut-être avoir égard à la différence des ressentiments, et songer que, si les belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient très positif. Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent. Que le commerce des belles nous les rend bientôt moins nécessaires; au lieu que l'usage des médecins finit par nous les rendre indispensables. Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre; puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'amour, plus la pâle vieillesse appartient sûrement à la médecine. Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il était juste, madame et monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les belles et de redouter les médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la Beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté. Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, mesdames; et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur, où mon dépit contre une belle allait s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au vingt-cinquième couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi, dans le vingt-sixième, amende honorable aux belles irritées Sexe charmant, si je décèle Votre coeur en proie au désir, Souvent à l'amour infidèle, Mais toujours fidèle au plaisir, D'un badinage, ô mes déesses! Ne cherchez point à vous venger Tel glose, hélas! sur vos faiblesses, Qui brûle de les partager. Quant à vous, monsieur le docteur, on sait assez que Molière... - Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus longtemps de vos lumières; mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs. Il me laissa, ma foi! la bouche ouverte avec ma phrase en l'air. - Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre docteur ne vous pardonne pas. - Le nôtre, madame! Il ne sera jamais le mien, - Eh! pourquoi? - Je ne sais; je craindrais qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire. Ce docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible, tel est mon médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites, en me donnant ses conseils qu'ils nomment des ordonnances, il remplit dignement, et sous faste, la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier à l'opposer au pédantisme. A l'infatué qui lui dit gravement "De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitées cet automne, un seul malade a péri dans mes mains", mon docteur répond en souriant; "Pour moi, j'ai prêté mes secours à plus de cent cet hiver; hélas! je n'en ai pu sauver qu'un seul." Tel est mon aimable médecin. - Je le connais. - Vous permettez bien que je ne l'échange pas contre le vôtre. Un pédant n'aura pas plus ma confiance en maladie, qu'une bégueule n'obtiendrait mon hommage en santé. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeler mon amende honorable au beau sexe, je devais lui chanter le couplet de la bégueule; il est tout fait pour lui Pour égayer ma poésie, Au hasard j'assemble des traits; J'en fais, peintre de fantaisie, Des tableaux, jamais des portraits; La femme d'esprit, qui s'en moque, Sourit finement à l'auteur Pour l'imprudente qui s'en choque, Sa colère est son délateur. - A propos de chanson, dit la dame, vous êtes bien honnête d'avoir été donner votre pièce aux Français! moi qui n'ai de petite loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un opéra-comique? Ce fut, dit-on, votre première idée. La pièce est d'un genre à comporter de la musique. - Je ne sais si elle est propre à la supporter, ou si je m'étais trompé d'abord en le supposant mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, madame, répond à tout. Notre musique dramatique ressemble trop encore à notre musique chansonnière, pour en attendre un véritable intérêt ou de la gaieté franche. Il faudra commencer à l'employer sérieusement au théâtre, quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir à la première partie d'un air après qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans un drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intérêt, et dénote un vide insupportable dans les idées. Moi qui ai toujours chéri la musique sans inconstance et même sans infidélité, souvent, aux pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur Eh! va donc, musique! pourquoi toujours répéter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabâches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poète se tue à serrer l'événement, et toi tu le délayes! Que lui sert de rendre son style énergique et pressé, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stérile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'à ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions. En effet, si la déclamation est déjà un abus de la narration au théâtre, le chant, qui est un abus de la déclamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la répétition des phrases, et voyez ce que devient l'intérêt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intérêt marche à sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors à deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle. Il est un autre art d'imitation, en général beaucoup moins avancé que la musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variété seulement, la danse élevée est déjà le modèle du chant. Voyez le superbe Vestris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractère. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paraÃt, son port libre et dégagé fait déjà lever la tête aux spectateurs. Il inspire autant de fierté qu'il promet de plaisirs. Il est parti... Pendant que le musicien redit vingt fois ses phrases et monotone ses mouvements, le danseur varie les siens à l'infini. Le voyez-vous s'avancer légèrement à petits bonds, reculer à grands pas, et faire oublier le comble de l'art par la plus ingénieuse négligence? Tantôt sur un pied, gardant le plus savant équilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il étonne, il surprend par l'immobilité de son aplomb... Et soudain, comme s'il regrettait le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du théâtre, et revient en pirouettant, avec une rapidité que l'oeil peut suivre à peine. L'air a beau recommencer, rigaudonner, se répéter, se radoter, il ne se répète point, lui! Tout en déployant les mâles beautés d'un corps souple et puissant, il peint les mouvements violents dont son âme est agitée il vous lance un regard passionné que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif et, comme s'il se lassait bientôt de vous plaire, il se relève avec dédain, se dérobe à l'oeil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naÃtre et sortir de la plus douce ivresse. Impétueux, turbulent, il exprime une colère si bouillante et si vraie, qu'il m'arrache à mon siège et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une volupté paisible, il erre nonchalamment avec une grâce, une mollesse et des mouvements si délicats, qu'il enlève autant de suffrages qu'il y a de regards attachés sur sa danse enchanteresse. Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'opéras, des mélodrames! Mais j'entends mon éternel censeur je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon qui me dit Que prétend-on par ce tableau? Je vois un talent supérieur, et non la danse en général. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas... Je l'arrête à mon tour. - Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idée de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gémissant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plâtrier qui siffle? Je le prends au haras, fier étalon, vigoureux, découplé, l'oeil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les naseaux; bondissant de désirs et d'impatience, ou fendant l'air qu'il électrise, et dont le brusque hennissement réjouit l'homme, et fait tressaillir toutes les cavales de la contrée. Tel est mon danseur. Et quand je crayonne un art, c'est parmi les grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modèles; tous les efforts du génie... Mais je m'éloigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de Séville... ou plutôt, monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberais dans le défaut reproché trop justement à nos Français, de toujours faire de petites chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. L'AUTEUR. Personnages Les habits des acteurs doivent être dans l'ancien costume espagnol. Le Comte Almaviva, grand d'Espagne, amant inconnu de Rosine, paraÃt, au premier acte, en veste et culotte de satin; il est enveloppé d'un grand manteau brun ou cape espagnole; chapeau noir rabattu, avec un ruban de couleur autour de la forme. Au deuxième acte, habit uniforme de cavalier, avec des moustaches et des bottines. Au troisième, habillé en bachelier; cheveux ronds, grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'abbé. Au quatrième acte, il est vêtu superbement à l'espagnole avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppé. Bartholo, médecin, tuteur de Rosine habit noir, court, boutonné; grande perruque; fraise et manchettes relevées; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau écarlate. Rosine, jeune personne d'extraction noble, et pupille de Bartholo; habillée à l'espagnole. Figaro, barbier de Séville en habit de majo espagnol. La tête couverte d'un rescille ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur autour de la forme, un fichu de soie attaché fort lâche à son cou, gilet et haut-de-chausse de satin, avec des boutons et boutonnières frangés d'argent; une grande ceinture de soie, les jarretières nouées avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, à grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris. Don Bazile, organiste, maÃtre à chanter de Rosine chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes. La Jeunesse, vieux domestique de Bartholo. L'Eveillé, autre valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillés en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de même, dont les manches, ouvertes aux épaules pour le passage des bras, sont pendantes par-derrière. Un Notaire. Un Alcade, homme de justice, avec une longue baguette blanche à la main. Plusieurs Alguazils et Valets avec des flambeaux. La scène est à Séville, dans la rue et sous les fenêtres de Rosine, au premier acte, et le reste de la pièce dans la maison du docteur Bartholo. Acte premier Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées sont grillées. Scène I Le Comte, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant. Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle a coutume de se montrer derrière sa jalousie est encore éloignée. N'importe; il vaut mieux arriver trop tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle... Pourquoi non? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine... Mais quoi! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? Et c'est cela même que je fuis. Je suis las des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même! Et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun! Scène II Figaro, Le Comte, caché. Figaro, une guitare sur le dos, attachée en bandoulière avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main. N° I. Bannissons le chagrin, Il nous consume Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, Réduit à languir, L'homme sans plaisir Vivrait comme un sot, Et mourrait bientôt. Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein. ... Et mourrait bientôt. Le vin et la paresse Se disputent mon coeur. Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble... Se partagent... mon coeur. Dit-on se partagent?... Eh! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante. Il chante. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. Il met un genou en terre et écrit en chantant. Se partagent mon coeur. Si l'une a ma tendresse... L'autre fait mon bonheur. Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse Si l'une... est ma maÃtresse L'autre... Eh! parbleu, j'y suis... L'autre est mon serviteur. Fort bien, Figaro!... Il écrit en chantant. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur; Si l'une est ma maÃtresse, L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. Hen, hen, quand il y aura des accompagnements là -dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis... Il aperçoit le Comte. J'ai vu cet abbé-là quelque part. Il se relève. Le Comte, à part. Cet homme ne m'est pas inconnu. Figaro Eh non, ce n'est pas un abbé! Cet air altier et noble... Le Comte Cette tournure grotesque... Figaro Je ne me trompe point; c'est le comte Almaviva. Le Comte Je crois que c'est ce coquin de Figaro. Figaro C'est lui-même, Monseigneur. Le Comte Maraud! si tu dis un mot... Figaro Oui, je vous reconnais; voilà les bontés familières dont vous m'avez toujours honoré. Le Comte Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras... Figaro Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misère. Le Comte Pauvre petit! Mais que fais-tu à Séville? je t'avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi. Figaro Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnaissance... Le Comte Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu? Figaro Je me retire. Le Comte Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promène. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi? Figaro Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire. Le Comte Dans les hôpitaux de l'armée? Figaro Non; dans les haras d'Andalousie. Le Comte, riant. Beau début! Figaro Le poste n'était pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval... Le Comte Qui tuaient les sujets du roi! Figaro Ah! Ah! il n'y a point de remède universel; mais qui n'ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats. Le Comte Pourquoi donc l'as-tu quitté? Figaro Quitté? C'est bien lui-même; on m'a desservi auprès des puissances. L'envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide... Le Comte Oh! grâce! grâce, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin. Figaro Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Cloris; que j'envoyais des énigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. Le Comte Puissamment raisonné! Et tu ne lui fis pas représenter... Figaro Je me crus trop heureux d'en être oublié, persuadé qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. Le Comte Tu ne dis pas tout. je me souviens qu'à mon service tu étais un assez mauvais sujet. Figaro Eh! mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans défaut. Le Comte Paresseux, dérangé... Figaro Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaÃt-elle beaucoup de maÃtres qui fussent dignes d'être valets? Le Comte, riant. Pas mal. Et tu t'es retiré en cette ville? Figaro Non, pas tout de suite. Le Comte, l'arrêtant. Un moment... J'ai cru que c'était elle... Dis toujours, je t'entends de reste. Figaro De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires; et le théâtre me parut un champ d'honneur... Le Comte Ah! Miséricorde! Figaro. Pendant sa réplique, le Comte regarde avec attention du côté de la jalousie. En vérité, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succès, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et d'honneur, avant la pièce, le café m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale... Le Comte Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombé! Figaro Tout comme un autre pourquoi pas? Ils m'ont sifflé; mais si jamais je puis les rassembler... Le Comte L'ennui te vengera bien d'eux? Figaro Ah! comme je leur en garde, morbleu! Le Comte Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges? Figaro On a vingt-quatre ans au théâtre; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment. Le Comte Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid. Figaro C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maÃtre. Voyant à Madrid que la république des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abÃmé de dettes et léger d'argent; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant les méchants, riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner. Le Comte Qui t'a donné une philosophie aussi gaie? Figaro L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce côté? Le Comte Sauvons-nous. Figaro Pourquoi? Le Comte Viens donc, malheureux! tu me perds. Ils se cachent. Scène III Bartholo, Rosine. La jalousie du premier étage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent à la fenêtre. Rosine Comme le grand air fait plaisir à respirer!... Cette jalousie s'ouvre si rarement... Bartholo Quel papier tenez-vous là ? Rosine Ce sont des couplets de La Précaution inutile, que mon maÃtre à chanter m'a donnés hier. Bartholo Qu'est-ce que La Précaution inutile? Rosine C'est une comédie nouvelle. Bartholo Quelque drame encore! quelque sottise d'un nouveau genre! Rosine Je n'en sais rien. Bartholo Euh, euh, les journaux et l'autorité nous en feront raison. Siècle barbare!... Rosine Vous injuriez toujours notre pauvre siècle. Bartholo Pardon de la liberté! Qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espèce la liberté de penser, l'attraction, l'électricité, le tolérantisme, l'inoculation, le quinquina, L'Encyclopédie, et les drames... Rosine le papier lui échappe et tombe dans la rue. Ah! ma chanson! Ma chanson est tombée en vous écoutant, courez, courez donc, monsieur! Ma chanson, elle sera perdue! Bartholo Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. Il quitte le balcon. Rosine regarde en dedans et fait signe dans la rue. St, st! Le Comte paraÃt. Ramassez vite et sauvez-vous. Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre. Bartholo sort de la maison et cherche. Où donc est-il? Je ne vois rien. Rosine Sous le balcon, au pied du mur. Bartholo Vous me donnez là une jolie commission! Il est donc passé quelqu'un? Rosine Je n'ai vu personne. Bartholo, à lui-même. Et moi qui ai la bonté de chercher!... Bartholo, vous n'êtes qu'un sot, mon ami ceci doit vous apprendre à ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. Il rentre. Rosine, toujours au balcon. Mon excuse est dans mon malheur seule, enfermée, en butte à la persécution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter à sortir d'esclavage? Bartholo, paraissant au balcon. Rentrez, signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Il ferme la jalousie à la clef. Scène IV Le Comte, Figaro. Ils entrent avec précaution. Le Comte A présent qu'ils sont retirés, examinons cette chanson, dans laquelle un mystère est sûrement renfermé. C'est un billet! Figaro Il demandait ce que c'est que la Précaution inutile! Le Comte lit vivement. "Votre empressement excite ma curiosité sitôt que mon tuteur sera sorti, chantez indifféremment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'état et les intentions de celui qui paraÃt s'attacher si obstinément à l'infortunée Rosine." Figaro, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombée; courez, courez donc! Il rit. ah! ah! ah! ah! Oh! ces femmes! Voulez-vous donner de l'adresse à la plus ingénue? Enfermez-la. Le Comte Ma chère Rosine! Figaro Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective. Le Comte Te voilà instruit; mais si tu jases... Figaro Moi, jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dévouement dont on abuse à la journée; je n'ai qu'un mot mon intérêt vous répond de moi; pesez tout à cette balance, et... Le Comte Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beauté!... Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai découvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariée à un vieux médecin de cette ville, nommé Bartholo. Figaro Joli oiseau, ma foi! difficile à dénicher! Mais qui vous a dit qu'elle était femme du docteur? Le Comte Tout le monde. Figaro C'est une histoire qu'il a forgée en arrivant de Madrid pour donner le change aux galants et les écarter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientôt... Le Comte, vivement. Jamais, Ah! quelle nouvelle! J'étais résolu de tout oser pour lui présenter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment à perdre; il faut m'en faire aimer, et l'arracher à l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur? Figaro Comme ma mère. Le Comte Quel homme est-ce? Figaro, vivement. C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelé, rusé, rasé, blasé, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout à la fois. Le Comte, impatienté. Eh! je l'ai vu. Son caractère? Figaro Brutal, avare, amoureux et jaloux à l'excès de sa pupille, qui le hait à la mort. Le Comte Ainsi, ses moyens de plaire sont... Figaro Le Comte Tant mieux. Sa probité? Figaro Tout juste autant qu'il en faut pour n'être point pendu. Le Comte Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux... Figaro C'est faire à la fois le bien public et particulier chef-d'oeuvre de morale, en vérité, Monseigneur! Le Comte Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte? Figaro A tout le monde; s'il pouvait la calfeutrer... Le Comte Ah! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accès chez lui? Figaro Si j'en ai! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis... Le Comte Ah! ah! Figaro Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi... Le Comte, impatienté. Tu es son locataire? Figaro De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur. Le Comte l'embrasse. Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libérateur, mon dieu tutélaire. Figaro Peste! comme l'utilité vous a bientôt rapproché les distances! Parlez-moi des gens passionnés! Le Comte Heureux Figaro, tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois! tu ton bonheur? Figaro C'est bien là un propos d'amant! Est-ce que je l'adore, moi? Puissiez-vous prendre ma place! Le Comte Ah! si l'on pouvait écarter tous les surveillants! Figaro C'est à quoi je rêvais. Le Comte Pour douze heures seulement! Figaro En occupant les gens de leur propre intérêt, on les empêche de nuire à l'intérêt d'autrui. Le Comte Sans doute. Eh bien? Figaro, rêvant. Je cherche dans ma tête si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents... Le Comte Scélérat! Figaro Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministère. Il ne s'agit que de les traiter ensemble. Le Comte Mais ce médecin peut prendre un soupçon. Figaro Il faut marcher si vite que le soupçon n'ait pas le temps de naÃtre. Il me vient une idée le régiment de Royal-Infant arrive en cette ville. Le Comte Le colonel est de mes amis. Figaro Bon. Présentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous héberge; et moi, je me charge du reste. Le Comte Excellent! Figaro Il ne serait même pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... Le Comte A quoi bon? Figaro Et le mener un peu lestement sous cette apparence déraisonnable. Le Comte A quoi bon? Figaro Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressé de dormir que d'intriguer chez lui. Le Comte Supérieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi? Figaro Ah! oui, moi! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaÃt pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire après? Le Comte Tu as raison. Figaro C'est que vous ne pouvez peut-être pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin... Le Comte Tu te moques de moi. Prenant un ton ivre. N'est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami? Figaro Pas mal, en vérité; vos jambes seulement un peu plus avinées. D'un ton plus ivre. N'est-ce pas ici la maison... Le Comte Fi donc! tu as l'ivresse du peuple. Figaro C'est la bonne, c'est celle du plaisir Le Comte La porte s'ouvre. Figaro C'est notre homme éloignons-nous jusqu'à ce qu'il soit parti. Scène V Le Comte et Figaro cachés; Bartholo. Bartholo sort en parlant à la maison. Je reviens à l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise à moi d'être descendu! Dès qu'elle m'en priait, je devais bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fÃt secrètement demain et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrêter. Scène VI Le Comte, Figaro. Le Comte Qu'ai-je entendu? Demain il épouse Rosine en secret! Figaro Monseigneur, la difficulté de réussir ne fait qu'ajouter à la nécessité d'entreprendre. Le Comte Quel est donc ce Bazile qui se mêle de son mariage? Figaro Un pauvre hère qui montre la musique à sa pupille, infatué de son art, friponneau, besogneux, à genoux devant un écu, et dont il sera facile de venir à bout, Monseigneur... Regardant à la jalousie. La v'là , la v'là . Le Comte Qui donc? Figaro Derrière sa jalousie, la voilà , la voilà . Ne regardez pas, ne regardez donc pas! Le Comte Pourquoi? Figaro Ne vous écrit-elle pas Chantez indifféremment? c'est-à -dire, chantez comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh! la v'là , la v'là . Le Comte Puisque j'ai commencé à l'intéresser sans être connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris; mon triomphe en aura plus de charmes. Il déploie le papier que Rosine a jeté. Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire de vers, moi. Figaro Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent en amour, le coeur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... Et prenez ma guitare. Le Comte Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal! Figaro Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose? Avec le dos de la main; from, from, from... Chanter sans guitare à Séville! vous seriez bientôt reconnu, ma foi, bientôt dépisté. Figaro se colle au mur sous le balcon. Le Comte chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guitare. N° 2. Premier Couplet Vous l'ordonnez, je me ferai connaÃtre; Plus inconnu, j'osais vous adorer En me nommant, que pourrais-je espérer? N'importe, il faut obéir à son maÃtre. Figaro, bas. Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur! Le Comte Deuxième Couplet Je suis Lindor, ma naissance est commune, Mes voeux sont ceux d'un simple bachelier Que n'ai-je, hélas! d'un brillant chevalier A vous offrir le rang et la fortune! Figaro Eh comment diable! je ne ferais pas mieux, moi qui m'en pique. Le Comte Troisième Couplet Tous les matins, ici, d'une voix tendre, Je chanterai mon amour sans espoir; Je bornerai mes plaisirs à vous voir; Et puissiez-vous en trouver à m'entendre! Figaro Oh! ma foi, pour celui-ci!... Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son maÃtre. Le Comte Figaro? Figaro Excellence? Le Comte Crois-tu que l'on m'ait entendu Rosine, en dedans, chante. Air du MaÃtre en droit. Tout me dit que Lindor est charmant, Que je dois l'aimer constamment... On entend une croisée qui se ferme avec bruit. Figaro Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois? Le Comte Elle a fermé sa fenêtre; quelqu'un apparemment est entré chez elle. Figaro Ah! la pauvre petite! comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur. Le Comte Elle se sert du moyen qu'elle-même a indiqué. Tout me dit que Lindor est charmant. Que de grâces! que d'esprit! Figaro Que de ruse! que d'amour! Le Comte Crois-tu qu'elle se donne à moi, Figaro? Figaro Elle passera plutôt à travers cette jalousie que d'y manquer. Le Comte C'en est fait, je suis à ma Rosine... pour la vie Figaro Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus. Le Comte Monsieur Figaro! je n'ai qu'un mot à vous dire elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... Tu m'entends, tu me connais... Figaro Je me rends. Allons, Figaro, vole à la fortune, mon fils. Le Comte Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects. Figaro, vivement. Moi, j'entre ici, où, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, éveiller l'amour, égarer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches. Le Comte Pour qui, de l'or? Figaro, vivement. De l'or, mon Dieu, de l'or c'est le nerf de l'intrigue. Le Comte Ne te fâche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup. Figaro, s'en allant. Je vous rejoins dans peu. Le Comte Figaro! Figaro Qu'est-ce que c'est? Le Comte Et ta guitare? Figaro revient. J'oublie ma guitare, moi! Je suis donc fou! Il s'en va. Le Comte Et ta demeure, étourdi? Figaro revient. Ah! réellement je suis frappé! - Ma boutique à quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'oeil dans la main, Consilio manuque, FIGARO. Il s'enfuit. Acte deuxième Le théâtre représente l'appartement de Rosine, La croisée dans le fond du théâtre est fermée par une jalousie grillée. Scène I Rosine, seule, un bougeoir à la main. Elle prend du papier sur la table et se met à écrire. Marceline est malade; tous les gens sont occupés; et personne ne me voit écrire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un génie malfaisant qui l'instruit à point nommé; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah! Lindor! Elle cachette la lettre. Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu à travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montré quelquefois de la pitié si je pouvais l'entretenir un moment! Scène II Rosine, Figaro. Rosine, surprise. Ah! monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir! Figaro Votre santé, madame? Rosine Pas trop bonne, monsieur Figaro. L'ennui me tue. Figaro Je le crois; il n'engraisse que les sots. Rosine Avec qui parliez-vous donc là -bas si vivement? Je n'entendais pas; mais... Figaro Avec un jeune bachelier de mes parents, de la plus grande espérance; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort revenante. Rosine Oh! tout à fait bien, je vous assure! Il se nomme?... Figaro Lindor. Il n'a rien; mais s'il n'eût pas quitté brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place. Rosine Il en trouvera, monsieur Figaro; il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dépeignez n'est pas fait pour rester inconnu. Figaro, à part. Fort bien. Haut. Mais il a un grand défaut qui nuira toujours à son avancement. Rosine Un défaut, monsieur Figaro! Un défaut! en êtes-vous bien sûr? Figaro Il est amoureux. Rosine Il est amoureux! et vous appelez cela un défaut! Figaro A la vérité, ce n'en est un que relativement à sa mauvaise fortune. Rosine Ah! que le sort est injuste! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiosité... Figaro Vous êtes la dernière, madame, à qui je voudrais faire une confidence de cette nature. Rosine, vivement. Pourquoi, monsieur Figaro? Je suis discrète. Ce jeune homme vous appartient, il m'intéresse infiniment... Dites donc. Figaro, la regardant finement. Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraÃche, agaçant l'appétit; pied furtif, taille adroite, élancée, bras dodus, bouche rosée, et des mains! des joues! des dents! des yeux!... Rosine Qui reste en cette ville? Figaro En ce quartier. Rosine Dans cette rue peut-être? Figaro A deux pas de moi. Rosine Ah! que c'est charmant... pour monsieur votre parent. Et cette personne est?... Figaro Je ne l'ai pas nommée? Rosine, vivement. C'est la seule chose que vous ayez oubliée, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vite; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir... Figaro Vous le voulez absolument, madame? Eh bien, cette personne est... la pupille de votre tuteur. Rosine La pupille?... Figaro Du docteur Bartholo; oui, madame. Rosine, avec émotion Ah! monsieur Figaro... Je ne vous crois pas, je vous assure. Figaro Et c'est ce qu'il brûle de venir vous persuader lui-même. Rosine Vous me faites trembler, monsieur Figaro. Figaro Fi donc, trembler! mauvais calcul, madame. Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. D'ailleurs je viens de vous débarrasser de tous vos surveillants jusqu'à demain. Rosine S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille. Figaro Eh! madame! amour et repos peuvent-ils habiter en même coeur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix amour sans repos, ou repos sans amour. ROSINE, baissant les yeux. Repos sans amour... paraÃt... Figaro Ah! bien languissant. Il me semble, en effet, qu'amour sans repos se présente de meilleure grâce et pour moi, si j'étais femme... Rosine, avec embarras. Il est certain qu'une jeune personne ne peut empêcher un honnête homme de l'estimer. Figaro Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment. Rosine Mais s'il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait. Figaro, à part. Il nous perdrait! Haut. Si vous le lui défendiez expressément par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir. Rosine lui donne la lettre qu'elle vient d'écrire. Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci; mais en la lui donnant, dites-lui... dites-lui bien... Elle écoute. Figaro Personne, madame. Rosine Que c'est par pure amitié tout ce que je fais. Figaro Cela parle de soi. Tudieu! l'amour a bien une autre allure! Rosine Que par pure amitié, entendez-vous? Je crains seulement que, rebuté par les difficultés... Figaro Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui éteint une lumière allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-là . D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiévré de sa passion, moi qui n'y ai que voir! Rosine Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez. Figaro Soyez tranquille. A part, montrant la lettre. voici, qui vaut mieux que mes observations Il entre dans le cabinet. Scène III Rosine, seule. Je meurs d'inquiétude jusqu'à ce qu'il soit dehors... Que je l'aime, ce bon Figaro! c'est un bien honnête homme, un bon parent! Ah! voilà mon tyran; reprenons mon ouvrage. Elle souffle la bougie, s'assied, et prend une broderie au tambour. Scène IV Bartholo, Rosine. Bartholo, en colère. Ah! malédiction! l'enragé, le scélérat corsaire de Figaro! Là , peut-on sortir un moment de chez soi sans être sûr en rentrant?... Rosine Qui vous met donc si fort en colère, monsieur? Bartholo Ce damné barbier qui vient d'écloper toute ma maison en un tour de main; il donne un narcotique à l'Eveillé, un sternutatoire à La Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'à ma mule... Sur les yeux d'une pauvre bête aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent écus, il se presse de faire des mémoires. Ah! qu'il les apporte!... Et personne à l'antichambre! On arrive à cet appartement comme à la place d'armes. Rosine Eh! qui peut y pénétrer que vous, monsieur? Bartholo J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans précaution. Tout est plein de gens entreprenants, d'audacieux... N'a-t-on pas, ce matin encore, ramassé lestement votre chanson pendant que j'allais la chercher? Oh! je... Rosine C'est bien mettre à plaisir de l'importance à tout! Le vent peut avoir éloigné ce papier, le premier venu; que sais-je? Bartholo Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un posté là exprès qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mégarde. Rosine A l'air, monsieur? Bartholo Oui, madame, a l'air. Rosine, à part. Oh! le méchant vieillard! Bartholo Mais tout cela n'arrivera plus; car je vais faire sceller cette grille. Rosine Faites mieux; murez les fenêtres tout d'un coup; d'une prison à un cachot la différence est si peu de chose! Bartholo Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-être pas si mal... Ce barbier n'est pas entré chez vous, au moins? Rosine Vous donne-t-il aussi de l'inquiétude? Bartholo Tout comme un autre. Rosine Que vos répliques sont honnêtes! Bartholo Ah! fiez-vous à tout le monde, et vous aurez bientôt à la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider. Rosine Quoi! vous n'accordez pas même qu'on ait des principes contre la séduction de monsieur Figaro? Bartholo Qui diable entend quelque chose à la bizarrerie des femmes? Et combien j'en ai vu, de ces vertus à principes!... Rosine, en colère. Mais, monsieur, s'il suffit d'être homme pour nous plaire, pourquoi donc me déplaisez-vous si fort? Bartholo, stupéfait. Pourquoi?... pourquoi?... Vous ne répondez pas à ma question sur ce barbier. Rosine, outrée. Eh bien! oui, cet homme est entré chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlé. Je ne vous cache pas même que je l'ai trouvé fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dépit! Elle sort. Scène V Bartholo, seul. Oh! les juifs, les chiens de valets! La jeunesse! L'Eveillé! L'Eveillé maudit! Scène VI Bartholo, L'Eveillé. L'Eveillé arrive en bâillant, tout endormi. Aah, aah, ah, ah... Bartholo Où étais-tu, peste d'étourdi, quand ce barbier est entré ici? L'Eveillé Monsieur j'étais... ah, aah, ah.. Bartholo A machiner quelque espièglerie, sans doute? Et tu ne l'as pas vu? L'Eveillé Sûrement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvé tout malade, à ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencé à me douloir dans tous les membres, rien qu'en l'en-entendant parl... Ah, ah, aah... Bartholo le contrefait. Rien qu'en l'en-entendant!... Où donc est ce vaurien de La Jeunesse? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie là -dessous. Scène VII Les acteurs précédents; La Jeunesse arrive en vieillard avec une canne en béquille; il éternue plusieurs fois. L'Eveillé, toujours bâillant. La jeunesse? Bartholo Tu éternueras dimanche. La Jeunesse Voilà plus de cinquante... cinquante fois... dans un moment! Il éternue. je suis brisé. Bartholo Comment! je vous demande à tous deux s'il est entré quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier... L'Eveillé, continuant de bâiller. Est-ce que c'est quelqu'un donc, monsieur Figaro? Aah! ah... Bartholo je parie que le rusé s'entend avec lui. L'Eveillé, pleurant comme un sot. Moi... je m'entends!... La Jeunesse, éternuant. Eh! mais, monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice?... Bartholo De la justice! C'est bon entre vous autres misérables, la justice! je suis votre maÃtre, moi, pour avoir toujours raison. La Jeunesse, éternuant. Mais, pardi, quand une chose est vraie... Bartholo Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prétends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y aurait qu'à permettre à tous ces faquins-là d'avoir raison, vous verriez bientôt ce que deviendrait l'autorité. La Jeunesse, éternuant. J'aime autant recevoir mon congé. Un service terrible, et toujours un train d'enfer! L'Eveillé, pleurant. Un pauvre homme de bien est traité comme un misérable. Bartholo Sors donc, pauvre homme de bien! Il les contrefait. Et t'chi et t'cha; l'un m'éternue au nez, l'autre m'y bâille. La Jeunesse Ah! monsieur, je vous jure que, sans mademoiselle, il n'y aurait... il n'y aurait pas moyen de rester dans la maison. Il sort en éternuant. Bartholo Dans quel état ce Figaro les a mis tous! je vois ce que c'est le maraud voudrait me payer mes cent écus sans bourse délier... Scène VIII Bartholo, Don Bazile; Figaro, caché dans le cabinet, paraÃt de temps en temps, et les écoute. Bartholo continue. Ah! don Bazile, vous veniez donner à Rosine sa leçon de musique? Bazile C'est ce qui presse le moins. Bartholo J'ai passé chez vous sans vous trouver. Bazile J'étais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fâcheuse. Bartholo Pour vous? Bazile Non, pour vous. Le comte Almaviva est en cette ville. Bartholo Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid? Bazile Il loge à la grande place, et sort tous les jours déguisé. Bartholo Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire? Bazile Si c'était un particulier, on viendrait à bout de l'écarter. Bartholo Oui, en s'embusquant le soir, armé, cuirassé... Bazile Bone Deus! se compromettre! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure; et pendant la fermentation, calomnier à dire d'experts; concedo. Bartholo Singulier moyen de se défaire d'un homme! Bazile La calomnie, monsieur! Vous ne savez guère ce que vous dédaignez; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'oeil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraÃne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait. Bartholo Mais quel radotage me faites-vous donc là , Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir à ma situation? Bazile Comment, quel rapport? Ce qu'on fait partout pour écarter son ennemi, il faut le faire ici pour empêcher le vôtre d'approcher. Bartholo D'approcher? je prétends bien épouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe. Bazile En ce cas, vous n'avez pas un instant à perdre. Bartholo Et à qui tient-il, Bazile? je vous ai chargé de tous les détails de cette affaire. Bazile Oui, mais vous avez lésiné sur les frais; et dans l'harmonie du bon ordre un mariage inégal, un jugement inique, un passe-droit évident, sont des dissonances qu'on doit toujours préparer et sauver par l'accord parfait de l'or. Bartholo, lui donnant de l'argent. Il faut en passer par où vous voulez; mais finissons Bazile Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminé c'est à vous d'empêcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille. Bartholo Fiez-vous-en à moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile? Bazile N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journée; n'y comptez pas. Bartholo l'accompagne. Bazile Restez, docteur, restez donc. Bartholo Non pas. je veux fermer sur vous la porte de la rue. Scène IX Figaro, seul, sortant du cabinet. Oh! la bonne précaution! Ferme, ferme la porte de la rue, et moi je vais la rouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un état, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il médirait, qu'on ne le croirait pas. Scène X Rosine, accourant; Figaro. Rosine Quoi! vous êtes encore là , monsieur Figaro? Figaro Très heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maÃtre de musique, se croyant seuls ici viennent de parler à coeur ouvert... Rosine Et vous les avez écoutés monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal! Figaro D'écouter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre tuteur se dispose à vous épouser demain. Rosine Ah! grands dieux! Figaro Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer à celui-là . Rosine Le voici qui revient; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Figaro s'enfuit. Scène XI Bartholo, Rosine. Rosine Vous étiez ici avec quelqu'un, monsieur? Bartholo Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimé que c'eût été monsieur Figaro? Rosine Cela m'est fort égal, je vous assure. Bartholo je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressé à vous dire? Rosine Faut-il parler sérieusement? Il m'a rendu compte de l'état de Marceline, qui même n'est pas trop bien, à ce qu'il dit. Bartholo Vous rendre compte! je vais parier qu'il était chargé de vous remettre quelque lettre. Rosine Et de qui, s'il vous plaÃt? Bartholo Oh! de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-être la réponse au papier de la fenêtre. Rosine, à part. Il n'en a pas manqué une seule. Haut. Vous mériteriez bien que cela fût. Bartholo regarde les mains de Rosine. Cela est. Vous avez écrit. Rosine, avec embarras. Il serait assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir. Bartholo, lui prenant la main droite. Moi! point du tout; mais votre doigt est encore taché d'encre! Hein! rusée signora! Rosine, à part. Maudit homme! Bartholo, lui tenant toujours la main. Une femme se croit bien en sûreté, parce qu'elle est seule. Rosine Ah! sans doute... La belle preuve!... Finissez donc, monsieur, vous me tordez le bras. je me suis brûlée en chiffonnant autour de cette bougie; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitôt tremper dans l'encre c'est ce que j'ai fait. Bartholo C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second témoin confirmera la déposition du premier. C'est ce cahier de papier où je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore. Rosine, à part. Oh! imbécile! Bartholo, comptant. Trois, quatre, cinq... Rosine La sixième... Bartholo je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixième. Rosine, baissant les yeux. La sixième? je l'ai employée à faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyés à la petite Figaro. Bartholo A la petite Figaro? Et la plume qui était toute neuve, comment est-elle devenue noire? Est-ce en écrivant l'adresse de la petite Figaro? Rosine, à part. Cet homme a un instinct de jalousie!... Haut. Elle m'a servi à retracer une fleur effacée sur la veste que je vous brode au tambour. Bartholo Que cela est édifiant! Pour qu'on vous crût, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en déguisant coup sur coup la vérité, mais c'est ce que vous ne savez pas encore. Rosine Eh! qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des conséquences aussi malignes des choses les plus innocemment faites? Bartholo Certes, j'ai tort. Se brûler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent? Mais que de mensonges entassés pour cacher un seul fait!... je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir à mon aise. Mais le bout du doigt reste noir, la plume est tachée, le papier manque! On ne saurait penser à tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la ville, un bon double tour me répondra de vous. Scène XII Le Comte, Bartholo, Rosine. Le Comte, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'être entre deux vins et chantant Réveillons-la, etc. Bartholo Mais que nous veut cet homme? Un soldat! Rentrez chez vous, signora. Le Comte chante Réveillons-la, et s'avance vers Rosine. Qui de vous deux, mesdames, se nomme le docteur Balordo? A Rosine, bas. je suis Lindor. Bartholo Bartholo! Rosine, à part. Il parle de Lindor. Le Comte Balordo, Barque à l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux... A Rosine, lui montrant un papier. Prenez cette lettre. Bartholo Laquelle! Vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine; cet homme paraÃt avoir du vin. Rosine C'est pour cela, monsieur; vous êtes seul. Une femme en impose quelquefois. Bartholo Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide. Scène XIII Le Comte, Bartholo. Le Comte Oh! je vous ai reconnu d'abord à votre signalement. Bartholo, au Comte, qui serre la lettre. Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez là dans votre poche? Le Comte je le cache dans ma poche, pour que vous ne sachiez pas ce que c'est. Bartholo Mon signalement! Ces gens-là croient toujours parler à des soldats. Le Comte Pensez-vous que ce soit une chose si difficile à faire que votre signalement? Le chef branlant, la tête chauve, Les yeux vairons, le regard fauve, L'air farouche d'un Algonquin... Bartholo Qu'est-ce que cela veut dire? Etes-vous ici pour m'insulter? Délogez à l'instant. Le Comte Déloger! Ah! fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, docteur... Barbe à l'eau? Bartholo Autre question saugrenue. Le Comte Oh! que cela ne vous fasse point de peine; car, moi qui suis pour le moins aussi docteur que vous... Bartholo Comment cela? Le Comte Est-ce que je ne suis 'pas le médecin des chevaux du régiment? Voilà pourquoi l'on m'a exprès logé chez un confrère. Bartholo Oser comparer un maréchal... Le Comte Air Vive le vin. Sans chanter. Non, docteur, je ne prétends pas Que notre art obtienne le pas Sur Hippocrate et sa brigade. En chantant. Votre savoir, mon camarade, Est d'un succès plus général, Car s'il n'emporte point le mal, Il emporte au moins le malade. C'est-il poli ce que je vous dis là ? Bartholo Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts! Le Comte Utile tout à fait, pour ceux qui l'exercent. Bartholo Un art dont le soleil s'honore d'éclairer les succès! Le Comte Et dont la terre s'empresse de couvrir les bévues. Bartholo On voit bien, malappris, que vous n'êtes habitué de parler qu'à des chevaux. Le Comte Parler à des chevaux? Ah! docteur! pour un docteur d'esprit... N'est-il pas de notoriété que le maréchal guérit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le médecin parle beaucoup aux siens... Bartholo Sans les guérir, n'est-ce pas? Le Comte C'est vous qui l'avez dit. Bartholo Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne? Le Comte Je crois que vous me lâchez des épigrammes, l'Amour! Bartholo Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous? Le Comte, feignant une grande colère. Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas? Scène XIV Rosine, Le Comte, Bartholo. Rosine, accourant. Monsieur le soldat, ne vous emportez point, de grâce! A Bartholo. Parlez-lui doucement, monsieur un homme qui déraisonne... Le Comte Vous avez raison; il déraisonne, lui; mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie... enfin suffit. La vérité, c'est que je ne veux avoir affaire qu'à vous dans la maison. Rosine Que puis-je pour votre service, monsieur le soldat? Le Comte Une petite bagatelle, mon enfant. Mais s'il y a de l'obscurité dans mes phrases... Rosine J'en saisirai l'esprit. Le Comte, lui montrant la lettre. Non, attachez-vous à la lettre, à la lettre. Il s'agit seulement... mais je dis en tout bien, tout. honneur, que vous me donniez à coucher ce soir. Bartholo Rien que cela? Le Comte Pas davantage. Lisez le billet doux que notre maréchal-des-logis vous écrit. Bartholo Voyons. Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit. "Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hébergera, couchera... Le Comte, appuyant. Bartholo "Pour une nuit seulement, le nommé Lindor, dit l'Ecolier, cavalier au régiment..." Rosine C'est lui, c'est lui-même. Bartholo, vivement, à Rosine. Qu'est-ce qu'il y a? Le Comte Eh bien! ai-je tort à présent, docteur Barbaro? Bartholo On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les manières possibles. Allez au diable, Barbaro! Barbe à l'eau! et dites à votre impertinent maréchal-des-logis que, depuis mon voyage à Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre. Le Comte, à part. O ciel! fâcheux contretemps! Bartholo Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dégrise un peu! mais n'en décampez pas moins à l'instant. Le Comte, à part. J'ai pensé me trahir. Haut. Décamper! Si vous êtes exempt des gens de guerre, vous n'êtes pas exempt de politesse, peut-être? Décamper! Montrez-moi votre brevet d'exemption; quoique je ne sache pas lire, je verrai bientôt... Bartholo Qu'à cela ne tienne. Il est dans ce bureau. Le Comte, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place. Ah! ma belle Rosine! Rosine Quoi, Lindor, c'est vous? Le Comte Recevez au moins cette lettre. Rosine Prenez garde, il a les yeux sur nous. Le Comte Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber. Il s'approche. Bartholo Doucement, doucement, seigneur soldat; je n'aime point qu'on regarde ma femme de si près. Le Comte Elle est votre femme? Bartholo Eh! quoi donc? Le Comte Je vous ai pris pour son bisaïeul paternel, maternel, sempiternel il y a au moins trois générations entre elle et vous. Bartholo lit un parchemin. "Sur les bons et fidèles témoignages qui nous ont été rendus..." Le Comte donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher. Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage? Bartholo Savez-vous bien, soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur-le-champ comme vous le méritez? Le Comte Bataille? Ah! volontiers, bataille! c'est mon métier, à moi, montrant son pistolet de ceinture et voici de quoi leur jeter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-être jamais vu de bataille, madame? Rosine Ni ne veux en voir. Le Comte Rien n'est pourtant aussi gai que bataille. Figurez-vous poussant le docteur d'abord que l'ennemi est d'un côté du ravin, et les amis de l'autre. A Rosine en lui montrant la lettre. Sortez le mouchoir. Il crache à terre. Voilà le ravin, cela s'entend. Rosine tire son mouchoir; le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui. Bartholo, se baissant. Ah! ah! Le Comte la reprend et dit Tenez... moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon métier... Une femme bien discrète, en vérité! Ne voilà -t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche? Bartholo Donnez, donnez. Le Comte Dulciter, papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe était tombée de la vôtre?... Rosine avance la main. Ah! je sais ce que c'est, monsieur le soldat. Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier. Bartholo Sortez-vous enfin? Le Comte Eh bien, je sors. Adieu, docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon coeur priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais été si chère. Bartholo Allez toujours. Si j'avais ce crédit-là sur la mort... Le Comte Sur la mort? Ah, docteur! Vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien à vous refuser. Il sort. Scène XV Bartholo, Rosine. Bartholo le regarde aller. Il est enfin parti, A part. Dissimulons. Rosine Convenez pourtant, monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine éducation. Bartholo Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en délivrer! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis? Rosine Quel papier? Bartholo Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter. Rosine Bon! c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui était tombée de ma poche. Bartholo J'ai idée, moi, qu'il l'a tirée de la sienne. Rosine Je l'ai très bien reconnue. Bartholo Qu'est-ce qu'il coûte d'y regarder? Rosine Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait. Bartholo, montrant la pochette. Tu l'as mise là . Rosine Ah! ah! par distraction. Bartholo Ah! sûrement. Tu vas voir que ce sera quelque folie. Rosine, à part. Si je ne le mets pas en colère, il n'y aura pas moyen de refuser. Bartholo Donne donc, mon coeur. Rosine Mais quelle idée avez-vous en insistant, monsieur? Est-ce encore quelque méfiance? Bartholo Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas le montrer? Rosine Je vous répète, monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute décachetée; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette liberté me déplaÃt excessivement. Bartholo Je ne vous entends pas! Rosine Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher à ceux qui me sont adressés? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autorité usurpée, j'en suis plus révoltée encore. Bartholo Comment, révoltée! Vous ne m'avez jamais parlé ainsi. Rosine Si je me suis modérée jusqu'à ce jour, ce n'était pas pour vous donner le droit de m'offenser impunément. Bartholo De quelle offense parlez-vous? Rosine C'est qu'il est inouï qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un. Bartholo De sa femme? Rosine Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la préférence d'une indignité qu'on ne fait à personne? Bartholo Vous voulez me faire prendre le change et détourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure. Rosine Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu. Bartholo Qui ne vous recevra point. Rosine C'est ce qu'il faudra voir. Bartholo Nous ne sommes pas ici en France, où l'on donne toujours raison aux femmes; mais, pour vous en ôter la fantaisie, je vais fermer la porte. Rosine, pendant qu'il y va. Ah ciel! que faire? Mettons vite à la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu à la prendre. Elle fait l'échange, et met la lettre du cousin dans sa pochette de façon qu'elle sorte un peu. Bartholo, revenant. Ah! j'espère maintenant la voir. Rosine De quel droit, s'il vous plaÃt? Bartholo Du droit le plus universellement reconnu; celui du plus fort. Rosine On me tuera plutôt que de l'obtenir de moi. Bartholo, frappant du pied. Madame! madame!... Rosine tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal. Ah! quelle indignité!... Bartholo Donnez cette lettre, ou craignez ma colère. Rosine, renversée. Malheureuse Rosine! Bartholo Qu'avez-vous donc? Rosine Quel avenir affreux! Bartholo Rosine! Rosine J'étouffe de fureur! Bartholo Elle se trouve mal. Rosine Je m'affaiblis, je meurs. Bartholo, à part. Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Il lui tâte le pouls, et prend la lettre qu'il tâche de lire en se tournant un peu. Rosine, toujours renversée. Infortunée! ah! Bartholo lui quitte le bras, et dit à part Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir! Rosine Ah! pauvre Rosine! Bartholo L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. Il lit par-derrière le fauteuil en lui tâtant le pouls. Rosine se relève un peu, le regarde finement, fait un geste de tête, et se remet sans parler. Bartholo, à part. O ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiétude! Comment l'apaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue. Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette. Rosine soupire. Ah!... Bartholo Eh bien! ce n'est rien, mon enfant un petit mouvement de vapeurs, voilà tout; car ton pouls n'a seulement pas varié. Il va prendre un flacon sur la console. Rosine, à part. Il a remis la lettre! fort bien. Bartholo Ma chère Rosine, un peu de cette eau spiritueuse. Rosine Je ne veux rien de vous laissez-moi. Bartholo Je conviens que j'ai montré trop de vivacité sur ce billet. Rosine Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est révoltante. Bartholo, à genoux. Pardon j'ai bientôt senti tous mes torts; et tu me vois à tes pieds, prêt à les réparer. Rosine Oui, pardon! lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin. Bartholo Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun éclaircissement. Rosine, lui présentant la lettre. Vous voyez qu'avec de bonnes façons on obtient tout de moi. Lisez-la. Bartholo Cet honnête procédé dissiperait mes soupçons, si j'étais assez malheureux pour en conserver. Rosine Lisez-la donc, monsieur. Bartholo se retire. A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure! Rosine Vous me contrariez de la refuser. Bartholo Reçois en réparation cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignée du pied n'y viens-tu pas aussi? Rosine J'y monterai dans un moment. Bartholo Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah! comme tu serais heureuse! Rosine, baissant les yeux. Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerais. Bartholo Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plaira! Il sort. Scène XVI Rosine le regarde aller. Ah! Lindor! il dit qu'il me plaira!... Lisons cette lettre qui a manqué de me causer tant de chagrin. Elle lit s'écrie Ah!... j'ai lu trop tard; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur j'en avais une si bonne, et je l'ai laissée échapper. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissais jusqu'aux yeux. Ah! mon tuteur a raison je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion! Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence même. Acte troisième Scène I Bartholo, seul et désolé. Quelle humeur! quelle humeur! Elle paraissait apaisée... Là , qu'on me dise qui diable lui a fourré dans la tête de ne plus vouloir prendre leçon de don Bazile! Elle sait qu'il se mêle de mon mariage... On heurte à la porte. Faites tout au monde pour plaire aux femmes; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul... On heurte une seconde fois. Voyons qui c'est. Scène II Bartholo, Le Comte, en bachelier. Le Comte Que la paix et la joie habitent toujours céans! Bartholo, brusquement. Jamais souhait ne vint plus à propos. Que voulez-vous? Le Comte Monsieur, je suis Alonzo, bachelier, licencié... Bartholo Je n'ai pas besoin de précepteur. Le Comte ... Elève de don Bazile, organiste du grand couvent, qui a l'honneur de montrer la musique à madame votre... Bartholo Bazile! organiste! qui a l'honneur!... Je le sais; au fait. Le Comte, à part. Quel homme! Haut. Un mal subit qui le force à garder le lit... Bartholo Garder le lit! Bazile! Il a bien fait d'envoyer; je vais le voir à l'instant. Le Comte, à part. Oh! diable! Haut. Quand je dis le lit, monsieur, c'est la chambre que j'entends. Bartholo Ne fût-il qu'incommodé! Marchez devant, je vous suis. Le Comte, embarrassé. Monsieur, j'étais chargé... Personne ne peut-il nous entendre? Bartholo, à part. C'est quelque fripon... Haut. Eh non, monsieur le mystérieux! parlez sans vous troubler, si vous pouvez. Le Comte, à part. Maudit vieillard! Haut. Don Bazile m'avait chargé de vous apprendre... Bartholo Parlez haut, je suis sourd d'une oreille. Le Comte, élevant la voix. Ah! volontiers. Que le comte Almaviva, qui restait à la grande place... Bartholo, effrayé. Parlez bas; parlez bas! Le Comte, plus haut. ... En est délogé ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva... Bartholo Bas; parlez bas,. je vous prie. Le Comte, du même ton. ... Etait en cette ville, et que j'ai découvert que la signora Rosine lui a écrit... Bartholo Lui a écrit? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure! Tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitié. Vous avez découvert, dites-vous, que Rosine... Le Comte, fièrement. Assurément. Bazile, inquiet pour vous de cette correspondance, m'avait prié de vous montrer sa lettre; mais la manière dont vous prenez les choses... Bartholo Eh! mon Dieu! je les prends bien. Mais ne vous est-il pas possible de parler plus bas? Le Comte Vous êtes sourd d'une oreille, avez-vous dit. Bartholo Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvé méfiant et dur; mais je suis tellement entouré d'intrigants, de pièges... et puis votre tournure, votre âge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien! vous avez la lettre? Le Comte A la bonne heure sur ce ton, monsieur! Mais je crains qu'on ne soit aux écoutes. Bartholo Eh! qui voulez-vous? tous mes valets sur les dents! Rosine enfermée de fureur! Le diable est entré chez moi. Je vais encore m'assurer... Il va ouvrir doucement la porte de Rosine. Le Comte, à part. Je me suis enferré de dépit. Garder la lettre à présent! il faudra m'enfuir autant vaudrait n'être pas venu... La lui montrer!... Si je puis en prévenir Rosine, la montrer est un coup de maÃtre. Bartholo revient sur la pointe du pied. Elle est assise auprès de sa fenêtre, le dos tourné à la porte, occupée à relire une lettre de son cousin l'officier, que j'avais décachetée,... Voyons donc la sienne. Le Comte lui remet la lettre de Rosine. La voici. A part. C'est ma lettre qu'elle relit. Bartholo lit. "Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre état." Ah! la perfide! c'est bien là sa main. Le Comte, effrayé. Parlez donc bas à votre tour. Bartholo Quelle obligation, mon cher!... Le Comte Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, vous serez le maÃtre. D'après un travail que fait actuellement don Bazile avec un homme de loi... Bartholo Avec un homme de loi, pour mon mariage? Le Comte Sans doute. Il m'a chargé de vous dire que tout peut être prêt pour demain. Alors, si elle résiste... Bartholo Elle résistera. Le Comte veut reprendre la lettre, Bartholo la serre. Voilà l'instant où je puis vous servir nous lui montrerons sa lettre, et s'il le faut plus mystérieusement, j'irai jusqu'à lui dire que je la tiens d'une femme à qui le Comte l'a sacrifiée. Vous sentez que le trouble, la honte, le dépit, peuvent la porter sur-le-champ... Bartholo, riant. De la calomnie! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile! Mais pour que ceci n'eût pas l'air concerté, ne serait-il pas bon qu'elle vous connût d'avance? Le Comte réprime un grand mouvement de joie. C'était assez l'avis de don Bazile. Mais comment faire? Il est tard... au peu de temps qui reste... Bartholo Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon? Le Comte Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de maÃtres supposés sont de vieilles finesses, des moyens de comédie. Si elle va se douter?... Bartholo Présenté par moi, quelle apparence? Vous avez plus l'air d'un amant déguisé que d'un ami officieux. Le Comte Oui? Vous croyez donc que mon air peut aider à la tromperie? Bartholo Je le donne au plus fin à deviner, Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir... Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant je vais faire l'impossible pour l'amener. Le Comte Gardez-vous bien de lui parler de la lettre. Bartholo Avant l'instant décisif? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses il ne faut pas me les dire deux fois. Il s'en va. Scène III Le Comte, seul. Me voilà sauvé. Ouf! Que ce diable d'homme est rude à manier! Figaro le connaÃt bien. Je me voyais mentir; cela me donnait un air plat et gauche; et il a des yeux!... Ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'étais éconduit comme un sot. O ciel! on dispute là -dedans. Si elle allait s'obstiner à ne pas venir! Ecoutons... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse. Il retourne écouter. La voici; ne nous montrons pas d'abord. Il entre dans le cabinet. Scène IV Le Comte, Rosine, Bartholo Rosine, avec une colère simulée. Tout ce que vous direz est inutile, monsieur. J'ai pris mon parti; je ne veux plus entendre parler de musique. Bartholo Ecoute donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo, l'élève et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour être un de nos témoins. - La musique te calmera, je t'assure. Rosine Oh! pour cela vous pouvez vous en détacher. Si je chante ce soir!... Où donc est-il ce maÃtre que vous craignez de renvoyer? je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. Elle aperçoit son amant elle fait un cri. Ah!... Bartholo Qu'avez-vous? Rosine, les deux mains sur son coeur, avec un grand trouble. Ah! mon Dieu, monsieur... Ah! mon Dieu, monsieur... Bartholo Elle se trouve encore mal! Seigneur Alonzo! Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah!... Le Comte Le pied vous a tourné, madame? Rosine Ah! oui, le pied m'a tourné. je me suis fait un mal horrible. Le Comte Je m'en suis bien aperçu. Rosine, regardant le Comte. Le coup m'a porté au coeur. Bartholo Un siège, un siège. Et pas un fauteuil ici? Il va le chercher. Le Comte Ah! Rosine! Rosine Quelle imprudence! Le Comte J'ai mille choses essentielles à vous dire. Rosine Il ne nous quittera pas. Le Comte Figaro va venir nous aider. Bartholo, apportant un fauteuil. Tiens, mignonne, assieds-toi. - Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu. Rosine, au Comte. Non, attendez; ma douleur est un peu apaisée. A Bartholo. Je sens que j'ai eu tort avec vous, monsieur je veux vous imiter, en réparant sur-le-champ... Bartholo Oh! le bon petit naturel de femme! Mais, après une pareille émotion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. Rosine, au Comte. Un moment, de grâce! A Bartholo. Je croirai, monsieur, que vous n'aimez pas à m'obliger, si vous m'empêchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. Le Comte, à part, à Bartholo. Ne la contrariez pas, si vous m'en croyez. Bartholo Voilà qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher à te déplaire, que je veux rester là tout le temps que tu vas étudier. Rosine Non, monsieur. je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. Bartholo Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. Rosine, au Comte, à part. Je suis au supplice. Le Comte, prenant un papier de musique sur le pupitre. Est-ce là ce que vous voulez chanter, madame? Rosine Oui, c'est un morceau très agréable de La Précaution inutile. Bartholo Toujours La Précaution inutile! Le Comte C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps, d'un genre assez vif. Si madame veut l'essayer... Rosine, regardant le Comte. Avec grand plaisir un tableau du printemps me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquière un plus haut degré de sensibilité comme un esclave, enfermé depuis longtemps, goûte avec plus de plaisir le charme de la liberté qui vient de lui être offerte. Bartholo, bas au Comte. Toujours des idées romanesques en tête. Le Comte, bas. En sentez-vous l'application? Bartholo Parbleu! Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupé Rosine Rosine chante. N° 3. Quand dans la plaine, L'amour ramène Le printemps Si chéri des amants, Tout reprend l'être, Son feu pénètre Dans les fleurs, Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent; Ils bondissent Tout fermente, Tout augmente; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent, Les chiens fidèles Veillent sur elles; Mais Lindor enflammé Ne songe guère Qu'au bonheur d'être aimé De sa bergère. Même air Loin de sa mère Cette bergère Va chantant Où son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse; Mais chanter Sauve-t-il du danger? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite; La pauvrette S'inquiète. De sa retraite, Lindor la guette; Elle s'avance; Lindor s'élance; Il vient de l'embrasser Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise PETITE REPRISE Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis, en usage; Et bientôt la bergère Ne sent plus de colère. Si quelque jaloux. Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrême... De voiler leur transport; Mais quand on s'aime, La gêne ajoute encor Au plaisir même. En l'écoutant, Bartholo, s'est assoupi. Le Comte, pendant la petite reprise, se hasarde à prendre une main qu'il couvre de baisers. L'émotion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit même par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrême. L'orchestre sait le mouvement de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo, le réveille. Le Comte se relève, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se répète, le même jeu recommence. Le Comte En vérité, c'est un morceau charmant, et madame l'exécute avec une intelligence... Rosine Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entière au maÃtre. Bartholo, bâillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitôt que je m'assieds, mes pauvres jambes... Il se lève et pousse le fauteuil. Rosine, bas au Comte Figaro ne vient point! Le Comte Filons le temps. Bartholo Mais, bachelier, je l'ai déjà dit à ce vieux Bazile est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire étudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en routant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? Là , de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement? J'en savais autrefois... Par exemple... Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tête et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux comme les vieillards. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?... Au Comte en riant. Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substitué Rosinette pour la lui rendre plus agréable et la faire cadrer aux circonstances. Ah! ah! ah! ah! Fort bien! pas vrai? Le Comte, riant. Ah! ah! ah! Oui, tout au mieux. Scène V Figaro, dans le fond Rosine, Bartholo, Le Comte. Bartholo chante. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris? Je ne suis point Tircis; Mais la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix; Et quand il fait sombre Les plus beaux chats sont gris. Il répète la reprise en dansant, Figaro, derrière lui, imite ses mouvements. Je ne suis point Tircis, etc. Apercevant Figaro. Ah! entrez, monsieur le barbier; avancez; vous êtes charmant! Figaro salue. Monsieur, il est vrai que ma mère me l'a dit autrefois; mais je suis un peu déformé depuis ce temps-là . A part, au Comte. Bravo, Monseigneur! Pendant toute cette scène, le Comte fait ce qu'il peut pour parler à Rosine; mais l'oeil inquiet et vigilant du tuteur l'en empêche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs, étranger au débat du docteur et de Figaro. Bartholo Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison? Figaro Monsieur, il n'est pas tous les jours fête; mais sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zèle n'attend pas qu'on lui commande... Bartholo Votre zèle n'attend pas! Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle! Que leur direz-vous? Figaro Ce que je leur dirai? Bartholo Oui! Figaro Je leur dirai... Eh! parbleu! je dirai à celui qui éternue Dieu vous bénisse! et Va te coucher, à celui qui bâille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mémoire. Bartholo Vraiment non; mais c'est la saignée et les médicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zèle aussi que vous avez empaqueté les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue? Figaro S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empêchera d'y voir. Bartholo Que je le trouve sur le mémoire!... On n'est pas de cette extravagance-là ! Figaro Ma foi, monsieur, les hommes n'ayant guère à choisir qu'entre la sottise et la folie, où je ne vois pas de profit je veux au moins du plaisir; et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines! Bartholo Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent écus et les intérêts sans lanterner, je vous en avertis. Figaro Doutez-vous de ma probité, monsieur? Vos cent écus! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant. Bartholo Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvé les bonbons que vous lui avez portés. Figaro Quels bonbons? Que voulez-vous dire? Bartholo Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier à lettre, ce matin. Figaro Diable emporte si... Rosine, l'interrompant. Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro? Je vous l'avais recommandé. Figaro Ah! ah! les bonbons de ce matin? Que je suis bête, moi! j'avais perdu tout cela de vue... Oh! excellents, madame, admirables! Bartholo Excellents! Admirables! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas! Vous faites là un joli métier, monsieur! Figaro Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur? Bartholo Et qui vous fera une belle réputation, monsieur! Figaro Je la soutiendrai, monsieur. Bartholo Dites que vous la supporterez, monsieur. Figaro Comme il vous plaira, monsieur. Bartholo Vous le prenez bien haut, monsieur! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais. Figaro lui tourne le dos. Nous différons en cela, monsieur; moi, je lui cède toujours. Bartholo Hein! qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier? Figaro C'est que vous croyez avoir affaire à quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillé de la plume à Madrid, et que sans les envieux... Bartholo Eh! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession? Figaro On fait comme on peut. Mettez-vous à ma place. Bartholo Me mettre à votre place! Ah! parbleu, je dirais de belles sottises! Figaro Monsieur, vous ne commencez pas trop mal; je m'en rapporte à votre confrère qui est là rêvassant. Le Comte, revenant à lui. Je... je ne suis pas le confrère de Monsieur. Figaro Non? Vous voyant ici à consulter, j'ai pensé que vous poursuiviez le même objet. Bartholo, en colère. Enfin, quel sujet vous amène? Y a-t-il quelque lettre à remettre encore ce soir à madame? Parlez, faut-il que je me retire? Figaro Comme vous rudoyez le pauvre monde! Eh! parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilà tout; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour? Bartholo Vous reviendrez tantôt. Figaro Ah! oui, revenir! toute la garnison prend médecine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps à perdre! Monsieur passe-t-il chez lui? Bartholo Non, monsieur ne passe point chez lui. Et mais... qui empêche qu'on ne me rase ici? Rosine, avec dédain. Vous êtes honnête! Et pourquoi pas dans mon appartement? Bartholo Tu te fâches? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre. Figaro, bas au Comte. On ne le tirera pas d'ici! Haut. Allons, L'Eveillé! La jeunesse! le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut à monsieur. Bartholo Sans doute, appelez-les! Fatigués, harassés, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher! Figaro Eh bien! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre? Bas au Comte. Je vais l'attirer dehors. Bartholo détache son trousseau de clefs, et dit par, réflexion Non, non, j'y vais moi-même. Bas au Comte en s'en allant. Ayez les yeux sur eux, je vous prie. Scène VI Figaro, Le Comte, Rosine. Figaro Ah! que nous l'avons manqué belle! il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas? Rosine C'est la plus neuve de toutes. Scène VII Bartholo, Figaro, Le Comte, Rosine. Bartholo, revenant. A part. Bon! je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. A Figaro. Tenez. Il lui donne le trousseau. Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez à rien. Figaro La peste! il y ferait bon, méfiant comme vous êtes! A part, en s'en allant. Voyez comme le ciel protège l'innocence! Scène VIII Bartholo, Le Comte, Rosine. Bartholo, bas au Comte. C'est le drôle qui a porté la lettre au Comte. Le Comte, bas. Il m'a l'air d'un fripon. Bartholo Il ne m'attrapera plus. Le Comte Je crois qu'à cet égard le plus fort est fait. Bartholo Tout considéré, j'ai pensé qu'il était plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle. Le Comte Ils n'auraient pas dit un mot que je n'eusse été en tiers. Rosine Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse! Et ma leçon? Ici l'on entend un bruit comme de la vaisselle renversée. Bartholo, criant. Qu'est-ce que j'entends donc! Le cruel barbier aura tout laissé tomber par l'escalier, et les plus belles pièces de mon nécessaire!... Il court dehors. Scène IX Le comte, Rosine. Le comte Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous ménage. Accordez-moi ce soir, je vous en conjure, madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire à l'esclavage où vous allez tomber. Rosine Ah! Lindor! Le comte Je puis monter à votre jalousie, et quant à la lettre que j'ai reçue ce matin, je me suis vu forcé... Scène X Rosine, Bartholo, Figaro, Le Comte. Bartholo Je ne m'étais pas trompé; tout est brisé, fracassé. Figaro Voyez le grand malheur pour tant de train! On ne voit goutte sur l'escalier. Il montre la clef au Comte. Moi, en montant j'ai accroché une clef... Bartholo On prend garde à ce qu'on fait. Accrocher une clef! L'habile homme. Figaro Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil. Scène XI Les acteurs précédents, Don Bazile. Rosine, effrayée. A part. Don Bazile!... Le Comte, à part. Juste ciel! Figaro, à part. C'est le diable! Bartholo va au-devant de lui. Ah! Bazile, mon ami, soyez le bien rétabli. Votre accident n'a donc point eu de suites? En vérité, le seigneur Alonzo m'avait fort effrayé sur votre état; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s'il ne m'avait point retenu... Bazile, étonné. Le seigneur Alonzo?... Figaro frappe du pied. Eh quoi! toujours des accrocs? Deux heures pour une méchante barbe... Chienne de pratique! Bazile, regardant tout le monde. Me ferez-vous bien le plaisir de me dire, messieurs?... Figaro Vous lui parlerez quand je serai parti. Bazile Mais encore faudrait-il... Le Comte Il faudrait vous taire, Bazile. Croyez-vous apprendre à monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai raconté que vous m'aviez chargé de venir donner une leçon de musique à votre place. Bazile, plus étonné. La leçon de musique!... Alonzo!... Rosine, à part, à Bazile. Eh! taisez-vous. Bazile Elle aussi! Le Comte, à Bartholo. Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus. Bartholo, à Bazile, à part. N'allez pas nous démentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre élève, vous gâteriez tout. Bazile Ah! ah! Bartholo, haut. En vérité, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre élève. Bazile, stupéfait. Que mon élève!... Bas. Je venais pour vous dire que le Comte est déménagé. Bartholo, bas. Je le sais, taisez-vous. Bazile, bas. Qui vous l'a dit? Bartholo, bas. Lui, apparemment! Le Comte, bas. Moi, sans doute écoutez seulement. Rosine, bas à Bazile. Est-il si difficile de vous taire? Figaro, bas à Bazile. Hum! Grand escogriffe! Il est sourd! Bazile, à part. Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? Tout le monde est dans le secret! Bartholo, haut. Eh bien, Bazile, votre homme de loi?... Figaro Vous avez toute la soirée pour parler de l'homme de loi. Bartholo, à Bazile. Un mot; dites-moi seulement si vous êtes content de l'homme de loi. Bazile, effaré. De l'homme de loi? Le Comte, souriant. Vous ne l'avez pas vu, l'homme de loi? Bazile, impatienté. Eh! non, je ne l'ai pas vu, l'homme de loi. Le Comte, à Bartholo, à part. Voulez-vous donc qu'il s'explique ici devant elle? Renvoyez-le. Bartholo, bas au Comte. Vous avez raison. A Bazile. Mais quel mal vous a donc pris si subitement? Bazile, en colère. Je ne vous entends pas. Le Comte lui met, à part, une bourse dans la main. Oui monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l'état d'indisposition où vous êtes. Figaro Il est pâle comme un mort! Bazile Ah! je comprends... Le Comte Allez vous coucher, mon cher Bazile vous n'êtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher. Figaro Il a la physionomie toute renversée. Allez vous coucher, Bartholo D'honneur, il sent la fièvre d'une lieue. Allez vous coucher. Rosine Pourquoi donc êtes-vous sorti? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher. Bazile; au dernier étonnement. Que j'aille me coucher! Tous les acteurs ensemble Eh! sans doute. Bazile, les regardant tous. En effet, messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire. Bartholo A demain, toujours, si vous êtes mieux, Le Comte Bazile, je serai chez vous de très bonne heure. Figaro Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit. Rosine Bonsoir, monsieur Bazile. Bazile, à part. Diable emporte si j'y comprends rien! et sans cette bourse... Tous Bonsoir, Bazile, bonsoir. Bazile, en s'en allant. Eh bien, bonsoir donc, bonsoir. Ils l'accompagnent tout en riant. Scène XII Les acteurs précédents, excepté Bazile. Bartholo, d'un ton important. Cet homme-là n'est pas bien du tout. Rosine Il a les yeux égarés. Le Comte Le grand air l'aura saisi. Figaro Avez-vous vu comme il parlait tout seul? Ce que c'est que de nous! A Bartholo. Ah çà , vous décidez-vous, cette fois? Il lui pousse un fauteuil très loin du Comte et lui présente le linge. Le Comte Avant de finir, madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrès de l'art que j'ai l'honneur de vous enseigner. Il s'approche, et lui parle bas à l'oreille. Bartholo, à Figaro. Eh mais! il semble que vous le fassiez exprès de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m'empêcher de voir... Le Comte, bas à Rosine, Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici à minuit. Figaro passe le linge au cou de Bartholo. Quoi voir? Si c'était une leçon de danse, on vous passerait d'y regarder; mais du chant!... Aie, aïe! Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Je ne sais ce qui m'est entré dans l'oeil. Il rapproche sa tête. Bartholo Ne frottez donc pas. Figaro C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort? Bartholo prend la tête de Figaro, regarde par-dessus, il pousse violemment et va derrière les amants écouter leur conversation. Le Comte, bas à Rosine. Et quant à votre lettre, je me suis trouvé tantôt dans un tel embarras pour rester ici... Figaro, de loin pour avertir. Hem!... hem!... Le Comte Désolé de voir encore mon déguisement inutile... Bartholo, passant entre deux. Votre déguisement inutile! Rosine, effrayée. Ah!... Bartholo Fort bien, madame, ne vous gênez pas. Comment! sous mes yeux mêmes, en ma présence, on m'ose outrager de la sorte! Le Comte Qu'avez-vous donc, seigneur? Bartholo Perfide Alonzo! Le Comte Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend témoin, je ne suis plus étonné de l'éloignement que mademoiselle a pour devenir votre femme. Rosine Sa femme! Moi! Passer mes jours auprès d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre à ma jeunesse un esclavage abominable! Bartholo Ah! qu'est-ce que j'entends! Rosine Oui, je le dis tout haut je donnerai mon coeur et ma main à celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, où ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice. Rosine sort. Scène XIII Bartholo, Figaro, Le Comte Bartholo La colère me suffoque. Le Comte En effet, seigneur, il est difficile qu'une jeune femme... Figaro Oui, une jeune femme et un grand âge, voilà ce qui trouble la tête d'un vieillard. Bartholo Comment! lorsque je les prends sur le fait! Maudit barbier! il me prend des envies... Figaro Je me retire, il est fou. Le Comte Et moi aussi; d'honneur, il est fou. Figaro Il est fou, il est fou. Ils sortent. Scène XIV Bartholo, seul, les poursuit. Je suis fou! Infâmes suborneurs, émissaires du diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou!... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... Et me soutenir effrontément!... Ah! Il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. Holà ! quelqu'un... Ah! j'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit! il y a de quoi perdre l'esprit! Pendant l'entracte le théâtre s'obscurcit; on entend un bruit d'orage, et l'orchestre joue celui qui est gravé dans le recueil de la musique du Barbier, N° 5. Acte quatrième Le théâtre est obscur. Scène I Bartholo, Don Bazile, une lanterne de papier à la main. Bartholo Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas! Ce que vous dites est-il possible? Bazile Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferais toujours la même réponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des émissaires du Comte. Mais, à la magnificence du présent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fût le Comte lui-même. Bartholo Quelle apparence? Mais, à propos de ce présent, eh! pourquoi l'avez-vous reçu? Bazile Vous aviez l'air d'accord; je n'y entendais rien; et dans les cas difficiles à juger, une bourse d'or me paraÃt toujours un argument sans réplique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon à prendre... Bartholo J'entends, est bon... Bazile A garder. Bartholo, surpris. Ah! ah! Bazile Oui, j'ai arrangé comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais allons au fait; à quoi vous arrêtez-vous? Bartholo En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la posséder? Bazile Ma foi non, docteur. En toute espèce de biens, posséder est peu de chose; c'est jouir qui rend heureux mon avis est qu'épouser une femme dont on n'est point aimé, c'est s'exposer... Bartholo Vous craindriez les accidents? Bazile Hé, hé, monsieur... on en voit beaucoup cette année. Je ne ferais point violence à son coeur. Bartholo Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas... Bazile Il y va de la vie? Epousez, docteur, épousez. Bartholo Aussi ferai-je, et cette nuit même. Bazile Adieu donc. - Souvenez-vous, en parlant à la pupille de les rendre tous plus noirs que l'enfer. Bartholo Vous avez raison. Bazile La calomnie, docteur, la calomnie! Il faut toujours en venir là . Bartholo Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montré, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprès d'elle. Bazile Adieu, nous serons tous ici à quatre heures. Bartholo Pourquoi pas plus tôt? Bazile Impossible; le notaire est retenu. Bartholo Pour un mariage? Bazile Oui, chez le barbier Figaro; c'est sa nièce qu'il marie. Bartholo Sa nièce? Il n'en a pas. Bazile Voilà ce qu'ils ont dit au notaire. Bartholo Ce drôle est du complot que diable!... Bazile Est-ce que vous penseriez?... Bartholo Ma foi, ces gens-là sont si alertes! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous. Bazile Il pleut, il fait un temps du diable; mais rien ne m'arrête pour vous servir. Que faites-vous donc? Bartholo Je vous reconduis n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro! Je suis seul ici. Bazile J'ai ma lanterne. Bartholo Tenez, Bazile, voilà mon passe-partout. Je vous attends, je veille; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit. Bazile Avec ces précautions, vous êtes sûr de votre fait. Scène II Rosine, seule, sortant de sa chambre. Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonné; Lindor ne vient point! Ce mauvais temps même était propre à le favoriser. Sûr de ne rencontrer personne... Ah! Lindor! si vous m'aviez trompée!... Quel bruit entends-je?... Dieux! c'est mon tuteur. Rentrons. Scène III Rosine, Bartholo. Bartholo rentre avec de la lumière. Ah! Rosine, puisque vous n'êtes pas encore rentrée dans votre appartement... Rosine Je vais me retirer. Bartholo Par le temps affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses très pressées à vous dire. Rosine Que voulez-vous, monsieur? N'est-ce donc pas assez d'être tourmentée le jour? Bartholo Rosine, écoutez-moi. Rosine Demain je vous entendrai. Bartholo Un moment, de grâce! Rosine, à part. S'il allait venir! Bartholo, lui montre sa lettre. Connaissez-vous cette lettre? Rosine la reconnaÃt. Ah! grands dieux! Bartholo Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches; à votre âge, on peut s'égarer; mais je suis votre ami; écoutez-moi. Rosine Je n'en puis plus. Bartholo Cette lettre que vous avez écrite au comte Almaviva... Rosine, étonnée. Au comte Almaviva! Bartholo Voyez quel homme affreux est ce Comte aussitôt qu'il l'a reçue, il en a fait trophée. je la tiens d'une femme à qui il l'a sacrifiée Rosine Le comte Almaviva! Bartholo Vous avez peine à vous persuader cette horreur. L'inexpérience, Rosine, rend votre sexe confiant et crédule; mais apprenez dans quel piège on vous attirait. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour écarter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frémis! Le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet élève supposé de Bazile qui porte un autre nom, et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraÃner dans un abÃme dont rien n'eût pu vous tirer. Rosine, accablée. Quelle horreur!... quoi! Lindor!... quoi! ce jeune homme! Bartholo, à part. Ah! c'est Lindor. Rosine C'est pour le comte Almaviva... C'est pour un autre... Bartholo Voilà ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre. Rosine, outrée. Ah! quelle indignité! Il en sera puni. - Monsieur, vous avez désiré de m'épouser? Bartholo Tu connais la vivacité de mes sentiments. Rosine S'il peut vous en rester encore, je suis à vous. Bartholo Eh bien! le notaire viendra cette nuit même. Rosine Ce n'est pas tout. O ciel! Suis-je assez humiliée!... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dérober la clef. Bartholo, regardant au trousseau. Ah! les scélérats! Mon enfant, je ne te quitte plus. Rosine, avec effroi. Ah! monsieur! et s'ils sont armés? Bartholo Tu as raison je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline; enferme-toi chez elle à double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprès de la maison. Arrêté comme voleur, nous aurons le plaisir d'en être à la fois vengés et délivrés! Et compte que mon amour te dédommagera... Rosine, au désespoir. Oubliez seulement mon erreur. A part. Ah! je m'en punis assez. Bartholo, s'en allant. Allons nous embusquer. A la fin je la tiens. Il sort. Scène IV Rosine, seule. Son amour me dédommagera!... Malheureuse!... Elle tire son mouchoir et s'abandonne aux larmes. Que faire?... Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procédé sera mon préservatif... Ah! j'en ai grand besoin. Figure noble, air doux, une voix si tendre!... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah! malheureuse! malheureuse! Ciel!... on ouvre la jalousie! Elle se sauve. Scène V Le Comte; Figaro, enveloppé d'un manteau, paraÃt à la fenêtre. Figaro parle en dehors. Quelqu'un s'enfuit entrerai-je? Le Comte, en dehors. Un homme? Figaro Le Comte C'est Rosine, que ta figure atroce aura mise en fuite. Figaro saute dans la chambre. Ma foi, je le crois... Nous voici enfin arrivés, malgré la pluie, la foudre et les éclairs. Le Comte, enveloppé d'un long manteau. Donne-moi la main. Il saute à son tour. A nous la victoire! Figaro jette son manteau. Nous sommes tout percés. Charmant temps, pour aller en bonne fortune! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit? Le Comte Superbe pour un amant. Figaro Oui, mais pour un confident?... Et si quelqu'un allait nous surprendre ici? Le Comte N'es-tu pas avec moi? J'ai bien une autre inquiétude c'est de la déterminer à quitter sur-le-champ la maison du tuteur. Figaro Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe l'amour, la haine et la crainte. Le Comte regarde dans l'obscurité. Comment lui annoncer brusquement que le notaire l'attend chez toi pour nous unir? Elle trouvera mon projet bien hardi elle va me nommer audacieux. Figaro Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le désirez, vous lui direz qui vous êtes; elle ne doutera plus de vos sentiments. Scène VI Le Comte, Rosine, Figaro. Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table. Le Comte La voici. - Ma belle Rosine!... Rosine, d'un ton très composé. Je commençais, monsieur, à craindre que vous ne vinssiez pas. Le Comte Charmante inquiétude!... Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d'un infortuné; mais quelque asile que vous choisissiez, je jure mon honneur... Rosine Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dû suivre à l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nécessité justifie à vos yeux ce que cette entrevue a d'irrégulier. Le Comte Vous, Rosine! la compagne d'un malheureux, sans fortune, sans naissance!... Rosine La naissance, la fortune! Laissons là les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures... Le Comte, à ses pieds. Ah! Rosine! je vous adore!... Rosine, indignée. Arrêtez, malheureux!... vous osez profaner!... Tu m'adores!... Va! tu n'es plus dangereux pour moi; j'attendais ce mot pour te détester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend en pleurant, apprends que je t'aimais; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. Misérable Lindor! j'allais tout quitter pour te suivre. Mais le lâche abus que tu as fait de mes bontés, et l'indignité de cet affreux comte Almaviva, à qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce témoignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre? Le Comte, vivement. Que votre tuteur vous a remise? Rosine, fièrement. Oui, je lui en ai l'obligation. Le Comte Dieux! que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah! Rosine, il est donc vrai que vous m'aimez véritablement! Figaro Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimât pour vous-même ... Rosine Monseigneur!... Que dit-il? Le Comte, jetant son large manteau, paraÃt en habit magnifique. O la plus aimée des femmes! il n'est plus temps de vous abuser l'heureux homme que vous voyez à vos pieds n'est point Lindor; je suis le comte Almaviva, qui meurt d'amour, et vous cherche en vain depuis six mois. Rosine tombe dans les bras du Comte. Ah!... Le Comte, effrayé. Figaro! Figaro Point d'inquiétude, Monseigneur la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses; la voilà , la voilà qui reprend ses sens. Morbleu! qu'elle est belle! Rosine Ah! Lindor!... Ah! monsieur! que je suis coupable! j'allais me donner cette nuit même à mon tuteur. Le Comte Vous, Rosine! Rosine Ne voyez que ma punition! J'aurais passé ma vie à vous détester. Ah! Lindor! le plus affreux supplice n'est-il pas de haïr, quand on sent qu'on est faite pour aimer? Figaro regarde à la fenêtre. Monseigneur, le retour est fermé; l'échelle est enlevée. Le Comte Enlevée! Rosine, troublée. Oui, c'est moi... c'est le docteur. Voilà le fruit de ma crédulité. Il m'a trompée. J'ai tout avoué, tout trahi il sait que vous êtes ici, et va venir avec main-forte. Figaro regarde encore. Monseigneur! on ouvre la porte de la rue. Rosine, courant dans les bras du Comte avec frayeur. Ah! Lindor!... Le comte, avec fermeté. Rosine, vous m'aimez! Je ne crains personne; et vous serez ma femme. J'aurai donc le plaisir de punir à mon gré l'odieux vieillard!... Rosine Non, non; grâce pour lui, cher Lindor! Mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place. Scène VII Le Notaire, Don Bazile, Les acteurs Précédents. Figaro Monseigneur, c'est notre notaire. Le Comte Et l'ami Bazile avec lui! Bazile Ah! qu'est-ce que j'aperçois? Figaro Eh! par quel hasard, notre ami?... Bazile Par quel accident, messieurs?... Le Notaire Sont-ce là les futurs conjoints? Le Comte Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit chez le barbier Figaro; mais nous avons préféré cette maison pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat? Le Notaire J'ai donc l'honneur de parler à Son Excellence monsieur le comte Almaviva? Figaro Précisément. Bazile, à part. Si c'est pour cela qu'il m'a donné le passe-partout... Le Notaire C'est que j'ai deux contrats de mariage, Monseigneur. Ne confondons point voici le vôtre; et c'est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora... Rosine aussi? Les demoiselles apparemment sont deux soeurs qui portent le même nom. Le Comte Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second témoin.Ils signent. Bazile Mais, Votre Excellence..., je ne comprends pas... Le Comte Mon maÃtre Bazile, un rien vous embarrasse, et tout vous étonne. Bazile Monseigneur... Mais si le docteur... Le Comte, lui jetant une bourse. Vous faites l'enfant! Signez donc vite. Bazile, étonné. Ah! ah!... Figaro Où donc est la difficulté de signer? Bazile, pesant la bourse. Il n'y en a plus. Mais c'est que moi, quand j'ai donné ma parole une fois, il faut des motifs d'un grand poids... Il signe. Scène VIII Bartholo, un Alcade, des Alguazils, des Valets avec des flambeaux, et les Acteurs précédents. Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine et Figaro qui embrasse grotesquement don Bazile; il crie en prenant le notaire à la gorge Rosine avec ces fripons! Arrêtez tout le monde. J'en tiens un au collet. Le Notaire C'est votre notaire. Bazile C'est votre notaire. Vous moquez-vous? Bartholo Ah! don Bazile! Eh! comment êtes-vous ici? Bazile Mais plutôt vous, comment n'y êtes-vous pas? L'Alcade, montrant Figaro. Un moment! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, à des heures indues? Figaro Heure indue? Monsieur voit bien qu'il est aussi près du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva. Bartholo Almaviva! L'Alcade Ce ne sont donc pas des voleurs? Bartholo Laissons cela. - Partout ailleurs, monsieur le Comte, je suis le serviteur de Votre Excellence; mais vous sentez que la supériorité du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaÃt, la bonté de vous retirer. Le Comte Oui, le rang doit être ici sans force; mais ce qui en a beaucoup est la préférence que mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant à moi volontairement. Bartholo Que dit-il, Rosine? Rosine Il dit vrai. D'où naÃt votre étonnement? Ne devais-je pas, cette nuit même, être vengée d'un trompeur? Je le suis. Bazile Quand je vous disais que c'était le Comte lui-même, docteur? Bartholo Que m'importe à moi? Plaisant mariage! Où sont les témoins? Le Notaire Il n'y manque rien. Je suis assisté de ces deux messieurs. Bartholo Comment, Bazile! vous avez signé? Bazile Que voulez-vous! Ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'arguments irrésistibles. Bartholo Je me moque de ses arguments. J'userai de mon autorité. Le Comte Vous l'avez perdue en en abusant. Bartholo La demoiselle est mineure. Figaro Elle vient de s'émanciper. Bartholo Qui te parle à toi, maÃtre fripon? Le Comte Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualité, jeune et riche; elle est ma femme à ce titre qui nous honore également, prétend-on me la disputer? Bartholo Jamais on ne l'ôtera de mes mains. Le Comte Elle n'est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l'autorité des lois; et monsieur, que vous avez amené vous-même, la protégera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu'on opprime. L'alcade Certainement. Et cette inutile résistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte. Le Comte Ah! qu'il consente à tout, et je ne lui demande rien. Figaro Que la quittance de mes cent écus ne perdons pas la tête. Bartholo, irrité. Ils étaient tous contre moi; je me suis fourré la tête dans un guêpier. Bazile Quel guêpier? Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste; et... Bartholo Eh! laissez-moi donc en repos, Bazile! Vous ne songez qu'à l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! A la bonne heure, je le garde mais croyez-vous que ce soit le motif qui me détermine? Il signe. Figaro, riant. Ah! ah! ah! Monseigneur! ils sont de la même famille. Le Notaire Mais, messieurs, je n'y comprends plus rien. Est-ce qu'elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le même nom? Figaro Non, monsieur, elles ne sont qu'une. Bartholo, se désolant. Et moi qui leur ai enlevé l'échelle pour que le mariage fût plus sûr! Ah! je me suis perdu faute de soins. Figaro Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empêcher peut bien s'appeler à bon droit la Précaution inutile. FIN DU QUATRIEME ET DERNIER ACTE. La Folle Journée ou le Mariage de Figaro EpÃtre dédicatoire aux personnes trompées sur ma pièce et qui n'ont pas voulu la voir. O vous que je ne nommerai point! Coeurs généreux, esprits justes, à qui l'on a donné des préventions contre un ouvrage réfléchi, beaucoup plus gai qu'il n'est frivole; soit que vous l'acceptiez ou non, je vous en fais l'hommage, et c'est tromper l'envie dans une de ses mesures. Si le hasard vous la fait lire, il la trompera dans une autre, en vous montrant quelle confiance est due à tant de rapports qu'on vous fait! Un objet de pur agrément peut s'élever encore à l'honneur d'un plus grand mérite c'est de vous rappeler cette vérité de tous les temps, qu'on connaÃt mal les hommes et les ouvrages quand on les juge sur la foi d'autrui; que les personnes, surtout dont l'opinion est d'un grand poids, s'exposent à glacer sans le vouloir ce qu'il fallait peut-être encourager, lorsqu'elles négligent de prendre pour base de leurs jugements le seul conseil qui soit bien pur celui de leurs propres lumières. Ma résignation égale mon profond respect. L'AUTEUR. Préface En écrivant cette préface, mon but n'est pas de rechercher oiseusement si j'ai mis au théâtre une pièce bonne ou mauvaise; il n'est plus temps pour moi mais d'examiner scrupuleusement, et je le dois toujours, si j'ai fait une oeuvre blâmable. Personne n'étant tenu de faire une comédie qui ressemble aux autres, si je me suis écarté d'un chemin trop battu, pour des raisons qui m'ont paru solides, ira-t-on me juger, comme l'ont fait MM. tels, sur des règles qui ne sont pas les miennes? imprimer puérilement que je reporte l'art à son enfance, parce que j'entreprends de frayer un nouveau sentier à cet art dont la loi première, et peut-être la seule, est d'amuser en instruisant? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il y a souvent très loin du mal que l'on dit d'un ouvrage à celui qu'on en pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le coeur, pendant que la bouche se venge en blâmant presque tout le reste. De sorte qu'on peut regarder comme un point établi au théâtre, qu'en fait de reproche à l'auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins. Il est peut-être utile de dévoiler, aux yeux de tous, ce double aspect des comédies; et j'aurai fait encore un bon usage de la mienne, si je parviens, en la scrutant, à fixer l'opinion publique sur ce qu'on doit entendre par ces mots Qu'est-ce que LA DECENCE THEATRALE? A force de nous montrer délicats, fins connaisseurs et d'affecter, comme j'ai dit autre part, l'hypocrisie de la décence auprès du relâchement des moeurs, nous devenons des êtres nuls, incapables de s'amuser et de juger de ce qui leur convient faut-il le dire enfin? des bégueules rassasiées qui ne savent plus ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles doivent aimer ou rejeter. Déjà ces mots si rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustés au niveau de chaque insipide coterie, et dont la latitude est si grande qu'on ne sait où ils commencent et finissent, ont détruit la franche et vraie gaieté qui distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ajoutez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots, décence et bonnes moeurs, qui donnent un air si important, si supérieur, que nos jugeurs de comédies seraient désolés de n'avoir pas à les prononcer sur toutes les pièces de théâtre, et vous connaÃtrez à peu près ce qui garrotte le génie, intimide tous les auteurs, et porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue, sans laquelle il n'y a pourtant que du bel esprit à la glace et des comédies de quatre jours. Enfin, pour dernier mal, tous les états de la société sont parvenus à se soustraire à la censure dramatique on ne pourrait mettre au théâtre Les Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd'hui les Dandins et les Brid'oisons, même des gens plus éclairés, s'écrier qu'il n'y a plus ni moeurs, ni respect pour les magistrats. On ne ferait point le Turcaret, sans avoir à l'instant sur les bras fermes, sous-fermes, traites et gabelles, droits réunis, tailles, taillons, le trop-plein, le trop-bu, tous les impositeurs royaux. Il est vrai qu'aujourd'hui Turcaret n'a plus de modèles. On l'offrirait sous d'autres traits, l'obstacle resterait le même. On ne jouerait point les fâcheux, les marquis, les emprunteurs de Molière, sans révolter à la fois la haute, la moyenne, la moderne et l'antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos féminins bureaux d'esprit. Mais quel calculateur peut évaluer la force et la longueur du levier qu'il faudrait, de nos jours, pour élever jusqu'au théâtre l'oeuvre sublime du Tartuffe? Aussi l'auteur qui se compromet avec le public pour l'amuser ou pour l'instruire, au lieu d'intriguer à son choix son ouvrage, est-il obligé de tourniller dans des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modèles hors de la société, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en composant son triste drame. J'ai donc réfléchi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute cette poussière, bientôt l'ennui des pièces françaises porterait la nation au frivole opéra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, à ce ramas infect de tréteaux élevés à notre honte, où la décente liberté, bannie du théâtre français, se change en une licence effrénée; où la jeunesse va se nourrir de grossières inepties, et perdre, avec ses moeurs, le goût de la décence et des chefs-d'oeuvre de nos maÃtres. J'ai tenté d'être cet homme; et si je n'ai pas mis plus de talent à mes ouvrages, au moins mon intention s'est-elle manifestée dans tous. J'ai pensé, je pense encore, qu'on n'obtient ni grand pathétique, ni profonde moralité, ni bon et vrai comique au théâtre, sans des situations fortes, et qui naissent toujours d'une disconvenance sociale, dans le sujet qu'on veut traiter. L'auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce les conspirations, l'usurpation du trône, le meurtre, l'empoisonnement, l'inceste dans Oedipe et Phèdre; le fratricide dans Vendôme; le parricide dans Mahomet; le régicide dans Macbeth, etc., etc. La comédie, moins audacieuse, n'excède pas les disconvenances, parce que ses tableaux sont tirés de nos moeurs, ses sujets de la société. Mais comment frapper sur l'avarice, à moins de mettre en scène un méprisable avare? démasquer l'hypocrisie, sans montrer, comme Orgon, dans le Tartuffe, un abominable hypocrite, épousant sa fille et convoitant sa femme? un homme à bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier de femmes galantes? un joueur effréné, sans l'envelopper de fripons, s'il ne l'est pas déjà lui-même? Tous ces gens-là sont loin d'être vertueux; l'auteur ne les donne pas pour tels il n'est le patron d'aucun d'eux, il est le peintre de leurs vices. Et parce que le lion est féroce, le loup vorace et glouton, le renard rusé, cauteleux, la fable est-elle sans moralité? Quand l'auteur la dirige contre un sot que la louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard, sa moralité est remplie; s'il la tournait contre le bas flatteur, il finirait son apologue ainsi Le renard s'en saisit, le dévore; mais le fromage était empoisonné. La fable est une comédie légère, et toute comédie n'est qu'un long apologue leur différence est que dans la fable les animaux ont de l'esprit, et que dans notre comédie les hommes sont souvent des bêtes, et, qui pis est, des bêtes méchantes. Ainsi, lorsque Molière, qui fut si tourmenté par les sots, donne à l'avare un fils prodigue et vicieux qui lui vole sa cassette et l'injurie en face, est-ce des vertus ou des vices, qu'il tire sa moralité? que lui importent ces fantômes? c'est vous qu'il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs et balayeurs littéraires de son temps ne manquèrent pas d'apprendre au bon public combien tout cela était horrible! Il est aussi prouvé que des envieux très importants, ou des importants très envieux, se déchaÃnèrent contre lui. Voyez le sévère Boileau, dans son épÃtre au grand Racine, venger son ami qui n'est plus, en rappelant ainsi les faits L'Ignorance et l'Erreur, à ses naissantes pièces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scène plus exacte; Le vicomte, indigné, sortait au second acte L'un, défenseur zélé des dévots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu; L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre, Voulait venger la Cour immolée au parterre. On voit même dans un placet de Molière à Louis XIV, qui fut si grand en protégeant les arts, et sans le goût éclairé duquel notre théâtre n'aurait pas un seul chef-d'oeuvre de Molière; on voit ce philosophe auteur se plaindre amèrement au roi que, pour avoir démasqué les hypocrites, ils imprimaient partout qu'il était un libertin, un impie, un athée, un démon vêtu de chair, habillé en homme; et cela s'imprimait avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi qui le protégeait rien là -dessus n'est empiré. Mais, parce que les personnages d'une pièce s'y montrent sous des moeurs vicieuses, faut-il les bannir de la scène? Que poursuivrait-on au théâtre? les travers et les ridicules? Cela vaut bien la peine d'écrire! Ils sont chez nous comme les modes on ne s'en corrige point, on en change. Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille formes sous le masque des moeurs dominantes leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche de l'homme qui se voue au théâtre. Soit qu'il moralise en riant, soit qu'il pleure en moralisant, Héraclite ou Démocrite, il n'a pas un autre devoir. Malheur à lui, s'il s'en écarte! On ne peut corriger les hommes qu'en les faisant voir tels qu'ils sont. La comédie utile et véridique n'est point un éloge menteur, un vain discours d'académie. Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des plus nobles buts de l'art, avec la satire odieuse et personnelle l'avantage de la première est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théâtre, par l'homme juste, aigri de l'horrible abus des bienfaits, tous les hommes sont des ingrats quoique chacun soit bien près de penser comme lui, personne ne s'en offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu'il existe un bienfaiteur, ce reproche même établit une balance égale entre les bons et les mauvais coeurs, on le sent et cela console. Que si l'humoriste répond qu'un bienfaiteur fait cent ingrats, on répliquera justement qu'il n'y a peut-être pas un ingrat qui n'ait été plusieurs fois bienfaiteur et cela console encore. Et c'est ainsi qu'en généralisant, la critique la plus amère porte du fruit sans nous blesser, quand la satire personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je hais partout cette dernière, et je la crois un si punissable abus, que j'ai plusieurs fois d'office invoqué la vigilance du magistrat pour empêcher que le théâtre ne devÃnt une arène de gladiateurs, où le puissant se crût en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes vénales, et malheureusement trop communes, qui mettent leur bassesse à l'enchère. N'ont-ils donc pas assez, ces Grands, des mille et un feuillistes, faiseurs de bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien lâche, et dénigrer qui les offusque? On tolère un si léger mal, parce qu'il est sans conséquence, et que la vermine éphémère démange un instant et périt; mais le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour les maux publics. Ce n'est donc ni le vice ni les incidents qu'il amène, qui font l'indécence théâtrale; mais le défaut de leçons et de moralité. Si l'auteur ou faible ou timide, n'ose en tirer de son sujet voilà ce qui rend sa pièce équivoque ou vicieuse. Lorsque je mis Eugénie au théâtre et il faut bien que je me cite, puisque c'est toujours moi qu'on attaque, lorsque je mis Eugénie au théâtre tous nos jurés-crieurs à la décence jetaient des flammes dans les foyers sur ce que j'avais osé montrer un seigneur libertin, habillant ses valets en prêtres, et feignant d'épouser une jeune personne qui paraÃt enceinte au théâtre sans avoir été mariée. Malgré leurs cris, la pièce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le plus moral des drames, constamment jouée sur tous les théâtres, et traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralité, que l'intérêt y naissaient entièrement de l'abus qu'un homme puissant et vicieux fait de son nom, de son crédit pour tourmenter une faible fille sans appui, trompée, vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce que l'ouvrage a d'utile et de bon naÃt du courage qu'eut l'auteur d'oser porter la disconvenance sociale au plus haut point de liberté. Depuis, j'ai fait Les Deux Amis, pièce dans laquelle un père avoue à sa prétendue nièce qu'elle est sa fille illégitime. Ce drame est aussi très moral, parce qu'à travers les sacrifices de la plus parfaite amitié, l'auteur s'attache à y montrer les devoirs qu'impose la nature sur les fruits d'un ancien amour, que la rigoureuse dureté des convenances sociales, ou plutôt leur abus, laisse trop souvent sans appui. Entre autres critiques de la pièce, j'entendis dans une loge, auprès de celle que j'occupais, un jeune important de la Cour qui disait gaiement à des dames "L'auteur, sans doute, est un garçon fripier qui ne voit rien de plus élevé que des commis des Fermes et des marchands d'étoffes; et c'est au fond d'un magasin qu'il va chercher les nobles amis qu'il traduit à la scène française. - Hélas! monsieur, lui dis-je en m'avançant, il a fallu du moins les prendre où il n'est pas impossible de les supposer. Vous ririez bien plus de l'auteur s'il eût tiré deux vrais amis de l'Oeil-de-boeuf ou des carrosses? Il faut un peu de vraisemblance, même dans les actes vertueux." Me livrant à mon gai caractère, j'ai depuis tenté, dans Le Barbier de Séville, de ramener au théâtre l'ancienne et franche gaieté, en l'alliant avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle, mais comme cela même était une espèce de nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. Il semblait que j'eusse ébranlé l'Etat; l'excès des précautions qu'on prit et des cris qu'on fit contre moi décelait surtout la frayeur que certains vicieux de ce temps avaient de s'y voir démasqués. La pièce fut censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l'affiche à l'instant d'être jouée, dénoncée même au Parlement d'alors, et moi, frappé de ce tumulte, je persistais à demander que le public restât le juge de ce que j'avais destiné à l'amusement du public. Je l'obtins au bout de trois ans. Après les clameurs, les éloges, et chacun me disait tout bas. "Faites-nous donc des pièces de ce genre, puisqu'il n'y a plus que vous qui osiez rire en face." Un auteur désolé par la cabale et les criards, mais qui voit sa pièce marcher, reprend courage; et c'est ce que j'ai fait. Feu M. le prince de Conti, de patriotique mémoire car, en frappant l'air de son nom, l'on sent vibrer le vieux mot patrie, feu M. le prince de Conti, donc, me porta le défi public de mettre au théâtre ma préface du Barbier, plus gaie, disait-il, que la pièce, et d'y montrer la famille de Figaro, que j'indiquais dans cette préface. "Monseigneur, lui répondis-je, si je mettais une seconde fois ce caractère sur la scène, comme je le montrerais plus âgé, qu'il en saurait quelque peu davantage, ce serait bien un autre bruit; et qui sait s'il verrait le jour?" Cependant, par respect, j'acceptai le défi; je composai cette Folle journée, qui cause aujourd'hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C'était un homme d'un grand caractère, un prince auguste, un esprit noble et fier le dirai-je? il en fut content. Mais quel piège, hélas! j'ai tendu au jugement de nos critiques en appelant ma comédie du vain nom de Folle journée! Mon objet était bien de lui ôter quelque importance; mais je ne savais pas encore à quel point un changement d'annonce peut égarer tous les esprits. En lui laissant son véritable titre, on eût lu L'Epoux suborneur. C'était pour eux une autre piste, on me courait différemment. Mais ce nom de Folle journée les a mis à cent lieues de moi ils n'ont plus rien vu dans l'ouvrage que ce qui n'y sera jamais; et cette remarque un peu sévère sur la facilité de prendre le change a plus d'étendue qu'on ne croit. Au lieu du nom de George Dandin, si Molière eût appelé son drame La Sottise des alliances, il eût porté bien plus de fruit; si Regnard eût nommé son Légataire, La Punition du célibat, la pièce nous eût fait frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l'ai fait avec réflexion. Mais qu'on ferait un beau chapitre sur tous les jugements des hommes et la morale du théâtre, et qu'on pourrait intituler De l'influence de l'affiche! Quoi qu'il en soit, La Folle journée resta cinq ans au portefeuille; les comédiens ont su que je l'avais, ils me l'ont enfin arrachée. S'ils ont bien ou mal fait pour eux, c'est ce qu'on a pu voir depuis. Soit que la difficulté de la rendre excitât leur émulation, soit qu'ils sentissent avec le public que pour lui plaire en comédie il fallait de nouveaux efforts, jamais pièce aussi difficile n'a été jouée avec autant d'ensemble, et si l'auteur comme on le dit est resté au-dessous de lui-même, il n'y a pas un seul acteur dont cet ouvrage n'ait établi, augmenté ou confirmé la réputation. Mais revenons à sa lecture, à l'adoption des comédiens. Sur l'éloge outré qu'ils en firent, toutes les sociétés voulurent le connaÃtre, et dès lors il fallut me faire des querelles de toute espèce, ou céder aux instances universelles. Dès lors aussi les grands ennemis de l'auteur ne manquèrent pas de répandre à la Cour qu'il blessait dans cet ouvrage, d'ailleurs un tissu de bêtises, la religion, le gouvernement, tous les états de la société, les bonnes moeurs, et qu'enfin la vertu y était opprimée et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l'ont tant répété me font l'honneur de lire cette préface, ils y verront au moins que j'ai cité bien juste; et la bourgeoise intégrité que je mets à mes citations n'en fera que mieux ressortir la noble infidélité des leurs. Ainsi, dans Le Barbier de Séville, je n'avais qu'ébranlé l'Etat; dans ce nouvel essai, plus infâme et plus séditieux, je le renversais de fond en comble. Il n'y avait plus rien de sacré, si l'on permettait cet ouvrage. On abusait l'autorité par les plus insidieux rapports; on cabalait auprès des corps puissants; on alarmait les dames timorées; on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des oratoires et moi, selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon excessive patience, par la roideur de mon respect, l'obstination de ma docilité; par la raison, quand on voulait l'entendre. Ce combat a duré quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille que reste-t-il des allusions qu'on s'efforce à voir dans l'ouvrage? Hélas! quand il fut composé, tout ce qui fleurit aujourd'hui n'avait pas même encore germé c'était tout un autre univers. Pendant ces quatre ans de débat, je ne demandais qu'un censeur; on m'en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l'ouvrage, objet d'un tel déchaÃnement? La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d'une jeune fille qu'il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu'elle doit épouser, et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maÃtre absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalité rendent tout-puissant pour l'accomplir. Voilà tout, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. D'où naissaient donc ces cris perçants? De ce qu'au lieu de poursuivre un seul caractère vicieux, comme le joueur, l'ambitieux, l'avare, ou l'hypocrite, ce qui ne lui eût mis sur les bras qu'une seule classe d'ennemis, l'auteur a profité d'une composition légère, ou plutôt a formé son plan de façon à y faire entrer la critique d'une foule d'abus qui désolent la société. Mais comme ce n'est pas là ce qui gâte un ouvrage aux yeux du censeur éclairé, tous, en l'approuvant, l'ont réclamé pour le théâtre. Il a donc fallu l'y souffrir alors les grands du monde ont vu jouer avec scandale Cette pièce où l'on peint un insolent valet Disputant sans pudeur son épouse à son maÃtre. M. GUDIN. Oh! que j'ai de regret de n'avoir pas fait de ce sujet moral une tragédie bien sanguinaire! Mettant un poignard à la main de l'époux outragé, que je n'aurais pas nommé Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder le Puissant vicieux; et comme il aurait vengé son honneur dans des vers carrés, bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins général d'armée, aurait eu pour rival quelque tyran bien horrible et régnant au plus mal sur un peuple désolé, tout cela, très loin de nos moeurs, n'aurait, je crois, blessé personne, on eût crié bravo ! ouvrage bien moral! Nous étions sauvés, moi et mon Figaro sauvage. Mais ne voulant qu'amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de leurs épouses, de mon coupable amant j'ai fait un jeune seigneur de ce temps-là , prodigue, assez galant, même un peu libertin, à peu près comme les autres seigneurs de ce temps-là . Mais qu'oserait-on dire au théâtre d'un seigneur, sans les offenser tous, sinon de lui reprocher son trop de galanterie? N'est-ce pas là le défaut le moins contesté par eux-mêmes? J'en vois beaucoup, d'ici, rougir modestement et c'est un noble effort en convenant que j'ai raison. Voulant donc faire le mien coupable, j'ai eu le respect généreux de ne lui prêter aucun des vices du peuple. Direz-vous que je ne le pouvais pas, que c'eût été blesser toutes les vraisemblances? Concluez donc en faveur de ma pièce, puisque enfin je ne l'ai pas fait. Le défaut même dont je l'accuse n'aurait produit aucun mouvement comique, si je ne lui avais gaiement opposé l'homme le plus dégourdi de sa nation, le véritable Figaro, qui, tout en défendant Suzanne, sa propriété, se moque des projets de son maÃtre, et s'indigne très plaisamment qu'il ose jouter de ruse avec lui, maÃtre passé dans ce genre d'escrime. Ainsi, d'une lutte assez vive entre l'abus de la puissance, l'oubli des principes, la prodigalité, l'occasion, tout ce que la séduction a de plus entraÃnant, et le feu, l'esprit, les ressources que l'infériorité piquée au jeu peut opposer à cette attaque, il naÃt dans ma pièce un jeu plaisant d'intrigue, où l'époux suborneur, contrarié, lassé, harassé, toujours arrêté dans ses vues, est obligé, trois fois dans cette journée, de tomber aux pieds de sa femme, qui, bonne, indulgente et sensible, finit par lui pardonner c'est ce qu'elles font toujours. Qu'a donc cette moralité de blâmable, messieurs? La trouvez-vous un peu badine pour le ton grave que je prends? Accueillez-en une plus sévère qui blesse vos yeux dans l'ouvrage, quoique vous ne l'y cherchiez pas c'est qu'un seigneur assez vicieux pour vouloir prostituer à ses caprices tout ce qui lui est subordonné, pour se jouer, dans ses domaines, de la pudicité de toutes ses jeunes vassales, doit finir, comme celui-ci, par être la risée de ses valets. Et c'est ce que l'auteur a. très fortement prononcé, lorsqu'en fureur, au cinquième acte, Almaviva, croyant confondre une femme infidèle, montre à son jardinier un cabinet, en lui criant Entres-y, toi, Antonio; conduis devant son juge l'infâme qui m'a déshonoré; et que celui-ci lui répond Il y a, parguenne, une bonne Providence! Vous en avez tant fait dans le pays, qu'il faut bien aussi qu'à votre tour... ! Cette profonde moralité se fait sentir dans tout l'ouvrage; et s'il convenait à l'auteur de démontrer aux adversaires qu'à travers sa forte leçon il a porté la considération pour la dignité du coupable plus loin qu'on ne devait l'attendre de la fermeté de son pinceau, je leur ferais remarquer que, croisé dans tous ses projets, le comte Almaviva se voit toujours humilié, sans être jamais avili. En effet, si la Comtesse usait de ruse pour aveugler sa jalousie dans le dessein de le trahir, devenue coupable elle-même, elle ne pourrait mettre à ses pieds son époux sans le dégrader à nos yeux. La vicieuse intention de l'épouse brisant un lien respecté, l'on reprocherait justement à l'auteur d'avoir tracé des moeurs blâmables car nos jugements sur les moeurs se rapportent toujours aux femmes; on n'estime pas assez les hommes pour tant exiger d'eux sur ce point délicat. Mais loin qu'elle ait ce vil projet, ce qu'il y a de mieux établi dans l'ouvrage est que nul ne veut faire une tromperie au Comte, mais seulement l'empêcher d'en faire à tout le monde. C'est la pureté des motifs qui sauve ici les moyens du reproche; et de cela seul que la Comtesse ne veut que ramener son mari, toutes les confusions qu'il éprouve sont certainement très morales, aucune n'est avilissante. Pour que cette vérité vous frappe davantage, l'auteur oppose à ce mari peu délicat, la plus vertueuse des femmes par goût et par principes. Abandonnée d'un époux trop aimé, quand l'expose-t-on à vos regards? Dans le moment critique où sa bienveillance pour un aimable enfant, son filleul, peut devenir un goût dangereux, si elle permet au ressentiment qui l'appuie de prendre trop d'empire sur elle. C'est pour mieux faire ressortir l'amour vrai du devoir, que l'auteur la met un moment aux prises avec un goût naissant qui le combat. Oh! combien on s'est étayé de ce léger mouvement dramatique pour nous accuser d'indécence! On accorde à la tragédie que toutes les reines, les princesses, aient des passions bien allumées qu'elles combattent plus ou moins; et l'on ne souffre pas que, dans la comédie, une femme ordinaire puisse lutter contre la moindre faiblesse! O grande influence de l'affiche! jugement sûr et conséquent! Avec la différence du genre, on blâme ici ce qu'on approuvait là . Et cependant, en ces deux cas, c'est toujours le même principe point de vertu sans sacrifice. J'ose en appeler à vous, jeunes infortunées que votre malheur attache à des Almaviva! Distingueriez-vous toujours votre vertu de vos chagrins, si quelque intérêt importun, tendant trop à les dissiper, ne vous avertissait enfin qu'il est temps de combattre pour elle? Le chagrin de perdre un mari n'est pas ici ce qui nous touche, un regret aussi personnel est trop loin d'être une vertu. Ce qui nous plaÃt dans la Comtesse, c'est de la voir lutter franchement contre un goût naissant qu'elle blâme, et des ressentiments légitimes. Les efforts qu'elle fait alors pour ramener son infidèle époux, mettant dans le plus heureux jour les deux sacrifices pénibles de son goût et de sa colère, on n'a nul besoin d'y penser pour applaudir à son triomphe; elle est un modèle de vertu, l'exemple de son sexe et l'amour du nôtre. Si cette métaphysique de l'honnêteté des scènes, si ce principe avoué de toute décence théâtrale n'a point frappé nos juges à la représentation, c'est vainement que j'en étendrais ici le développement, les conséquences; un tribunal d'iniquité n'écoute point les défenses de l'accusé qu'il est chargé de perdre, et ma Comtesse n'est point traduite au parlement de la nation c'est une commission qui la juge. On a vu la légère esquisse de son aimable caractère dans la charmante pièce d'Heureusement. Le goût naissant que la jeune femme éprouve pour son petit cousin l'officier, n'y parut blâmable à personne, quoique la tournure des scènes pût laisser à penser que la soirée eût fini d'autre manière, si l'époux ne fût pas rentré, comme dit l'auteur, heureusement. Heureusement aussi l'on n'avait pas le projet de calomnier cet auteur chacun se livra de bonne foi à ce doux intérêt qu'inspire une jeune femme honnête et sensible, qui réprime ses premiers goûts; et notez que, dans cette pièce, l'époux ne paraÃt qu'un peu sot; dans la mienne, il est infidèle ma Comtesse a plus de mérite. Aussi, dans l'ouvrage que je défends, le plus véritable intérêt se porte-t-il sur la Comtesse; le reste est dans le même esprit. Pourquoi Suzanne la camariste, spirituelle, adroite et rieuse, a-t-elle aussi le droit de nous intéresser? C'est qu'attaquée par un séducteur puissant, avec plus d'avantage qu'il n'en faudrait pour vaincre une fille de son état, elle n'hésite pas à confier les intentions du Comte aux deux personnes les plus intéressées à bien surveiller sa conduite sa maÃtresse et son fiancé. C'est que, dans tout son rôle, presque le plus long de la pièce, il n'y a pas une phrase, un mot qui ne respire la sagesse et l'attachement à ses devoirs la seule ruse qu'elle se permette est en faveur de sa maÃtresse, à qui son dévouement est cher, et dont tous les voeux sont honnêtes. Pourquoi, dans ses libertés sur son maÃtre, Figaro m'amuse-t-il au lieu de m'indigner? C'est que, l'opposé des valets, il n'est pas, et vous le savez, le malhonnête homme de la pièce en le voyant forcé, par son état, de repousser l'insulte avec adresse, on lui pardonne tout, dès qu'on sait qu'il ne ruse avec son seigneur que pour garantir ce qu'il aime et sauver sa propriété. Donc, hors le Comte et ses agents, chacun fait dans la pièce à peu près ce qu'il doit. Si vous les croyez malhonnêtes parce qu'ils disent du mal les uns des autres, c'est une règle très fautive. Voyez nos honnêtes gens du siècle on passe la vie à ne faire autre chose! Il est même tellement reçu de déchirer sans pitié les absents, que moi, qui les défends toujours, j'entends murmurer très souvent "Quel diable d'homme, et qu'il est contrariant! il dit du bien de tout le monde!" Est-ce mon page, enfin, qui vous scandalise, et l'immoralité qu'on reproche au fond de l'ouvrage serait-elle dans l'accessoire? O censeurs délicats, beaux esprits sans fatigue, inquisiteurs pour la morale, qui condamnez en un clin d'oeil les réflexions de cinq années, soyez justes une fois, sans tirer à conséquence. Un enfant de treize ans, aux premiers battements du coeur, cherchant tout sans rien démêler, idolâtre, ainsi qu'on l'est à cet âge heureux, d'un objet céleste pour lui, dont le hasard fit sa marraine est-il un sujet de scandale? Aimé de tout le monde au château, vif, espiègle et brûlant comme tous les enfants spirituels, par son agitation extrême, il dérange dix fois sans le vouloir les coupables projets du Comte. Jeune adepte de la nature, tout ce qu'il voit a droit de l'agiter peut-être il n'est plus un enfant, mais il n'est pas encore un homme; et c'est le moment que j'ai choisi pour qu'il obtÃnt de l'intérêt, sans forcer personne à rougir. Ce qu'il éprouve innocemment, il l'inspire partout de même. Direz-vous qu'on l'aime d'amour? Censeurs, ce n'est pas là le mot. Vous êtes trop éclairés pour ignorer que l'amour, même le plus pur, a un motif intéressé on ne l'aime donc pas encore; on sent qu'un jour on l'aimera. Et c'est ce que l'auteur a mis avec gaieté dans la bouche de Suzanne, quand elle dit à cet enfant Oh ! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien... Pour lui imprimer plus fortement le caractère de l'enfance, nous le faisons exprès tutoyer par Figaro. Supposez-lui deux ans de plus, quel valet dans le château prendrait ces libertés? Voyez-le à la fin de son rôle; à peine a-t-il un habit d'officier, qu'il porte la main à l'épée aux premières railleries du Comte, sur le quiproquo d'un soufflet. Il sera fier, notre étourdi! mais c'est un enfant, rien de plus. N'ai-je pas vu nos dames, dans les loges, aimer mon page à la folie? Que lui voulaient-elles? Hélas! rien c'était de l'intérêt aussi; mais, comme celui de la Comtesse, un pur et naïf intérêt un intérêt... sans intérêt. Mais est-ce la personne du page, ou la conscience du seigneur, qui fait le tourment du dernier toutes les fois que l'auteur les condamne à se rencontrer dans la pièce? Fixez ce léger aperçu, il peut vous mettre sur la voie; ou plutôt apprenez de lui que cet enfant n'est amené que pour ajouter à la moralité de l'ouvrage, en vous montrant que l'homme le plus absolu chez lui, dès qu'il suit un projet coupable, peut être mis au désespoir par l'être le moins important, par celui qui redoute le plus de se rencontrer sur sa route. Quand mon page aura dix-huit ans, avec le caractère vif et bouillant que je lui ai donné, je serai coupable à mon tour si je le montre sur la scène. Mais à treize ans, qu'inspire-t-il? Quelque chose de sensible et doux, qui n'est amitié ni amour, et qui tient un peu de tous deux. J'aurais de la peine à faire croire à l'innocence de ces impressions, si nous vivions dans un siècle moins chaste, dans un de ces siècles de calcul, où, voulant tout prématuré comme les fruits de leurs serres chaudes, les Grands mariaient leurs enfants à douze ans, et faisaient plier la nature, la décence et le goût aux plus sordides convenances, en se hâtant surtout d'arracher de ces êtres non formés des enfants encore moins formables, dont le bonheur n'occupait personne, et qui n'étaient que le prétexte d'un certain trafic d'avantages qui n'avait nul rapport à eux, mais uniquement à leur nom. Heureusement nous en sommes bien loin et le caractère de mon page, sans conséquence pour lui-même, en a une relative au Comte, que le moraliste aperçoit, mais qui n'a pas encore frappé le grand commun de nos jugeurs. Ainsi, dans cet ouvrage, chaque rôle important a quelque but moral. Le seul qui semble y déroger est le rôle de Marceline. Coupable d'un ancien égarement dont son Figaro fut le fruit, elle devrait, dit-on, se voir au moins punie par la confusion de sa faute, lorsqu'elle reconnaÃt son fils. L'auteur eût pu en tirer une moralité plus profonde dans les moeurs qu'il veut corriger, la faute d'une jeune fille séduite est celle des hommes et non la sienne. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas fait? Il l'a fait, censeurs raisonnables! Etudiez la scène suivante, qui, faisait le nerf du troisième acte, et que les comédiens m'ont prié de retrancher, craignant qu'un morceau si sévère n'obscurcÃt la gaieté, de l'action. Quand Molière a bien humilié la coquette ou coquine du Misanthrope par la lecture publique de ses lettres à tous ses amants, il la laisse avilie sous les coups qu'il lui a portés il a raison; qu'en ferait-il? Vicieuse par goût et par choix, veuve aguerrie, femme de Cour, sans aucune excuse d'erreur, et fléau d'un fort honnête homme, il l'abandonne à nos mépris, et telle est sa moralité. Quant à moi; saisissant l'aveu naïf de Marceline au moment de la reconnaissance, je montrais cette femme humiliée, et Bartholo qui la refuse, et Figaro, leur fils commun, dirigeant l'attention publique sur les vrais fauteurs du désordre où l'on entraÃne sans pitié toutes les jeunes filles du peuple douées d'une jolie figure. Telle est la marche de la scène. Brid'oison, parlant de Figaro, qui vient de reconnaÃtre sa mère en Marceline. C'est clair il ne l'épousera pas. Bartholo Ni moi non plus. Marceline Ni vous! et votre fils? Vous m'aviez juré... Bartholo J'étais fou. Si pareils souvenirs engageaient, on serait tenu d'épouser tout le monde. Brid'oison Et si l'on y regardait de si près, personne n'épouserait personne. Bartholo Des fautes si connues! une jeunesse déplorable! Marceline, s'échauffant par degrés. Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit! je n'entends pas nier mes fautes; ce jour les a trop bien prouvées! Mais qu'il est dur de les expier après trente ans d'une vie modeste! J'étais née, moi, pour être sage, et je le suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant à tant d'ennemis rassemblés? Tel nous juge ici sévèrement, qui peut-être en sa vie a perdu dix infortunées! Figaro Les plus coupables sont les moins généreux, c'est la règle. Marceline, vivement. Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes, c'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse vous et vos magistrats si vains du droit de nous juger, et qui nous laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister! Est-il un seul état pour les malheureuses filles? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes; on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe. Figaro Ils font broder jusqu'aux soldats! Marceline, exaltée. Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire. Leurrées de respects apparents, dans une servitude réelle; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes ah! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié. Figaro Elle a raison. Le Comte, à part. Que trop raison. Brid'oison Elle a, mon-on Dieu, raison. Marceline Mais que nous font, mon fils, les refus d'un homme injuste? Ne regarde pas d'où tu viens, vois où tu vas; cela seul importe à chacun. Dans quelques mois ta fiancée ne dépendra plus que d'elle-même; elle t'acceptera, j'en réponds vis entre une épouse, une mère tendres, qui te chériront à qui mieux mieux. Sois indulgent pour elles, heureux pour toi, mon fils, gai, libre et bon pour tout le monde, il ne manquera rien à ta mère. Figaro Tu parles d'or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu'on est sot, en effet! Il y a des mille, mille ans que le monde roule et dans cet océan de durée, où j'ai par hasard attrapé quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j'irais me tourmenter pour savoir à qui je les dois! Tant pis pour qui s'en inquiète. Passer ainsi la vie à chamailler, c'est peser sur le collier sans relâche, comme les malheureux chevaux de la remonte des fleuves, qui ne reposent pas, même quand ils s'arrêtent, et qui tirent toujours, quoiqu'ils cessent de marcher. Nous attendrons. J'ai bien regretté ce morceau; et maintenant que la pièce est connue, si les comédiens avaient le courage de le restituer à ma prière, je pense que le public leur en saurait beaucoup de gré Ils n'auraient plus même à répondre, comme je fus forcé de le faire à certains censeurs du beau monde, qui me reprochaient à la lecture, de les intéresser pour une femme de mauvaises moeurs - Non, messieurs, je n'en parle pas pour excuser ses moeurs, mais pour vous faire rougir des vôtres sur le point le plus destructeur de toute honnêteté publique, la corruption des jeunes personnes; et j'avais raison de le dire, que vous trouvez ma pièce trop gaie, parce qu'elle est souvent trop sévère. Il n'y a que façon de s'entendre. - Mais votre Figaro est un soleil tournant, qui brûle, en jaillissant, les manchettes de tout le monde. - Tout le monde est exagéré. Qu'on me sache gré du moins s'il ne brûle pas aussi les doigts de ceux qui croient s'y reconnaÃtre au temps qui court, on a beau jeu sur cette matière au théâtre. M'est-il permis de composer en auteur qui sort du collège? de toujours faire rire des enfants, sans jamais rien dire à des hommes? Et ne devez-vous pas me passer un peu de morale en faveur de ma gaieté, comme on passe aux Français un peu de folie en faveur de leur raison? Si je n'ai versé sur nos sottises qu'un peu de critique badine, ce n'est pas que je ne sache en former de plus sévères quiconque a dit tout ce qu'il sait dans son ouvrage, y a mis plus que moi dans le mien. Mais je garde une foule d'idées qui me pressent pour un des sujets les plus moraux du théâtre, aujourd'hui sur mon chantier La Mère coupable; et si le dégoût dont on m'abreuve me permet jamais de l'achever, mon projet étant d'y faire verser des larmes à toutes les femmes sensibles, j'élèverai mon langage à la hauteur de mes situations; j'y prodiguerai les traits de la plus austère morale, et je tonnerai fortement sur les vices que j'ai trop ménagés. Apprêtez-vous donc bien, messieurs, à me tourmenter de nouveau ma poitrine a déjà grondé; j'ai noirci beaucoup de papier au service de votre colère. Et vous, honnêtes indifférents qui jouissez de tout sans prendre parti sur rien; jeunes personnes modestes et timides, qui vous plaisez à ma Folle journée et je n'entreprends sa défense que pour justifier votre goût, lorsque vous verrez dans le monde un de ces hommes tranchants critiquer vaguement la pièce, tout blâmer sans rien désigner, surtout la trouver indécente, examinez bien cet homme-là , sachez son rang, son état, son caractère, et vous connaÃtrez sur-le-champ le mot qui l'a blessé dans l'ouvrage. On sent bien que je ne parle pas de ces écumeurs littéraires qui vendent leurs bulletins ou leurs affiches à tant de liards le paragraphe. Ceux-là , comme l'abbé Bazile, peuvent calomnier; ils médiraient, qu'on ne les croirait pas. Je parle moins encore de ces libellistes honteux qui n'ont trouvé d'autre moyen de satisfaire leur rage, l'assassinat étant trop dangereux, que de lancer, du cintre de nos salles, des vers infâmes contre l'auteur, pendant que l'on jouait sa pièce. Ils savent que je les connais; si j'avais eu dessein de les nommer, ç'aurait été au ministère public; leur supplice est de l'avoir craint, il suffit à mon ressentiment. Mais on n'imaginera jamais jusqu'où ils ont osé élever les soupçons du public sur une aussi lâche épigramme! semblables à ces vils charlatans du Pont-Neuf, qui, pour accréditer leurs drogues, farcissent d'ordres, de cordons, le tableau qui leur sert d'enseigne. Non, je cite nos importants, qui, blessés, on ne sait pourquoi, des critiques semées dans l'ouvrage, se chargent d'en dire du mal, sans cesser de venir aux noces. C'est un plaisir assez piquant de les voir d'en bas au spectacle, dans le très plaisant embarras de n'oser montrer ni satisfaction ni colère; s'avançant sur le bord des loges, prêts à se moquer de l'auteur, et se retirant aussitôt pour celer un peu de grimace; emportés par un mot de la scène et soudainement rembrunis par le pinceau du moraliste, au plus léger trait de gaieté jouer tristement les étonnés, prendre un air gauche en faisant les pudiques, et regardant les femmes dans les yeux, comme pour leur reprocher de soutenir un tel scandale; puis, aux grands applaudissements, lancer sur le public un regard méprisant, dont il est écrasé; toujours prêts à lui dire, comme ce courtisan dont parle Molière, lequel, outré du succès de L'Ecole des femmes, criait des balcons au public Ris donc, public, ris donc! En vérité, c'est un plaisir, et j'en ai joui bien des fois. Celui-là m'en rappelle un autre. Le premier jour de La Folle journée, on s'échauffait dans le foyer même d'honnêtes plébéiens sur ce qu'ils nommaient spirituellement mon audace. Un petit vieillard sec et brusque; impatienté de tous ces cris, frappe le plancher de sa canne, et dit en s'en allant Nos Français sont comme les enfants, qui braillent quand on les éberne. Il avait du sens, ce vieillard! Peut-être on pouvait mieux parler, mais pour mieux penser, j'en défie. Avec cette intention de tout blâmer, on conçoit que les traits les plus sensés ont été pris en mauvaise part. N'ai-je pas entendu vingt fois un murmure descendre des loges à cette réponse de Figaro Le Comte Une réputation détestable! Figaro Et si je vaux mieux qu'elle! Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant? Je dis, moi, qu'il n'y en a point, qu'il ne saurait y en avoir, à moins d'une exception bien rare. Un homme obscur ou peu connu peut valoir mieux que sa réputation, qui n'est que l'opinion d'autrui. Mais de même qu'un sot en place en parait une fois plus sot, parce qu'il ne peut plus rien cacher, de même un grand seigneur, l'homme élevé en dignités, que la fortune et sa naissance ont placé sur le grand théâtre, et qui en entrant dans le monde, eut toutes les préventions pour lui, vaut presque toujours moins que sa réputation, s'il parvient à la rendre mauvaise. Une assertion si simple et si loin du sarcasme devait-elle exciter le murmure? Si son application paraÃt fâcheuse aux Grands peu soigneux de leur gloire, en quel sens fait-elle épigramme sur ceux qui méritent nos respects? Et quelle maxime plus juste au théâtre peut servir de frein aux puissants, et tenir lieu de leçon à ceux qui n'en reçoivent point d'autres? Non qu'il faille oublier a dit un écrivain sévère, et je me plais à le citer parce que je suis de son avis, "non qu'il faille oublier, dit-il, ce qu'on doit aux rangs élevés il est juste, au contraire, que l'avantage de la naissance soit le moins contesté de tous, parce que ce bienfait gratuit de l'hérédité, relatif aux exploits, vertus ou qualités des aïeux de qui le reçut, ne peut aucunement blesser l'amour-propre de ceux auxquels il fut refusé; parce que, dans une monarchie, si l'on ôtait les rangs intermédiaires, il y aurait trop loin du monarque aux sujets; bientôt on n'y verrait qu'un despote et des esclaves le maintien d'une échelle graduée du laboureur au potentat intéresse également les hommes de tous les rangs, et peut-être est le plus ferme appui de la constitution monarchique." Mais quel auteur parlait ainsi? qui faisait cette profession de foi sur la noblesse, dont on me suppose si loin? C'était PIERRE AUGUSTIN CARON DE BEAUMARCHAIS, plaidant par écrit au Parlement d'Aix, en 1778, une grande et sévère question qui décida bientôt de l'honneur d'un noble et du sien. Dans l'ouvrage que je défends, on n'attaque point les états, mais les abus de chaque état les gens seuls qui s'en rendent coupables ont intérêt à le trouver mauvais. Voilà les rumeurs expliquées mais quoi donc! les abus sont-ils devenus si sacrés, qu'on n'en puisse attaquer aucun sans lui trouver vingt défenseurs? Un avocat célèbre, un magistrat respectable, iront-ils donc s'approprier le plaidoyer d'un Bartholo, le jugement d'un Brid'oison? Ce mot de Figaro sur l'indigne abus des plaidoiries de nos jours C'est dégrader le plus noble institut a bien montré le cas que je fais du noble métier d'avocat; et mon respect pour la magistrature ne sera pas plus suspecté quand on saura dans quelle école j'en ai recherché la leçon, quand on lira le morceau suivant, aussi tiré d'un moraliste, lequel parlant des magistrats, s'exprime en ces termes formels "Quel homme aisé voudrait, pour le plus modique honoraire, faire le métier cruel de se lever à quatre heures, pour aller au Palais tous les jours s'occuper, sous des formes prescrites, d'intérêts qui ne sont jamais les siens? d'éprouver sans cesse l'ennui de l'importunité, le dégoût des sollicitations, le bavardage des plaideurs, la monotonie des audiences, la fatigue des délibérations, et la contention d'esprit nécessaire aux prononcés des arrêts, s'il ne se croyait pas payé de cette vie laborieuse et pénible par l'estime et la considération publiques? Et cette estime est-elle autre chose qu'un jugement, qui n'est même aussi flatteur pour les bons magistrats qu'en raison de sa rigueur excessive contre les mauvais?" Mais quel écrivain m'instruisait ainsi par ses leçons? Vous allez croire encore que c'est PIERRE-AUGUSTIN; vous l'avez dit c'est lui, en 1773, dans son quatrième Mémoire, en défendant jusqu'à la mort sa triste existence, attaquée par un soi-disant magistrat. Je respecte donc hautement ce que chacun doit honorer, et je blâme ce qui peut nuire. - Mais dans cette Folle journée, au lieu de saper les abus, vous vous donnez des libertés très répréhensibles au théâtre; votre monologue surtout contient, sur les gens disgraciés, des traits qui passent la licence! - Eh! croyez-vous, messieurs, que j'eusse un talisman pour tromper, séduire, enchaÃner la censure et l'autorité, quand je leur soumis mon ouvrage? que je n'aie pas dû justifier ce que j'avais osé écrire? Que fais-je dire à Figaro, parlant à l'homme déplacé? Que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours. Est-ce donc là une vérité d'une conséquence dangereuse? Au lieu de ces inquisitions puériles et fatigantes, et qui seules donnent de l'importance à ce qui n'en aurait jamais; si, comme en Angleterre, on était assez sage ici pour traiter les sottises avec ce mépris qui les tue, loin de sortir du vil fumier qui les enfante, elles y pourriraient en germant, et ne se propageraient point. Ce qui multiplie les libelles est la faiblesse de les craindre; ce qui fait vendre les sottises est la sottise de les défendre. Et comment conclut Figaro? Que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. Sont-ce là des hardiesses coupables, ou bien des aiguillons de gloire? des moralités insidieuses, ou des maximes réfléchies, aussi justes qu'encourageantes? Supposez-les le fruit des souvenirs. Lorsque, satisfait du présent, l'auteur veille pour l'avenir, dans la critique du passé, qui peut avoir droit de s'en plaindre? Et si, ne désignant ni temps, ni lieu, ni personnes, il ouvre la voie au théâtre à des réformes désirables, n'est-ce pas aller à son but? La Folle journée explique donc comment, dans un temps prospère, sous un roi juste et des ministres modérés, l'écrivain peut tonner sur les oppresseurs, sans craindre de blesser personne. C'est pendant le règne d'un bon prince qu'on écrit sans danger l'histoire des méchants rois; et plus le gouvernement est sage, est éclairé, moins la liberté de dire est en presse chacun y faisant son devoir, on n'y craint pas les allusions; nul homme en place ne redoutant ce qu'il est forcé d'estimer, on n'affecte point alors d'opprimer chez nous cette même littérature qui fait notre gloire au-dehors, et nous y donne une sorte de primauté que nous ne pouvons tirer d'ailleurs. En effet, à quel titre y prétendrions-nous? Chaque peuple tient à son culte et chérit son gouvernement. Nous ne sommes pas restés plus braves que ceux qui nous ont battus à leur tour. Nos moeurs plus douces, mais non meilleures, n'ont rien qui nous élève au-dessus d'eux. Notre littérature seule, estimée de toutes les nations, étend l'empire de la langue française et nous obtient de l'Europe entière une prédilection avouée qui justifie, en l'honorant, la protection que le gouvernement lui accorde. Et comme chacun cherche toujours le seul avantage qui lui manque, c'est alors qu'on peut voir dans nos académies l'homme de la Cour siéger avec les gens de lettres; les talents personnels et la considération héritée se disputer ce noble objet, et les archives académiques se remplir presque également de papiers et de parchemins. Revenons à La Folle journée. Un monsieur de beaucoup d'esprit, mais qui l'économise un peu trop, me disait un soir au spectacle - Expliquez-moi donc, je vous prie, pourquoi dans votre pièce on trouve autant de phrases négligées qui ne sont pas de votre style? - De mon style, monsieur? Si par malheur j'en avais un, je m'efforcerais de l'oublier quand je fais une comédie, ne connaissant rien d'insipide au théâtre comme ces fades camaïeux où tout est bleu, où tout est rose, où tout est l'auteur, quel qu'il soit. Lorsque mon sujet me saisit, j'évoque tous mes personnages et les mets en situation. - Songe à toi, Figaro, ton maÃtre va te deviner. Sauvez-vous vite, Chérubin, c'est le Comte que vous touchez. - Ah! Comtesse, quelle imprudence avec un époux si violent! - Ce qu'ils diront, je n'en sais rien, c'est ce qu'ils feront qui m'occupe. Puis, quand ils sont bien animés, j'écris sous leur dictée rapide, sûr qu'ils ne me tromperont pas; que je reconnaÃtrai Bazile, lequel n'a pas l'esprit de Figaro, qui n'a pas le ton noble du Comte, qui n'a pas la sensibilité de la Comtesse, qui n'a pas la gaieté de Suzanne, qui n'a pas l'espièglerie du page, et surtout aucun d'eux la sublimité de Brid'oison. Chacun y parle son langage eh! que le dieu du naturel les préserve d'en parler d'autre! Ne nous attachons donc qu'à l'examen de leurs idées, et non à rechercher si j'ai dû leur prêter mon style. Quelques malveillants ont voulu jeter de la défaveur sur cette phrase de Figaro Sommes-nous des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu'ils ignorent? Je veux savoir, moi, pourquoi je me fâche! A travers le nuage d'une conception indigeste, ils ont feint d'apercevoir que je répands une lumière décourageante sur l'état pénible du soldat; et il y a des choses qu'il ne faut jamais dire. Voilà dans toute sa force l'argument de la méchanceté; reste à en prouver la bêtise. Si, comparant la dureté du service à la modicité de la paye, ou discutant tel autre inconvénient de la guerre et comptant la gloire pour rien, je versais de la défaveur sur ce plus noble des affreux métiers, on me demanderait justement compte d'un mot indiscrètement échappé. Mais du soldat au colonel, au général exclusivement, quel imbécile homme de guerre a jamais eu la prétention qu'il dût pénétrer les secrets du cabinet, pour lesquels il fait la campagne? C'est de cela seul qu'il s'agit dans la phrase de Figaro. Que ce fou-là se montre, s'il existe; nous l'enverrons étudier sous le philosophe Babouc, lequel éclaircit disertement ce point de discipline militaire. En raisonnant sur l'usage que l'homme fait de sa liberté dans les occasions difficiles, Figaro pouvait également opposer à sa situation tout état qui exige une obéissance implicite, et le cénobite zélé dont le devoir est de tout croire sans jamais rien examiner, comme le guerrier valeureux, dont la gloire est de tout affronter sur des ordres non motivés, de tuer et se faire tuer pour des intérêts qu'il ignore. Le mot de Figaro ne dit donc rien, sinon qu'un homme libre de ses actions doit agir sur d'autres principes que ceux dont le devoir est d'obéir aveuglément. Qu'aurait-ce été, bon Dieu! si j'avais fait usage d'un mot qu'on attribue au grand Condé, et que j'entends louer à outrance par ces mêmes logiciens qui déraisonnent sur ma phrase? A les croire, le grand Condé montra la plus noble présence d'esprit lorsque, arrêtant Louis XIV prêt à pousser son cheval dans le Rhin, il dit à ce monarque Sire, avez-vous besoin du bâton de maréchal? Heureusement on ne prouve nulle part que ce grand homme ait dit cette grande sottise. C'eût été dire au roi, devant toute son armée "Vous moquez-vous donc, Sire, de vous exposer dans un fleuve? Pour courir de pareils dangers, il faut avoir besoin d'avancement ou de fortune!" Ainsi l'homme le plus vaillant, le plus grand général du siècle aurait compté pour rien l'honneur, le patriotisme et la gloire! Un misérable calcul d'intérêt eût été, selon lui, le seul principe de la bravoure! Il eût dit là un affreux mot, et si j'en avais pris le sens pour l'enfermer dans quelque trait, je mériterais le reproche qu'on fait gratuitement au mien. Laissons donc les cerveaux fumeux louer ou blâmer au hasard, sans se rendre compte de rien; s'extasier sur une sottise qui n'a pu jamais être dite, et proscrire un mot juste et simple, qui ne montre que du bon sens. Un autre reproche assez fort, mais dont je n'ai pu me laver, est d'avoir assigné pour retraite à la Comtesse un certain couvent d'Ursulines. Ursulines! a dit un seigneur, joignant les mains avec éclat. Ursulines! a dit une dame, en se renversant de surprise sur un jeune Anglais de sa loge. Ursulines! ah! milord! si vous entendiez le français!... - Je sens, je sens beaucoup, madame, dit le jeune homme en rougissant. - C'est qu'on n'a jamais mis au théâtre aucune femme aux Ursulines! Abbé, parlez-nous donc! L'abbé toujours appuyée sur l'Anglais, comment trouvez-vous Ursulines? - Fort indécent, répond l'abbé, sans cesser de lorgner Suzanne. Et tout le beau monde a répété Ursulines est fort indécent. Pauvre auteur! on te croit jugé, quand chacun songe à son affaire. En vain j'essayais d'établir que, dans l'événement de la scène, moins la Comtesse a dessein de se cloÃtrer, plus elle doit le feindre et faire croire à son époux que sa retraite est bien choisie ils ont proscrit mes Ursulines! Dans le plus fort de la rumeur, moi, bon homme, j'avais été jusqu'à prier une des actrices qui font le charme de ma pièce de demander aux mécontents à quel autre couvent de filles ils estimaient qu'il fût décent que l'on fÃt entrer la Comtesse? A moi, cela m'était égal; je l'aurais mise où l'on aurait voulu aux Augustines, aux Célestines, aux Clairettes, aux Visitandines, même aux Petites Cordelières, tant je tiens peu aux Ursulines. Mais on agit si durement! Enfin, le bruit croissant toujours, pour arranger l'affaire avec douceur, j'ai laissé le mot Ursulines à la place où je l'avais mis chacun alors content de soi, de tout l'esprit qu'il avait montré, s'est apaisé sur Ursulines, et l'on a parlé d'autre chose. Je ne suis point, comme l'on voit, l'ennemi de mes ennemis. En disant bien du mal de moi, ils n'en ont point fait à ma pièce; et s'ils sentaient seulement autant de joie à la déchirer que j'eus de plaisir à la faire, il n'y aurait personne d'affligé. Le malheur est qu'ils ne rient point; et ils ne rient point à ma pièce, parce qu'on ne rit point à la leur. Je connais plusieurs amateurs qui sont même beaucoup maigris depuis le succès du Mariage excusons donc l'effet de leur colère. A des moralités d'ensemble et de détail, répandues dans les flots d'une inaltérable gaieté; à un dialogue assez vif, dont la facilité nous cache le travail, si l'auteur a joint une intrigue aisément filée, où l'art se dérobe sous l'art, qui se noue et se dénoue sans cesse, à travers une foule de situations comiques, de tableaux piquants et variés qui soutiennent, sans la fatiguer l'attention du public pendant les trois heures et demie que dure le même spectacle essai que nul homme de lettres n'avait encore osé tenter!, que reste-t-il à faire à de pauvres méchants que tout cela irrite? Attaquer, poursuivre l'auteur par des injures verbales, manuscrites, imprimées c'est ce qu'on a fait sans relâche. Ils ont même épuisé jusqu'à la calomnie, pour tâcher de me perdre dans l'esprit de tout ce qui influe en France sur le repos d'un citoyen. Heureusement que mon ouvrage est sous les yeux de la nation, qui depuis dix grands mois le voit, le juge et l'apprécie. Le laisser jouer tant qu'il fera plaisir est la seule vengeance que je me sois permise. Je n'écris point ceci pour les lecteurs actuels le récit d'un mal trop connu touche peu; mais dans quatre-vingts ans il portera son fruit. Les auteurs de ce temps-là compareront leur sort au nôtre, et nos enfants sauront à quel prix on pouvait amuser leurs pères. Allons au fait; ce n'est pas tout cela qui blesse. Le vrai motif qui se cache, et qui dans les replis du coeur produit tous les autres reproches, est renfermé dans ce quatrain Pourquoi ce Figaro qu'on va tant écouter Est-il avec fureur déchiré par les sots? Recevoir, prendre et demander, Voilà le secret en trois mots! En effet, Figaro parlant du métier de courtisan, le définit dans ces termes sévères. Je ne puis le nier, je l'ai dit. Mais reviendrai-je sur ce point? Si c'est un mal, le remède serait pire il faudrait poser méthodiquement ce que je n'ai fait qu'indiquer; revenir à montrer qu'il n'y a point de synonyme, en français entre l'homme de la Cour, l'homme de Cour, et le courtisan par métier. Il faudrait répéter qu'homme de la Cour peint seulement un noble état; qu'il s'entend de l'homme de qualité, vivant avec la noblesse et l'éclat que son rang lui impose; que si cet homme de la Cour aime le bien par goût, sans intérêt, si, loin de jamais nuire à personne, il se fait estimer de ses maÃtres, aimer de ses égaux et respecter des autres; alors cette acception reçoit un nouveau lustre, et j'en connais plus d'un que je nommerais avec plaisir, s'il en était question. Il faudrait montrer qu'homme de Cour, en bon français, est moins l'énoncé d'un état que le résumé d'un caractère adroit, liant, mais réservé; pressant la main de tout le monde en glissant chemin à travers; menant finement son intrigue avec l'ait de toujours servir; ne se faisant point d'ennemis, mais donnant prés d'un fossé, dans l'occasion, de l'épaule au meilleur ami, pour assurer sa chute et le remplacer sur la crête; laissant à part tout préjugé qui pourrait ralentir sa marche; souriant à ce qui lui déplaÃt, et critiquant ce qu'il approuve, selon les hommes qui l'écoutent; dans les liaisons utiles de sa femme ou de sa maÃtresse, ne voyant que ce qu'il doit voir, enfin... Prenant! tout, pour le faire court, En véritable homme de Cour. LA FONTAINE. Cette acception n'est pas aussi défavorable que celle du courtisan par métier, et c'est l'homme dont parle Figaro. Mais quand j'étendrais la définition de ce dernier; quand parcourant tous les possibles, je le montrerais avec son maintien équivoque, haut et bas à la fois; rampant avec orgueil, ayant toutes les prétentions sans en justifier une; se donnant l'air du protégement pour se faire chef de parti; dénigrant tous les concurrents qui balanceraient son crédit; faisant un métier lucratif de ce qui ne devrait qu'honorer; vendant ses maÃtresses à son maÃtre; lui faisant payer ses plaisirs, etc., etc., et quatre pages d'etc., il faudrait toujours revenir au distique de Figaro Recevoir, prendre et demander, Voilà le secret en trois mots. Pour ceux-ci, je n'en connais point; il y en eut, dit-on, sous Henri III, sous d'autres rois encore; mais c'est l'affaire de l'historien, et, quant à moi, je suis d'avis que les vicieux du siècle en sont comme les saints; qu'il faut cent ans pour les canoniser. Mais puisque j'ai promis la critique de ma pièce, il faut enfin que je la donne. En général son grand défaut est que je ne l'ai point faite en observant le monde; qu'elle ne peint rien de ce qui existe, et ne rappelle jamais l'image de la société où l'on vit; que ses moeurs, basses et corrompues, n'ont pas même le mérite d'être vraies. Et c'est ce qu'on lisait dernièrement dans un beau discours imprimé, composé par un homme de bien, auquel il n'a manqué qu'un peu d'esprit pour être un écrivain médiocre. Mais médiocre ou non, moi qui ne fis jamais usage de cette allure oblique et torse avec laquelle un sbire, qui n'a pas l'air de vous regarder, vous donne du stylet au flanc, je suis de l'avis de celui-ci. Je conviens qu'à la vérité la génération passée ressemblait beaucoup à ma pièce; que la génération future lui ressemblera beaucoup aussi; mais que pour la génération présente, elle ne lui ressemble aucunement; que je n'ai jamais rencontré ni mari suborneur, ni seigneur libertin, ni courtisan avide, ni juge ignorant ou passionné, ni avocat injuriant, ni gens médiocres avancés, ni traducteur bassement jaloux. Et que si des âmes pures, qui ne s'y reconnaissent point du tout, s'irritent contre ma pièce et la déchirent sans relâche, c'est uniquement par respect pour leurs grands-pères et sensibilité pour leurs petits-enfants. J'espère, après cette déclaration, qu'on me laissera bien tranquille ET J'AI FINI. Caractères et habillements de la pièce Le Comte Almaviva doit être joué très noblement, mais avec grâce et liberté. La corruption du coeur ne doit rien ôter au bon ton de ses manières. Dans les moeurs de ce temps-là les Grands traitaient en badinant toute entreprise sur les femmes. Ce rôle est d'autant plus pénible à bien rendre, que le personnage est toujours sacrifié. Mais joué par un comédien excellent M. Molé, il a fait ressortir tous les rôles, et assuré le succès de la pièce. Son vêtement des premier et second actes est un habit de chasse avec des bottines à mi-jambe, de l'ancien costume espagnol. Du troisième acte jusqu'à la fin, un habit superbe de ce costume. La Comtesse, agitée de deux sentiments contraires, ne doit montrer qu'une sensibilité réprimée, ou une colère très modérée; rien surtout qui dégrade, aux yeux du spectateur, son caractère aimable et vertueux. Ce rôle, un des plus difficiles de la pièce, a fait infiniment d'honneur au grand talent de mademoiselle Saint-Val cadette. Son vêtement des premier, second et quatrième actes, est une lévite commode et nul ornement sur la tête elle est chez elle, et censée incommodée. Au cinquième acte, elle a l'habillement et la haute coiffure de Suzanne. Figaro. L'on ne peut trop recommander à l'acteur qui jouera ce rôle de bien se pénétrer de son esprit, comme l'a fait M. Dazincourt. S'il y voyait autre chose que de la raison assaisonnée de gaieté et de saillies, surtout s'il y mettait la moindre charge, il avilirait un rôle que le premier comique du théâtre, M. Préville, a jugé devoir honorer le talent de tout comédien qui saurait en saisir les nuances multipliées, et pourrait s'élever à son entière conception. Son vêtement comme dans le Barbier de Séville. Suzanne. Jeune personne adroite, spirituelle et rieuse, mais non de cette gaieté presque effrontée de nos soubrettes corruptrices; son joli caractère est dessiné dans la préface, et c'est là que l'actrice qui n'a point vu mademoiselle Contat doit l'étudier pour le bien rendre. Son vêtement des quatre premiers actes est un juste blanc à basquines, très élégant, la jupe de même, avec une toque, appelée depuis par nos marchandes à la Suzanne. Dans la fête du quatrième acte, le Comte lui pose sur la tète une toque à long voile, à hautes plumes et à rubans blancs. Elle porte au cinquième acte la lévite de sa maÃtresse, et nul ornement sur la tête. Marceline est une femme d'esprit, née un peu vive, mais dont les fautes et l'expérience ont réformé le caractère. Si l'actrice qui le joue s'élève avec une fierté bien placée à la hauteur très morale qui suit la reconnaissance du troisième acte, elle ajoutera beaucoup à l'intérêt de l'ouvrage. Son vêtement est celui des duègnes espagnoles, d'une couleur modeste, un bonnet noir sur la tête. Antonio ne doit montrer qu'une demi-ivresse, qui se dissipe par degrés; de sorte qu'au cinquième acte on ne s'en aperçoive presque plus. Son vêtement est celui d'un paysan espagnol, où les manches pendent par-derrière; un chapeau et des souliers blancs. Fanchette est une enfant de douze ans, très naïve. Son petit habit est un juste brun avec des ganses et des boutons d'argent, la jupe de couleur tranchante, et une toque noire à plumes sur la tête. Il sera celui des autres paysannes de la noce. Chérubin. Ce rôle ne peut être joué, comme il l'a été, que par une jeune et très jolie femme; nous n'avons point à nos théâtres de très jeune homme assez formé pour en bien sentir les finesses. Timide à l'excès devant la Comtesse, ailleurs un charmant polisson; un désir inquiet et vague est le fond de son caractère. Il s'élance à la puberté, mais sans projet, sans connaissances, et tout entier à chaque événement; enfin il est ce que toute mère, au fond du coeur, voudrait peut-être que fût son fils, quoiqu'elle dût beaucoup en souffrir. Son riche vêtement, au premier et second actes, est celui d'un page de Cour espagnol, blanc et brodé d'argent; le léger manteau bleu sur l'épaule, et un chapeau chargé de plumes. Au quatrième acte, il a le corset, la jupe et la toque des jeunes paysannes qui l'amènent. Au cinquième acte, un habit uniforme d'officier, une cocarde et une épée. Bartholo. Le caractère et l'habit comme dans Le Barbier de Séville; il n'est ici qu'un rôle secondaire. Bazile. Caractère et vêtement comme dans Le Barbier de Séville; il n'est aussi qu'un rôle secondaire. Brid'oison doit avoir cette bonne et franche assurance des bêtes qui n'ont plus leur timidité. Son bégaiement n'est qu'une grâce de plus, qui doit être à peine sentie; et l'acteur se tromperait lourdement et jouerait à contre-sens, s'il y cherchait le plaisant de son rôle. Il est tout entier dans l'opposition de la gravité de son état au ridicule du caractère; et moins l'acteur le chargera, plus il montrera de vrai talent. Son habit est une robe de juge espagnol moins ample que celle de nos procureurs, presque une soutane; une grosse perruque, une gonille ou rabat espagnol au cou, et une longue baguette blanche à la main. Double-Main. Vêtu comme le juge; mais la baguette blanche plus courte. L'Huissier ou Alguazil. Habit, manteau, épée de Crispin, mais portée à son côté sans ceinture de cuir. Point de bottines, une chaussure noire, une perruque blanche naissante et longue, à mille boucles, une courte baguette blanche. Gripe-Soleil. Habit de paysan, les manches pendantes, veste de couleur tranchée, chapeau blanc. Une Jeune Bergère. Son vêtement comme celui de Fanchette. Pédrille. En veste, gilet, ceinture, fouet, et bottes de poste, une résille sur la tête, chapeau de courrier. Personnages muets, les uns en habits de juges, d'autres et habits de paysans, les autres en habits de livrée. Personnages Le Comte Almaviva, grand corrégidor d'Andalousie. La Comtesse, sa femme. Figaro, valet de chambre du Comte et concierge du château. Suzanne, première camariste de la Comtesse et fiancée de Figaro. Marceline, femme de charge. Antonio, jardinier du château, oncle de Suzanne et père de Fanchette. Fanchette, fille d'Antonio. Chérubin, premier page du Comte. Bartholo, médecin de Séville. Bazile, maÃtre de clavecin de la Comtesse. Don Gusman Brid'oison, lieutenant du siège. Double-Main, greffier, secrétaire de don Gusman. Un Huissier Audiencier. Gripe-Soleil, jeune patoureau. Une Jeune Bergère. Pédrille, piqueur du Comte. Personnages muets Troupe de valets. Troupe de paysannes. Troupe de paysans. La scène est au château d'Aguas-Frescas, à trois lieues de Séville. Placement des acteurs Pour faciliter les jeux du théâtre, on a eu l'attention d'écrire au commencement de chaque scène le nom des personnages dans l'ordre où le spectateur les voit. S'ils font quelque mouvement grave dans la scène, il est désigné par un nouvel ordre de noms, écrit en marge à l'instant qu'il arrive. Il est important de conserver les bonnes positions théâtrales; le relâchement dans la tradition donnée par les premiers acteurs en produit bientôt un total dans le jeu des pièces, qui finit par assimiler les troupes négligentes au plus faibles comédiens de société. Acte premier Le théâtre représente une chambre à demi démeublée; un grand fauteuil de malade est au milieu. Figaro, avec une toise, mesure le plancher. Suzanne attache à sa tête, devant une glace, le petit bouquet de fleurs d'orange, appelé chapeau de la mariée. Scène I Figaro, Suzanne. Figaro Dix-neuf pieds sur vingt-six. Suzanne Tiens, Figaro, voilà mon petit chapeau le trouves-tu mieux ainsi? Figaro lui prend les mains. Sans comparaison, ma charmante. Oh! que ce joli bouquet virginal, élevé sur la tête d'une belle fille, est doux, le matin des noces, à l'oeil amoureux d'un époux!... Suzanne se retire. Que mesures-tu donc là , mon fils? Figaro Je regarde, ma petite Suzanne, si ce beau lit que Monseigneur nous donne aura bonne grâce ici. Suzanne Dans cette chambre? Figaro Il nous la cède. Suzanne Et moi, je n'en veux point. Figaro Pourquoi? Suzanne Je n'en veux point. Figaro Mais encore? Suzanne Elle me déplaÃt. Figaro On dit une raison. Suzanne Si je n'en veux pas dire? Figaro Oh! quand elles sont sûres de nous! Suzanne Prouver que j'ai raison serait accorder que je puis avoir tort. Es-tu mon serviteur; ou non? Figaro Tu prends de l'humeur contre la chambre du château la plus commode, et qui tient le milieu des deux appartements. La nuit, si madame est incommodée, elle sonnera de son côté; zeste, en deux pas tu es chez elle. Monseigneur veut-il quelque chose il n'a qu'à tinter du sien; crac, en trois sauts me voilà rendu. Suzanne Fort bien! Mais quand il aura tinté le matin, pour te donner quelque bonne et longue commission, zeste, en deux pas, il est à ma porte, et crac, en trois sauts... Figaro Qu'entendez-vous par ces paroles? Suzanne Il faudrait m'écouter tranquillement. Figaro Eh, qu'est-ce qu'il y a? bon Dieu! Suzanne Il y a, mon ami, que, las de courtiser les beautés des environs, monsieur le comte Almaviva veut rentrer au château, mais non pas chez sa femme; c'est sur la tienne, entends-tu, qu'il a jeté ses vues, auxquelles il espère que ce logement ne nuira pas. Et c'est ce que le loyal Bazile, honnête agent de ses plaisirs, et mon noble maÃtre à chanter, me répète chaque jour, en me donnant leçon. Figaro Bazile! ô mon mignon, si jamais volée de bois vert, appliquée sur une échine, a dûment redressé, la moelle épinière à quelqu'un... Suzanne Tu croyais, bon garçon, que cette dot qu'on me donne était pour les beaux yeux de ton mérite? Figaro J'avais assez fait pour l'espérer. Suzanne Que les gens d'esprit sont bêtes! Figaro On le dit. Suzanne Mais c'est qu'on ne veut pas le croire. Figaro On a tort. Suzanne Apprends qu'il la destine à obtenir de moi secrètement, certain quart d'heure, seul à seule, qu'un ancien droit du seigneur... Tu sais s'il était triste! Figaro Je le sais tellement, que si monsieur le Comte, en se mariant, n'eût pas aboli ce droit honteux, jamais je ne t'eusse épousée dans ses domaines. Suzanne Eh bien, s'il l'a détruit, il s'en repent; et c'est de ta fiancée qu'il veut le racheter en secret aujourd'hui. Figaro, se frottant la tête. Ma tête s'amollit de surprise, et mon front fertilisé... Suzanne Ne le frotte donc pas! Figaro Quel danger? Suzanne, riant. S'il y venait un petit bouton, des gens superstitieux... Figaro Tu ris, friponne! Ah! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur, de le faire donner dans un bon piège, et d'empocher son or! Suzanne De l'intrigue et de l'argent, te voilà dans ta sphère. Figaro Ce n'est pas la honte qui me retient. Suzanne La crainte? Figaro Ce n'est rien d'entreprendre une chose dangereuse, mais d'échapper au péril en la menant à bien car d'entrer cher quelqu'un la nuit, de lui souffler sa femme, et d'y recevoir cent coups de fouet pour la peine, il n'est rien plus aisé; mille sots coquins l'ont fait. Mais... On sonne de l'intérieur. Suzanne Voilà madame éveillée; elle m'a bien recommandé d'être la première à lui parler le matin de mes noces. Figaro Y a-t-il encore quelque chose là -dessous? Suzanne Le berger dit que cela porte bonheur aux épouses délaissées. Adieu, mon petit Fi, Fi, Figaro; rêve à notre affaire. Figaro Pour m'ouvrir l'esprit, donne un petit baiser. Suzanne A mon amant aujourd'hui? Je t'en souhaite! Et qu'en dirait demain mon mari? Figaro l'embrasse. Suzanne Hé bien! hé bien! Figaro C'est que tu n'as pas d'idée de mon amour. Suzanne, se défripant. Quand cesserez-vous, importun, de m'en parler du matin au soir? Figaro, mystérieusement. Quand je pourrai te le prouver du soir jusqu'au matin. On sonne une seconde fois. Suzanne, de loin, les doigts unis sur sa bouche. Voilà votre baiser, monsieur; je n'ai plus rien à vous. Figaro court après elle. Oh! mais ce n'est pas ainsi que vous l'avez reçu. Scène II Figaro, seul. La charmante fille! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d'esprit, d'amour et de délices! mais sage! Il marche vivement en se frottant les mains. Ah! Monseigneur! mon cher Monseigneur! vous voulez m'en donner... à garder? Je cherchais aussi pourquoi m'ayant nommé concierge, il m'emmène à son ambassade, et m'établit courrier de dépêches. J'entends, monsieur le Comte; trois promotions à la fois vous, compagnon ministre; moi, casse-cou politique, et Suzon, dame du lieu, l'ambassadrice de poche, et puis; fouette courrier! Pendant que je galoperais d'un côté, vous feriez faire de l'autre à ma belle un joli chemin! Me crottant, m'échinant pour la gloire de votre famille; vous, daignant concourir à l'accroissement de la mienne! Quelle douce réciprocité! Mais, Monseigneur, il y a de l'abus. Faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maÃtre et celles de votre valet! représenter à la fois le Roi et moi dans une Cour étrangère, c'est trop de moitié, c'est trop. - Pour toi, Bazile! fripon mon cadet! je veux t'apprendre à clocher devant les boiteux; je veux... Non, dissimulons avec eux, pour les enferrer l'un par l'autre. Attention sur la journée, monsieur Figaro! D'abord avancer l'heure de votre petite fête, pour épouser plus sûrement; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable; empocher l'or et les présents; donner le change aux petites passions de monsieur le Comte; étriller rondement monsieur du Bazile, et... Scène III Marceline, Bartholo, Figaro. Figaro s'interrompt. Héééé, voilà le gros docteur la fête sera complète. Hé! bonjour, cher docteur de mon coeur! Est-ce ma noce avec Suzon qui vous attire au château? Bartholo, avec dédain. Ah! mon cher monsieur, point du tout. Figaro Cela serait bien généreux! Bartholo Certainement, et par trop sot. Figaro Moi qui eus le malheur de troubler la vôtre! Bartholo Avez-vous autre chose à nous dire? Figaro On n'aura pas pris soin de votre mule! Bartholo, en colère. Bavard enragé! laissez-nous. Figaro Vous vous fâchez, docteur? Les gens de votre état sont bien durs! Pas plus de pitié des pauvres animaux... en vérité... que si c'était des hommes! Adieu, Marceline avez-vous toujours envie de plaider contre moi? Pour n'aimer pas, faut-il qu'on se haïsse? Je m'en rapporte au docteur. Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Elle vous le contera de reste. Il sort. Scène IV Marceline, Bartholo. Bartholo le regarde aller. Ce drôle est toujours le même! Et à moins qu'on ne l'écorche vif, je prédis qu'il mourra dans la peau du plus fier insolent... Marceline le retourne. Enfin, vous voilà donc, éternel docteur! toujours si grave et compassé, qu'on pourrait mourir en attendant vos secours, comme on s'est marié jadis, malgré vos précautions. Bartholo Toujours amère et provocante! Hé bien, qui rend donc ma présence au château si nécessaire? Monsieur le Comte a-t-il eu quelque accident? Marceline Non, docteur. Bartholo, La Rosine, sa trompeuse Comtesse, est-elle incommodée, Dieu merci? Marceline Elle languit. Bartholo Et de quoi? Marceline Son mari la néglige. Bartholo, avec joie. Ah! le digne époux qui me venge! Marceline On ne sait comment définir le Comte; il est jaloux et libertin. Bartholo Libertin par ennui, jaloux par vanité; cela va sans dire. Marceline Aujourd'hui, par exemple, il marie notre Suzanne à son Figaro, qu'il comble en faveur de cette union... Bartholo Que Son Excellence a rendue nécessaire! Marceline Pas tout à fait; mais dont Son Excellence voudrait égayer en secret l'événement avec l'épousée... Bartholo De monsieur Figaro? C'est un marché, qu'on peut conclure avec lui. Marceline Bazile assure que non. Bartholo Cet autre maraud loge ici? C'est une caverne! Hé! qu'y fait-il? Marceline Tout le mal dont il est capable. Mais le pis que j'y trouve est cette ennuyeuse passion qu'il a pour moi depuis si longtemps. Bartholo Je me serais débarrassé vingt fois de sa poursuite. Marceline De quelle manière? Bartholo En l'épousant. Marceline Railleur fade et cruel, que ne vous débarrassez-vous de la mienne à ce prix? Ne le devez-vous pas? Où est le souvenir de vos engagements? Qu'est devenu celui de notre petit Emmanuel, ce fruit d'un amour oublié, qui devait nous conduire à des noces? Bartholo ôtant son chapeau. Est-ce pour écouter ces sornettes que vous m'avez fait venir de Séville? Et cet accès d'hymen qui vous reprend si vif... Marceline Eh bien! n'en parlons plus. Mais, si rien n'a pu vous porter à la justice de m'épouser, aidez-moi donc du moins à en épouser un autre. Bartholo Ah! volontiers parlons. Mais quel mortel abandonné du ciel et des femmes?... Marceline Eh! qui pourrait-ce être, docteur, sinon le beau, le gai, l'aimable Figaro? Bartholo Ce fripon-là ? Marceline Jamais fâché, toujours en belle humeur; donnant le présent à la joie, et s'inquiétant de l'avenir tout aussi peu que du passé; sémillant, généreux! généreux... Bartholo Comme un voleur. Marceline Comme un seigneur. Charmant enfin mais c'est le plus grand monstre! Bartholo Et sa Suzanne? Marceline Elle ne l'aurait pas, la rusée, si vous vouliez m'aider, mon petit docteur, à faire valoir un engagement que j'ai de lui. Bartholo Le jour de son mariage? Marceline On en rompt de plus avancés et, si je ne craignais d'éventer un petit secret des femmes!... Bartholo En ont-elles pour le médecin du corps? Marceline Ah! vous savez que je n'en ai pas pour vous. Mon sexe est ardent, mais timide un certain charme a beau nous attirer vers le plaisir, la femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit Sois belle, si tu peux, sage si tu veux; mais sois considérée, il le faut. Or, puisqu'il faut être au moins considérée, que toute femme en sent l'importance, effrayons d'abord la Suzanne sur la divulgation des offres qu'on lui fait. Bartholo Où cela mènera-t-il? Marceline Que, la honte la prenant au collet, elle continuera de refuser le Comte, lequel, pour se venger, appuiera l'opposition que j'ai faite à son mariage alors le mien devient certain. Bartholo Elle a raison. Parbleu! c'est un bon tour que de faire épouser ma vieille gouvernante au coquin qui fit enlever ma jeune maÃtresse. Marceline, vite. Et qui croit ajouter à ses plaisirs en trompant mes espérances. Bartholo, vite. Et qui m'a volé dans le temps cent écus que j'ai sur le coeur. Marceline Ah! quelle volupté!... Bartholo De punir un scélérat... Marceline De l'épouser, docteur, de l'épouser! Scène V Marceline, Bartholo, Suzanne. Suzanne, un bonnet de femme avec un large ruban dans la main, une robe de femme sur le bras. L'épouser, l'épouser! Qui donc? Mon Figaro? Marceline, aigrement. Pourquoi non? Vous l'épousez bien! Bartholo, riant. Le bon argument de femme en colère! Nous parlions, belle Suzon, du bonheur qu'il aura de vous posséder. Marceline Sans compter Monseigneur, dont on ne parle pas. Suzanne, une révérence. Votre servante, madame; il y a toujours quelque chose d'amer dans vos propos. Marceline, une révérence. Bien la vôtre, madame; où donc est l'amertume? N'est-il pas juste qu'un libéral seigneur partage un peu la joie qu'il procure à ses gens? Suzanne Qu'il procure? Marceline Oui, madame. Suzanne Heureusement, la jalousie de madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont légers. Marceline On eût pu les rendre plus forts en les cimentant à la façon de madame. Suzanne Oh, cette façon, madame, est celle des dames savantes. Marceline Et l'enfant ne l'est pas du tout! Innocente comme un vieux juge! Bartholo, attirant Marceline. Adieu, jolie fiancée de notre Figaro. Marceline, une révérence. L'accordée secrète de Monseigneur. Suzanne, une révérence. Qui vous estime beaucoup, madame. Marceline, une révérence. Me fera-t-elle aussi l'honneur de me chérir un peu, madame? Suzanne, une révérence. A cet égard, madame n'a rien à désirer. Marceline, une révérence. C'est une si jolie personne que madame! Suzanne, une révérence. Eh mais! assez pour désoler madame. Marceline, une révérence. Surtout bien respectable! Suzanne, une révérence. C'est aux duègnes à l'être. Marceline, outrée. Aux duègnes! aux duégnes! Bartholo, l'arrêtant. Marceline! Marceline Allons, docteur, car je n'y tiendrais pas. Bonjour, madame. Une révérence. Scène VI Suzanne, seule. Allez, madame! allez, pédante! je crains aussi peu vos efforts que je méprise vos outrages. - Voyez cette vieille sibylle! parce qu'elle a fait quelques études et tourmenté la jeunesse de madame, elle veut tout dominer au château! Elle jette la robe qu'elle tient sur une chaise. Je ne sais plus ce que je venais prendre. Scène VII Suzanne, Chérubin. Chérubin, accourant. Ah! Suzon, depuis deux heures j'épie le moment de te trouver seule. Hélas! tu te maries, et moi je vais partir. Suzanne Comment mon mariage éloigne-t-il du château le premier page de Monseigneur? Chérubin, piteusement. Suzanne, il me renvoie. Suzanne, le contrefait. Chérubin, quelque sottise! Chérubin Il m'a trouvé hier au soir chez ta cousine Fanchette, à qui je faisais répéter son petit rôle d'innocente, pour la fête de ce soir il s'est mis dans une fureur en me voyant! - Sortez, m'a-t-il dit, petit... Je n'ose pas prononcer devant une femme le gros mot qu'il a dit sortez, et demain vous ne coucherez pas au château. Si madame, si ma belle marraine ne parvient pas à l'apaiser, c'est fait, Suzon, je suis à jamais privé du bonheur de te voir. Suzanne De me voir! moi? c'est mon tour! Ce n'est donc plus pour ma maÃtresse que vous soupirez en secret? Chérubin Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante! Suzanne C'est-à -dire que je ne le suis pas, et qu'on peut oser avec moi... Chérubin Tu sais trop bien, méchante, que je n'ose pas oser. Mais que tu es heureuse! à tous moments la voir, lui parler, l'habiller le matin et la déshabiller le soir, épingle à épingle!... Ah! Suzon! je donnerais... Qu'est-ce que tu tiens donc là ? Suzanne, raillant. Hélas! l'heureux bonnet et le fortuné ruban qui renferment la nuit les cheveux de cette belle marraine... Chérubin, vivement. Son ruban de nuit! donne-le-moi, mon coeur. Suzanne, le retirant Eh! que non pas! - Son coeur! Comme il est familier donc! Si ce n'était pas un morveux sans conséquence... Chérubin arrache le ruban. Ah! le ruban! Chérubin, tourne autour du grand fauteuil. Tu diras qu'il est égaré, gâté; qu'il est perdu. Tu diras tout ce que tu voudras. Suzanne, tourne après lui. Oh! dans trois ou quatre ans, je prédis que vous serez le plus grand petit vaurien!... Rendez-vous le ruban? Elle veut le reprendre. Chérubin, tire une romance de sa poche. Laisse, ah! laisse-le-moi, Suzon; je te donnerai ma romance; et pendant que le souvenir de ta belle maÃtresse attristera tous mes moments, le tien y versera le seul rayon de joie qui puisse encore amuser mon coeur. Suzanne, arrache la romance. Amuser votre coeur, petit scélérat! vous croyez parler à votre Fanchette. On vous surprend chez elle, et vous soupirez pour madame; et vous m'en contez à moi, par-dessus le marché! Chérubin, exalté. Cela est vrai, d'honneur! Je ne sais plus ce que je suis; mais depuis quelque temps je sens ma poitrine agitée; mon coeur palpite au seul aspect d'une femme; les mots amour et volupté le font tressaillir et le troublent. Enfin le besoin de dire à quelqu'un Je vous aime, est devenu pour moi si pressant, que je le dis tout seul, en courant dans le parc, à ta maÃtresse, à toi, aux arbres, aux nuages, au vent qui les emporte avec mes paroles perdues. - Hier je rencontrai Marceline... Suzanne, riant. Ah! ah! ah! ah! Chérubin Pourquoi non? elle est femme, elle est fille! Une fille! une femme! ah! que ces noms sont doux! qu'ils sont intéressants! Suzanne Il devient fou! Chérubin Fanchette est douce; elle m'écoute au moins tu ne l'es pas, toi! Suzanne C'est bien dommage; écoutez donc monsieur! Elle veut arracher le ruban. Chérubin, tourne en fuyant. Ah! ouiche! on ne l'aura, vois-tu, qu'avec ma vie. Mais si tu n'es pas contente du prix, j'y joindrai mille baisers. Il lui donne chasse à son tour. Suzanne, tourne en fuyant. Mille soufflets, si vous approchez. Je vais m'en plaindre à ma maÃtresse; et loin de supplier pour vous, je dirai moi-même à Monseigneur C'est bien fait, Monseigneur; chassez-nous ce petit voleur; renvoyez à ses parents un petit mauvais sujet qui se donne les airs d'aimer madame, et qui veut toujours m'embrasser par contrecoup. Chérubin, voit le Comte entrer; il se jette derrière le fauteuil avec effroi. Je suis perdu! Suzanne Quelle frayeur?... Scène VIII Suzanne, Le Comte, Chérubin, caché. Suzanne aperçoit le Comte. Ah!... Elle s'approche du fauteuil pour masquer Chérubin. Le Comte s'avance. Tu es émue, Suzon! tu parlais seule, et ton petit coeur paraÃt dans une agitation... bien pardonnable, au reste, un jour comme celui-ci. Suzanne, troublée. Monseigneur, que me voulez-vous? Si l'on vous trouvait avec moi... Le Comte Je serais désolé qu'on m'y surprÃt; mais tu sais tout l'intérêt que je prends à toi. Bazile ne t'a pas laissé ignorer mon amour. Je n'ai qu'un instant pour t'expliquer mes vues; écoute. Il s'assied dans le fauteuil. Suzanne, vivement. Je n'écoute rien. Le Comte, lui prend la main. Un seul mot. Tu sais que le Roi m'a nommé son ambassadeur à Londres. J'emmène avec moi Figaro; je lui donne un excellent poste; et, comme le devoir d'une femme est de suivre son mari... Suzanne Ah! si j'osais parler! Le Comte, la rapproche de lui. Parle, parle, ma chère; use aujourd'hui d'un droit que tu prends sur moi pour la vie. Suzanne, effrayée. Je n'en veux point, Monseigneur, je n'en veux point. Quittez-moi, je vous prie. Le Comte Mais dis auparavant. Suzanne, en colère. Je ne sais plus ce que je disais. Le Comte Sur le devoir des femmes. Suzanne Eh bien, lorsque Monseigneur enleva la sienne de chez le docteur, et qu'il l'épousa par amour; lorsqu'il abolit pour elle un certain affreux droit du seigneur... Le Comte, gaiement. Qui faisait bien de la peine aux filles! Ah! Suzette! ce droit charmant! Si tu venais en jaser sur la brune au jardin, je mettrais un tel prix à cette légère faveur... Bazile, parle en dehors. Il n'est pas chez lui, Monseigneur. Le Comte, se lève. Quelle est cette voix? Suzanne Que je suis malheureuse! Le Comte Sors, pour qu'on n'entre pas. Suzanne, troublée. Que je vous laisse ici? Bazile, crie en dehors. Monseigneur était chez Madame, il en est sorti; je vais voir. Le Comte Et pas un lieu pour se cacher! Ah! derrière ce fauteuil... assez mal; mais renvoie-le bien vite. Suzanne lui barre le chemin; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page; mais, pendant que le Comte s'abaisse et prend sa place, Chérubin tourne et se jette effrayé sur le fauteuil à genoux et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil. Scène IX Le Comte et Chérubin cachés, Suzanne, Bazile. Bazile N'auriez-vous pas vu Monseigneur, mademoiselle? Suzanne, brusquement. Hé, pourquoi l'aurais-je vu? Laissez-moi. Bazile s'approche. Si vous étiez plus raisonnable, il n'y aurait rien d'étonnant à ma question. C'est Figaro qui le cherche. Suzanne Il cherche donc l'homme qui lui veut le plus de mal après vous? Le Comte, à part. Voyons un peu comme il me sert. Bazile Désirer du bien à une femme, est-ce vouloir du mal à son mari? Suzanne Non, dans vos affreux principes, agent de corruption! Bazile Que vous demande-t-on ici que vous n'alliez prodiguer à un autre? Grâce à la douce cérémonie, ce qu'on vous défendait hier, on vous le prescrira demain. Suzanne Indigne! Bazile De toutes les choses sérieuses le mariage étant la plus bouffonne, j'avais pensé... Suzanne, outrée. Des horreurs! Qui vous permet d'entrer ici? Bazile Là , là , mauvaise! Dieu vous apaise! Il n'en sera que ce que vous voulez mais ne croyez pas non plus que je regarde monsieur Figaro comme l'obstacle qui nuit à Monseigneur; et sans le petit page... Suzanne, timidement. Don Chérubin? Bazile la contrefait. Cherubino di amore, qui tourne autour de vous sans cesse, et qui ce matin encore rôdait ici pour y entrer, quand je vous ai quittée. Dites que cela n'est pas vrai? Suzanne Quelle imposture! Allez-vous-en, méchant homme! Bazile On est un méchant homme, parce qu'on y voit clair. N'est-ce pas pour vous aussi, cette romance dont il fait mystère? Suzanne, en colère. Ah! oui, pour moi!... Bazile A moins qu'il ne l'ait composée pour madame! En effet, quand il sert à table, on dit qu'il la regarde avec des yeux!... Mais, peste, qu'il ne s'y joue pas! Monseigneur est brutal sur l'article. Suzanne, outrée. Et vous bien scélérat, d'aller semant de pareils bruits pour perdre un malheureux enfant tombé dans la disgrâce de son maÃtre. Bazile L'ai-je inventé? Je le dis, parce que tout le monde en parle. Le Comte se lève. Comment, tout le monde en parle! Suzanne Ah ciel! Bazile Ha! ha! Le Comte Courez, Bazile, et qu'on le chasse. Bazile Ah! que je suis fâché d'être entré! Suzanne, troublée. Mon Dieu! Mon Dieu! Le Comte, à Bazile. Elle est saisie. Asseyons-la dans ce fauteuil. Suzanne le repousse vivement. Je ne veux pas m'asseoir. Entrer ainsi librement, c'est indigne! Le Comte Nous sommes deux avec toi, ma chère. Il n'y a plus le moindre danger! Bazile Moi je suis désolé de m'être égayé sur le page, puisque vous l'entendiez. je n'en usais ainsi que pour pénétrer ses sentiments; car au fond... Le Comte Cinquante pistoles, un cheval, et qu'on le renvoie à ses parents. Bazile Monseigneur, pour un badinage? Le Comte Un petit libertin que j'ai surpris encore hier avec la fille du jardinier. Bazile Avec Fanchette? Le Comte Et dans sa chambre. Suzanne, outrée. Où Monseigneur avait sans doute affaire aussi! Le Comte, gaiement. J'en aime assez la remarque. Bazile Elle est d'un bon augure. Le Comte, gaiement. Mais non; j'allais chercher ton oncle Antonio, mon ivrogne de jardinier, pour lui donner des ordres. Je frappe, on est longtemps à m'ouvrir; ta cousine a l'air empêtré; je prends un soupçon, je lui parle, et tout en causant j'examine. Il y avait derrière la porte une espèce de rideau, de portemanteau, de je ne sais pas quoi, lui couvrait des hardes; sans faire semblant de rien, je vais doucement, doucement lever ce rideau pour imiter le geste, il lève la robe du fauteuil, et je vois... Il aperçoit le page. Ah!... Bazile Ha! ha! Le Comte Ce tour-ci vaut l'autre. Bazile Encore mieux. Le Comte, à Suzanne. A merveille, mademoiselle! à peine fiancée, vous faites de ces apprêts? C'était pour recevoir mon page que vous désiriez d'être seule? Et vous, monsieur, qui ne changez point de conduite, il vous manquait de vous adresser, sans respect pour votre marraine, à sa première camariste, à la femme le votre ami! Mais je ne souffrirai pas que Figaro, qu'un homme que j'estime et que j'aime, soit victime une pareille tromperie. Etait-il avec vous, Bazile? Suzanne, outrée. Il n'y a ni tromperie ni victime; il était là lorsque vous me parliez. Le Comte, emporté. Puisses-tu mentir en le disant! Son plus cruel ennemi n'oserait lui souhaiter ce malheur. Suzanne Il me priait d'engager madame à vous demander sa grâce. Votre arrivée l'a si fort troublé, qu'il s'est masqué de ce fauteuil. Le Comte, en colère Ruse d'enfer! Je m'y suis assis en entrant. Chérubin Hélas! Monseigneur, j'étais tremblant derrière. Le Comte Autre fourberie! Je viens de m'y placer moi-même. Chérubin Pardon; mais c'est alors que je me suis blotti dedans. Le Comte, plus outré. C'est donc une couleuvre que ce petit... serpent-là ! Il nous écoutait! Chérubin Au contraire, Monseigneur, j'ai fait ce que j'ai pu pour ne rien entendre. Le Comte O perfidie! A Suzanne. Tu n'épouseras pas Figaro. Bazile Contenez-vous, on vient. Le Comte, tirant Chérubin du fauteuil et le mettant sur ses pieds. Il resterait là devant toute la terre! Scène X Chérubin, Suzanne, Figaro, La Comtesse, Le Comte, Fanchette, Bazile. Beaucoup de valets, paysannes, paysans velus de blanc. Figaro, tenant une toque de femme, garnie de plumes blanches et de rubans blancs, parle à la Comtesse. Il n'y a que vous, madame, qui puissiez nous obtenir cette faveur. La Comtesse Vous le voyez, monsieur le Comte, ils me supposent un crédit que je n'ai point, mais comme leur demande n'est pas déraisonnable... Le Comte, embarrassé. Il faudrait qu'elle le fût beaucoup... Figaro, bas à Suzanne. Soutiens bien mes efforts. Suzanne, bas à Figaro. Qui ne mèneront à rien. Figaro, bas. Va toujours. Le Comte, à Figaro. Que voulez-vous?, Figaro Monseigneur, vos vassaux, touchés de l'abolition d'un certain droit fâcheux, que votre amour pour madame... Le Comte Hé bien, ce droit n'existe plus. Que veux-tu dire? Figaro, malignement. Qu'il est bien temps que la vertu d'un si bon maÃtre éclate; elle m'est d'un tel avantage aujourd'hui, que je désire être le premier à la célébrer à mes noces. Le Compte, plus embarrassé. Tu te moques, ami! L'abolition d'un droit honteux n'est que l'acquit d'une dette envers l'honnêteté. Un Espagnol peut vouloir conquérir la beauté par des soins; mais en exiger le premier, le plus doux emploi, comme une servile redevance, ah! c'est la tyrannie d'un Vandale, et non le droit avoué d'un noble Castillan. Figaro, tenant Suzanne par la main. Permettez donc que cette jeune créature, de qui votre sagesse a préservé l'honneur, reçoive de votre main, publiquement, la toque virginale, ornée de plumes et de rubans blancs, symbole de la pureté de vos intentions adoptez-en la cérémonie pour tous les mariages, et qu'un quatrain chanté en choeur rappelle à jamais le souvenir... Le Comte, embarrassé. Si je ne savais pas qu'amoureux, poète et musicien sont trois titres d'indulgence pour toutes les folies... Figaro Joignez-vous à moi, mes amis! Tous ensemble Monseigneur! Monseigneur! Suzanne, au Comte. Pourquoi fuir un éloge que vous méritez si bien? Le Comte, à part. La perfide! Figaro Regardez-la donc, Monseigneur. Jamais plus jolie fiancée ne montrera mieux la grandeur de votre sacrifice. Suzanne Laisse là ma figure, et ne vantons que sa vertu. Le Comte, à part. C'est un jeu que tout ceci. La Comtesse Je me joins à eux, monsieur le Comte; et cette cérémonie me sera toujours chère, puisqu'elle doit son motif à l'amour charmant que vous aviez pour moi. Le Comte Que j'ai toujours, madame; et c'est à ce titre que je me rends. Tous ensemble Vivat! Le Comte, à part. Je suis pris. Haut. Pour que la cérémonie eût un peu plus d'éclat, je voudrais seulement qu'on la remÃt à tantôt, A part. Faisons vite chercher Marceline. Figaro, à Chérubin. Eh bien, espiègle, vous n'applaudissez pas? Suzanne Il est au désespoir; Monseigneur le renvoie. La Comtesse Ah! monsieur, je demande sa grâce. Le Comte Il ne la mérite point. La Comtesse Hélas! il est si jeune! Le Comte Pas tant que! vous le croyez. Chérubin, tremblant. Pardonner généreusement n'est pas le droit du seigneur auquel vous avez renoncé en épousant madame. La Comtesse Il n'a renoncé qu'à celui qui vous affligeait tous. Suzanne Si Monseigneur avait cédé le droit de pardonner, ce serait sûrement le premier qu'il voudrait racheter en secret. Le Comte, embarrassé. Sans doute. La Comtesse Eh pourquoi le racheter? Chérubin, au Comte. Je fus léger dans ma conduite, il est vrai, Monseigneur; mais jamais la moindre indiscrétion dans mes paroles... Le Comte, embarrassé. Eh bien, c'est assez... Figaro Qu'entend-il? Le Comte, vivement. C'est assez, c'est assez. Tout le monde exige son pardon, je l'accorde; et j'irai plus loin je lui donne une compagnie dans ma légion. Tous ensemble Vivat! Le Comte Mais c'est à condition qu'il partira sur-le-champ pour joindre en Catalogne. Figaro Ah! Monseigneur, demain. Le Comte insiste. Je le veux. Chérubin J'obéis. Le Comte Saluez votre marraine, et demandez sa protection. Chérubin met un genou en terre devant la Comtesse, et ne peut parier. La Comtesse, émue. Puisqu'on ne peut vous garder seulement aujourd'hui, partez, jeune homme. Un nouvel état vous appelle; allez la remplir dignement. Honorez votre bienfaiteur. Souvenez-vous de cette maison, où votre jeunesse a trouvé tant d'indulgence. Soyez soumis, honnête et brave; nous prendrons part à vos succès. Chérubin se relève et retourne à sa place. Le Comte Vous êtes bien émue, madame! La Comtesse Je ne m'en défends pas. Qui sait le sort d'un enfant jeté dans une carrière aussi dangereuse? Il est allié de mes parents; et de plus, il est mon filleul. Le Comte, à part. Je vois que Bazile avait raison. Haut. Jeune homme, embrassez Suzanne... pour la dernière fois. Figaro Pourquoi cela, Monseigneur? Il viendra passer ses hivers. Baise-moi donc aussi, capitaine! Il l'embrasse. Adieu, mon petit Chérubin. Tu vas mener un train de vie bien différent, mon enfant dame! tu ne rôderas plus tout le jour au quartier des femmes, plus d'échaudés, de goûtés à la crème; plus de main-chaude ou de colin-maillard. De bons soldats, morbleu! basanés, mal vêtus; un grand fusil bien lourd tourne à droite, tourne à gauche, en avant, marche à la gloire; et ne va pas broncher en chemin; à moins qu'un bon coup de feu... Suzanne Fi donc, l'horreur! La Comtesse Quel pronostic! Le Comte Où donc est Marceline? Il est bien singulier qu'elle ne soit pas des vôtres! Fanchette Monseigneur, elle a pris le chemin du bourg, par le petit sentier de la ferme. Le Comte Et elle en reviendra?... Bazile Quand il plaira à Dieu. Figaro S'il lui plaisait qu'il ne lui plût jamais... Fanchette Monsieur le docteur lui donnait le bras. Le Comte, vivement. Le docteur est ici? Bazile Elle s'en est d'abord emparée... Le Comte, à part. Il ne pouvait venir plus à propos. Fanchette Elle avait l'air bien échauffée; elle parlait tout haut en marchant, puis elle s'arrêtait, et faisait comme ça de grands bras... et monsieur le docteur lui faisait comme ça de la main, en l'apaisant elle paraissait si courroucée! elle nommait mon cousin Figaro. Le Comte lui prend le menton. Cousin... futur. Fanchette, montrant Chérubin. Monseigneur, nous avez-vous pardonné d'hier?... Le Comte interrompt. Bonjour, bonjour, petite. Figaro C'est son chien d'amour qui la berce elle aurait troublé notre fête. Le Comte, à part. Elle la troublera, je t'en réponds. Haut. Allons, madame, entrons. Bazile, vous passerez chez moi. Suzanne, à Figaro. Tu me rejoindras, mon fils? Figaro, bas à Suzanne. Est-il bien enfilé. Suzanne, bas. Charmant garçon! Ils sortent tous. Scène XI Chérubin, Figaro, Bazile. Pendant qu'on sort, Figaro les arrête tous deux et les ramène. Figaro Ah ça, vous autres! la cérémonie adoptée, ma fête de ce soir en est la suite; il faut bravement nous recorder ne faisons point comme ces acteurs qui ne jouent jamais si mal que le jour où la critique? plus éveillée. Nous n'avons point de lendemain qui nous excuse, nous. Sachons bien nos rôles aujourd'hui. Bazile, malignement. Le mien est plus difficile que tu ne crois. Figaro, faisant, sans qu'il le voie, le geste de le rosser. Tu es loin aussi de savoir tout le succès qu'il te vaudra. Chérubin Mon ami, tu oublies que je pars Figaro Et toi, tu voudrais bien rester! Chérubin Ah! si je le voudrais! Figaro Il faut ruser. Point de murmure à ton départ. Le manteau de voyage à l'épaule; arrange ouvertement ta trousse, et qu'on voie ton cheval à la grille; un temps de galop jusqu'à la ferme; reviens à pied par les derrières. Monseigneur te croira parti; tiens-toi seulement hors de sa vue; je me charge de l'apaiser après la fête. Chérubin Mais Fanchette qui ne sait pas son rôle! Bazile Que diable lui apprenez-vous donc, depuis huit jours que vous ne la quittez pas? Figaro Tu n'a rien à faire aujourd'hui donne-lui, par grâce, une leçon. Bazile Prenez garde, jeune homme, prenez garde! Le père n'est pas satisfait; la fille a été souffletée; elle n'étudie pas avec vous Chérubin! Chérubin! vous lui causerez des chagrins! Tant va la cruche à l'eau!... Figaro Ah! voilà notre imbécile avec ses vieux proverbes! Hé bien, pédant, que dit la sagesse des nations? Tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin... Bazile Elle s'emplit. Figaro, en s'en allant. Pas si bête, pourtant, pas si bête! Acte deuxième Le théâtre représente une chambre à coucher superbe, un grand lit en alcôve, une estrade au-devant. La porte pour entrer s'ouvre et se ferme à la troisième coulisse à droite; celle d'un cabinet, à la première coulisse à gauche. Une porte dans le fond va chez les femmes. Une fenêtre s'ouvre de l'autre côté. Scène I Suzanne, La Comtesse, entrent par la porte à droite. La Comtesse, se jette dans un bergère. Ferme la porte, Suzanne, et conte-moi tout dans le plus grand détail. Suzanne Je n'ai rien caché à madame. La Comtesse Quoi, Suzon, il voulait te séduire? Suzanne Oh, que non! Monseigneur n'y met pas tant de façon avec sa servante il voulait m'acheter. La Comtesse Et le petit page était présent? Suzanne C'est-à -dire caché derrière le grand fauteuil. Il venait me prier de vous demander sa grâce. La Comtesse Hé, pourquoi ne pas s'adresser à moi-même? Est-ce que je l'aurais refusé, Suzon? Suzanne C'est ce que j'ai dit mais ses regrets de partir, et surtout de quitter madame! Ah! Suzon, qu'elle est noble et belle! mais qu'elle est imposante! La Comtesse Est-ce que j'ai cet air-là , Suzon? Moi qui l'ai toujours protégé. Suzanne Puis il a vu votre ruban de nuit que je tenais il s'est jeté dessus... La Comtesse, souriant. Mon ruban?... Quelle enfance! Suzanne J'ai voulu le lui ôter; madame, c'était un lion; ses yeux brillaient... Tu ne l'auras qu'avec ma vie, disait-il en Forçant sa petite voix douce et grêle. La Comtesse, rêvant. Eh bien, Suzon? Suzanne Eh bien, madame, est-ce qu'on peut faire finir ce petit démon-lâ? Ma marraine par-ci; je voudrais bien par l'autre; et parce qu'il n'oserait seulement baiser la robe de madame, il voudrait toujours m'embrasser, moi. La Comtesse, rêvant. Laissons... laissons ces folies ... Enfin, ma pauvre Suzasme, mon époux a fini par te dire?... Suzanne Que si je ne voulais pas l'entendre, il allait protéger Marceline. La Comtesse se lève et se promène en se servant fortement de l'éventail. Il ne m'aime plus du tout. Suzanne Pourquoi tant de jalousie? Le Comtesse Comme tous les maris, ma chère! uniquement par orgueil. Ah! je l'ai trop aimé! je l'ai lassé de mes tendresses et fatigué de mon amour; voilà mon seul tort avec lui mais je n'entends pas que cet honnête aveu te nuise, et tu épouseras Figaro. Lui seul peut nous y aider viendra-t-il? Suzanne Dès qu'il verra partir la chasse. La Comtesse, se servant de l'éventail. Ouvre un peu la croisée sur le jardin. Il fait une chaleur ici!... Suzanne C'est que madame parle et marche avec action. Elle va ouvrir la croisée du fond. Sans cette constance à me fuir... Les hommes sont bien coupables! Suzanne crie de la fenêtre. Ah! voilà Monseigneur qui traverse à cheval le grand potager, suivi de Pédrille, avec deux, trois, quatre lévriers. La Comtesse Nous avons du temps devant nous. Elle s'assied. On frappe, Suzon? Suzanne court ouvrir en chantant. Ah! c'est mon Figaro! ah! c'est mon Figaro! Scène II Figaro, Suzanne, La Comtesse, assise. Suzanne Mon cher ami, viens donc! Madame est dans une impatience!... Figaro Et toi, ma petite Suzanne? - Madame n'en doit prendre aucune. Au fait, de quoi s'agit-il? d'une misère. Monsieur le Comte trouve notre jeune femme aimable, il voudrait en faire sa maÃtresse; et c'est bien naturel. Suzanne Naturel? Figaro Puis il m'a nommé courrier de dépêches, et Suzon conseiller d'ambassade. Il n'y a pas là d'étourderie. Suzanne Tu finiras? Figaro Et parce que ma Suzanne, ma fiancée, n'accepte pas le diplôme, il va favoriser les vues de Marceline; quoi de plus simple encore? Se venger de ceux qui nuisent à nos projets en renversant les leurs, c'est ce que chacun fait, ce que nous allons faire nous-mêmes. Hé bien, voilà tout pourtant. La Comtesse Pouvez-vous, Figaro, traiter si légèrement un dessein qui nous coûte à tous le bonheur? Figaro Qui dit cela, madame? Suzanne Au lieu de t'affliger de nos chagrins... Figaro N'est-ce pas assez que je m'en occupe? Or, pour agir aussi méthodiquement que lui, tempérons d'abord son ardeur de nos possessions, en l'inquiétant sur les siennes. La Comtesse C'est bien dit; mais comment? Figaro C'est déjà fait, madame; un faux avis donné sur vous... La Comtesse Sur moi! La tête vous tourne! Figaro Oh! c'est à lui qu'elle doit tourner. La Comtesse Un homme aussi jaloux!... Figaro Tant mieux; pour tirer parti des gens de ce caractère, il ne faut qu'un peu leur fouetter le sang; c'est ce que les femmes entendent si bien! Puis les tient-on fâchés tout rouge avec un brin d'intrigue on les mène où l'on veut, par le nez, dans le Guadalquivir. Je vous ai fait rendre à Bazile un billet inconnu, lequel avertit Monseigneur qu'un galant doit chercher à vous voir aujourd'hui pendant le bal. La Comtesse Et vous vous jouez ainsi de la vérité sur le compte d'une femme d'honneur!... Figaro Il y en a peu, madame, avec qui je l'eusse osé, crainte de rencontrer juste. La Comtesse Il faudra que je l'en remercie! Figaro Mais, dites-moi s'il n'est pas charmant de lui avoir taillé ses morceaux de la journée, de façon qu'il passe à rôder, à jurer après sa darne, le temps qu'il destinait à se complaire avec la nôtre? Il est déjà tout dérouté galopera-t-il celle-ci? surveillera-t-il celle-là ? Dans son trouble d'esprit, tenez, tenez, le voilà qui court la plaine, et force un lièvre qui n'en peut mais. L'heure du mariage arrive en poste, il n'aura pas pris de parti contre, et jamais il n osera s'y opposer devant madame. Suzanne Non; mais Marceline, le bel esprit, osera le faire, elle. Figaro Brrrr! Cela m'inquiète bien, ma foi! Tu feras dire à Monseigneur que tu te rendras sur la brune au jardin. Suzanne Tu comptes sur celui-là ? Figaro Oh dame! écoutez donc, les gens qui ne veulent rien faire de rien n'avancent rien et ne sont bons à rien. Voilà mon mot. Suzanne Il est joli! La Comtesse Comme son idée. Vous consentiriez qu'elle s'y rendÃt? Figaro Point du tout. Je fais endosser un habit de Suzanne à quelqu'un surpris par nous au rendez-vous, le Comte pourra-t-il s'en dédire? Suzanne A qui mes habits? Figaro Chérubin. La Comtesse Il est parti. Figaro Non pas pour moi. Veut-on me laisser faire? Suzanne On peut s'en fier à lui pour mener une intrigue. Figaro Deux, trois, quatre à la fois; bien embrouillées, qui se croisent. J'étais né pour être courtisan. Suzanne On dit que c'est un métier si difficile! Figaro Recevoir, prendre, et demander; voilà le secret en trois mots. La Comtesse Il a tant d'assurance qu'il finit par m'en inspirer. Figaro C'est mon dessein. Suzanne Tu disais donc? Figaro Que, pendant l'absence de Monseigneur, je vais vous envoyer le Chérubin; coiffez-le, habillez-le; je le renferme et l'endoctrine; et puis dansez, Monseigneur. Il sort. Scène III Suzanne, La Comtesse, assise. La Comtesse, tenant sa boÃte à mouches. Mon Dieu, Suzon, comme je suis faite!... Ce jeune homme qui va venir!... Suzanne Madame ne veut donc pas qu'il en réchappe? La Comtesse rêve devant sa petite glace. Moi?... Tu verras comme je vais le gronder. Suzanne Faisons-lui chanter sa romance. Elle la met sur la Comtesse. La Comtesse Mais c'est qu'en vérité mes cheveux sont dans un désordre... Suzanne, riant. Je n'ai qu'à reprendre ces deux boucles, madame le grondera bien mieux. La Comtesse, revenant à elle. Qu'est-ce que vous dites donc, mademoiselle? Scène IV Chérubin, l'air honteux, Suzanne, La Comtesse, assise. Suzanne Entrez, monsieur l'officier; on est visible. Chérubin avance en tremblant. Ah! que ce nom m'afflige, madame! il m'apprend qu'il faut quitter des lieux... une marraine si... bonne!... Suzanne Et si belle! Chérubin, avec un soupir. Ah! oui. Suzanne le contrefait. Ah! oui. Le bon jeune homme! avec ses longues paupières hypocrites. Allons, bel oiseau bleu, chantez la romance à madame. La Comtesse la déplie. De qui... dit-on qu'elle est? Suzanne Voyez la rougeur du coupable en a-t-il un pied sur les joues? Chérubin Est-ce qu'il est défendu... de chérir?... Suzanne lui Met le poing sous le nez. Je dirai tout, vaurien! La Comtesse Là ... chante-t-il? Chérubin Oh! madame, je suis si tremblant!... Suzanne, en riant. Et gnian, gnian, gnian, gnian, gnian gnian, gnian dès que madame le veut, modeste auteur! je vais l'accompagner. La Comtesse Prends ma guitare. La Comtesse assise tient le papier pour suivre. Suzanne est derrière son fauteuil, et prélude, en regardant la musique par-dessus sa maÃtresse. Le petit page est devant elle, les jeux baissés. Ce tableau est juste la belle estampe, d'après Vanloo, appelée La Conversation espagnole. ROMANCE Air Marlbroug s'en va-t-en guerre. Premier couplet Mon coursier hors d'haleine, Que mon coeur, mon coeur a de peine! J'errais de plaine en plaine, Au gré du destrier. Deuxième couplet Au gré du destrier, Sans varlet, n'écuyer; Là près d'une fontaine, Que mon coeur, mon coeur a de peine! Songeant à ma marraine. Sentais mes pleurs couler. Troisième couplet Sentais mes pleurs couler, Prêt à me désoler. Je gravais sur un frêne, Que mon coeur, mon coeur a de peine! Sa lettre sans la mienne; Le roi vint à passer. Quatrième couplet Le roi vint à passer, Ses barons, son clergier. Beau page, dit la reine, Que mon coeur, mon coeur a de peine! Qui vous met à la gêne? Qui vous fait tant plorer? Cinquième couplet Qui vous fait tant plorer? Nous faut le déclarer. Madame et souveraine, Que mon coeur, mon coeur a de peine! J'avais une marraine, Que toujours adorai. Sixième couplet Que toujours adorai; Je sens que j'en mourrai. Beau page, dit la reine, Que mon coeur, mon coeur a de peine! N'est-il qu'une marraine? Je vous en servirai. Septième couplet Je vous en servirai; Mon page vous ferai; Puis à ma jeune Hélène, Que mon coeur, mon coeur a de peine! Fille d'un capitaine, Un jour vous marierai. Huitième couplet Un jour vous marierai. - Nenni, n'en faut parler Je veux, traÃnant ma chaÃne, Que mon coeur, mon coeur a de peine! Mourir de cette peine, Mais non m'en consoler. La Comtesse Il y a de la naïveté... du sentiment même. Suzanne va poser la guitare sur un fauteuil. Oh! pour du sentiment, c'est un jeune homme qui... Ah çà , monsieur l'officier, vous a-t-on dit que pour égayer la soirée nous voulons savoir d'avance si un de mes habits vous ira passablement? La Comtesse J'ai peur que non. Suzanne se mesure avec lui. Il est de ma grandeur. Otons d'abord le manteau. Elle le détache. La Comtesse Et si quelqu'un entrait? Suzanne Est-ce que nous faisons du mal donc? Je vais fermer la porte elle court; mais c'est la coiffure que je veux voir. La Comtesse Sur ma toilette, une baigneuse à moi. Suzanne entre dans le cabinet dont la porte est au bord du théâtre. Scène V Chérubin, La Comtesse, assise. La Comtesse Jusqu'à l'instant du bal, le Comte ignorera que vous soyez au château. Nous lui dirons après, que le temps d'expédier votre brevet nous a fait naÃtre l'idée... Chérubin le lui montre. Hélas! madame, le voici! Bazile me l'a remis de sa part. La Comtesse Déjà ? L'on a craint d'y perdre une minute. Elle lit. Ils se sont tant pressés, qu'ils ont oublié d'y mettre son cachet. Elle le lui rend. Scène VI Chérubin, La Comtesse, Suzanne. Suzanne entre avec un grand bonnet. Le cachet, à quoi? La Comtesse A son brevet. Suzanne Déjà ? La Comtesse C'est ce que je disais. Est-ce là ma baigneuse? Suzanne s'assied près de la Comtesse. Et la plus belle de toutes. Elle chante avec des épingles dans sa bouche. Tournez-vous donc envers ici, Jean de Lyra, mon bel ami. Chérubin se met à genoux. Elle le coiffe. Madame, il est charmant! La comtesse Arrange son collet d'un air un peu plus féminin. Suzanne l'arrange. Là ... Mais voyez donc ce morveux, comme il est joli en fille! j'en suis jalouse, moi! Elle lui prend le menton. Voulez-vous bien n'être pas joli comme ça? La Comtesse Qu'elle est folle! il faut relever la manche, afin que l'amadis prenne mieux... Elle le retrousse. Qu'est-ce qu'il a donc au bras? Un ruban! Suzanne Et un ruban à vous. Je suis bien aise madame l'ait vu. Je lui avais dit que je le dirais, déjà ! Oh! si Monseigneur n'était pas venu, j'aurais bien repris le ruban; car je suis presque aussi forte que lui. La Comtesse Il y a du sang! Elle détache le ruban. Chérubin, honteux. Ce matin, comptant partir, j'arrangeais la gourmette de mon cheval; il a donné de la tête, et la bossette m'a effleuré le bras. La Comtesse On n'a jamais mis un ruban... Suzanne Et surtout un ruban volé. - Voyons donc ce que la bossette... la courbette... la cornette du cheval... Je n'entends rien à tous ces noms-là . - Ah! qu'il a le bras blanc! c'est comme une femme! plus blanc que le mien! Regardez donc, madame! Elle les compare. La Comtesse, d'un ton glacé. Occupez-vous plutôt de m'avoir du taffetas gommé, dans ma toilette. Suzanne lui pousse la tête en riant; il tombe sur les deux mains. Elle entre dans le cabinet au bord du théâtre. Scène VII Chérubin, à genoux, La Comtesse, assise. La comtesse reste un moment sans parler, les yeux sur son ruban. Chérubin la dévore de ses regards. Pour mon ruban, monsieur... comme c'est celui dont la couleur m'agrée le plus... j'étais fort en colère de l'avoir perdu. Scène VIII Chérubin, à genoux, La Comtesse, assise, Suzanne. Suzanne, revenant. Et la ligature à son bras? Elle remet à la Comtesse du taffetas gommé et des ciseaux. La Comtesse En allant lui chercher tes hardes, prends le ruban d'un autre bonnet. Suzanne sort par la porte du fond, en emportant le manteau du page. Scène IX Chérubin, à genoux, La Comtesse, assise. Chérubin, les yeux baissés. Celui qui m'est ôté m'aurait guéri en moins de rien. La Comtesse Par quelle vertu? Lui montrant le taffetas. Ceci vaut mieux. Chérubin, hésitant. Quand un ruban... a serré la tête... ou touché la peau d'une personne... La Comtesse, coupant la phrase. ... Etrangère, il devient bon pour les blessures? J'ignorais cette propriété. Pour l'éprouver, je garde celui-ci qui vous a serré le bras. A la première égratignure... de mes femmes, j'en ferai l'essai. Chérubin, pénétré Vous le gardez, et moi je pars! La Comtesse Non pour toujours. Chérubin Je suis si malheureux! La Comtesse, émue. Il pleure à présent! C'est ce vilain Figaro avec son pronostic! Chérubin, exalté. Ah! je voudrais toucher au terme qu'il m'a prédit! Sûr de mourir à l'instant, peut-être ma bouche oserait... La Comtesse, l'interrompt et lui essuie les yeux avec son mouchoir. Taisez-vous, taisez-vous, enfant! Il n'y a pas un brin de raison dans tout ce que vous dites. On frappe à la porte; elle élève la voix. Qui frappe ainsi chez moi? Scène X Chérubin, La Comtesse, Le Comte, en dehors. Le Comte, en dehors. Pourquoi donc enfermée? La Comtesse, troublée, se lève. C'est mon époux! grands dieux! A Chérubin qui s'est levé aussi. Vous, sans manteau, le col et les bras nus! seul avec moi! cet air de désordre, un billet reçu, sa jalousie!... Le Comte, en dehors. Vous n'ouvrez pas? La Comtesse C'est que... je suis seule. Le Comte, en dehors. Seule! Avec qui parlez-vous donc? La Comtesse, cherchant. ... Avec vous sans doute. Chérubin, à part. Après les scènes d'hier et de ce matin, il me tuerait sur la place! Il court au cabinet de toilette, y entre, et tire la porte sur lui. Scène XI La Comtesse, seule, en ôte la clef, et court ouvrir au Comte. Ah! quelle faute! quelle faute! Scène XII Le Comte, La Comtesse. Le Comte, un peu sévère. Vous n'êtes pas dans l'usage de vous enfermer! La Comtesse, troublée. Je... je chiffonnais... oui, je chiffonnais avec Suzanne; elle est passée un moment chez elle. Le Comte, l'examine. Vous avez l'air et le ton bien altérés! La Comtesse Cela n'est pas étonnant... pas étonnant du tout... je vous assure... nous parlions de vous... Elle est passée, comme je vous dis... Le Comte Vous parliez de moi!... Je suis ramené par l'inquiétude; en montant à cheval, un billet qu'on m'a remis, mais auquel je n'ajoute aucune foi, m'a... pourtant agité. La Comtesse Comment, monsieur?... quel billet? Le Comte Il faut avouer, madame, que vous ou moi sommes entourés d'êtres... bien méchants! On me donne avis que, dans la journée, quelqu'un que je crois absent doit chercher à vous entretenir. La Comtesse Quel que soit cet audacieux, il faudra qu'il pénètre ici; car mon projet est de ne pas quitter ma chambre de tout le jour. Le Comte Ce soir, pour la noce de Suzanne? La Comtesse Pour rien au monde; je suis très incommodée. Le Comte Heureusement le docteur est ici. Le page fait tomber une chaise dans le cabinet. Quel bruit entends-je? La Comtesse, plus troublée. Du bruit? Le Comte On a fait tomber un meuble. La Comtesse Je... je n'ai rien entendu, pour moi. Le Comte Il faut que vous soyez furieusement préoccupée! La Comtesse Préoccupée! de quoi? Le Comte Il y a quelqu'un dans ce cabinet, madame. La Comtesse Hé... qui voulez-vous qu'il y ait, monsieur? Le Comte C'est moi qui vous le demande; j'arrive. La Comtesse Hé mais... Suzanne apparemment qui range. Le Comte Vous avez dit qu'elle était passée chez elle! La Comtesse Passée... ou entrée là ; je ne sais lequel. Le Comte Si c'est Suzanne, d'où vient le trouble où je vous vois? La Comtesse Du trouble pour ma camariste? Le Comte Pour votre camariste, je ne sais; mais pour du trouble, assurément. La Comtesse Assurément, monsieur, cette fille vous trouble et vous occupe beaucoup plus que moi. Le Comte, en colère. Elle m'occupe à tel point, madame, que je veux la voir à l'instant. La Comtesse Je crois, en effet, que vous le voulez souvent mais voilà bien les soupçons les moins fondés... Scène XIII Le Comte, La Comtesse, Suzanne entre avec des hardes et pousse la porte du fond. Le Comte Ils en seront plus aisés à détruire. Il parle au cabinet. Sortez, Suzon, je vous l'ordonne! Suzanne s'arrête auprès de l'alcôve dans le fond. La Comtesse Elle est presque nue, monsieur; vient-on troubler ainsi des femmes dans leur retraite? Elle essayait des hardes que je lui donne en la mariant; elle s'est enfuie quand elle vous a entendu. Le Comte Si elle craint tant de se montrer, au moins elle peut parler. Il se tourne vers la porte du cabinet. Répondez-moi, Suzanne; êtes-vous dans ce cabinet? Suzanne, restée au fond, se jette dans l'alcôve et s'y cache. La Comtesse, vivement, parlant au cabinet. Suzon, je vous défends de répondre. Au Comte. On n'a jamais poussé si loin la tyrannie! Le Comte s'avance au cabinet. Oh! bien, puisqu'elle ne parle pas, vêtue ou non, je la verrai. La Comtesse se met au-devant. Partout ailleurs je ne puis l'empêcher; mais j'espère aussi que chez moi... Le Comte Et moi j'espère savoir dans un moment quelle est cette Suzanne mystérieuse. Vous demander la clef serait, je le vois, inutile; mais il est un moyen sûr de jeter en dedans cette légère porte. Holâ! quelqu'un! La Comtesse Attirer vos gens, et faire un scandale public d'un soupçon qui nous rendrait la fable du château? Le Comte Fort bien, madame. En effet, j'y suffirai; je vais à l'instant prendre chez moi ce qu'il faut... Il marche pour sortir, et revient. Mais, pour que tout reste au même état, voudrez-vous bien m'accompagner sans scandale et sans bruit, puisqu'il vous déplaÃt tant?... Une chose aussi simple, apparemment, ne me sera pas refusée! La Comtesse, troublée. Eh! monsieur, qui songe à vous contrarier? Le Comte Ah! j'oubliais la porte qui va chez vos femmes; il faut que je la ferme aussi, pour que vous soyez pleinement justifiée. Il va fermer la porte du fond et en ôte la clef. La Comtesse, à part. O ciel! étourderie funeste! Le Comte, revenant à elle. Maintenant que cette chambre est close, acceptez mon bras, je vous prie; il élève la voix et quant à la Suzanne du cabinet, il faudra qu'elle ait la bonté de m'attendre; et le moindre mal qui puisse lui arriver à mon retour... La Comtesse En vérité, monsieur, voilà bien la plus odieuse aventure... Le Comte l'emmène et ferme la porte à la clef. Scène XIV Suzanne, Chérubin. Suzanne sort de l'alcove, accourt au cabinet et parle à la serrure. Ouvez, Chérubin, ouvez vite, c'est Suzanne; ouvrez et sortez. Chérubin sort. Ah! Suzon, quelle horrible scène! Suzanne Sortez, vous n'avez pas une minute. Chérubin, effrayé. Eh, par où sortir? Suzanne Je n'en sais rien, mais sortez. Chérubin S'il n'y a pas d'issue? Suzanne Après la rencontre de tantôt, il vous écraserait, et nous serions perdues. Courez conter à Figaro... Chérubin La fenêtre du jardin n'est peut-être pas bien haute. Il court y regarder. Suzanne, avec effroi. Un grand étage! impossible! Ah! ma pauvre maÃtresse! Et mon mariage, ô ciel! Chérubin revient. Elle donne sur la melonnière; quitte à gâter une couche ou deux. Suzanne le retient et s'écrie. Il va se tuer! Chérubin, exalté. Dans un gouffre allumé, Suzon! oui, je m'y jetterais plutôt que de lui nuire... Et ce baiser va me porter bonheur. Il l'embrasse et court sauter par la fenêtre. Scène XV Suzanne seule, un cri de frayeur. Ah!... Elle tombe assise un moment. Elle va péniblement regarder à la fenêtre et revient. Il est déjà bien loin. Oh! le petit garnement! aussi leste que joli! si celui-là manque de femmes... Prenons sa place au plus tôt. En entrant dans le cabinet. Vous pouvez à présent, monsieur le Comte, rompre la cloison, si cela vous amuse; au diantre qui répond un mot! Elle s'y enferme. Scène XVI Le Comte, La Comtesse rentrent dans la chambre. Le Comte, une pince à la main qu'il jette sur le fauteuil. Tout est bien comme je l'ai laissé. Madame, en m'exposant à briser cette porte, réfléchissez aux suites encore une fois, voulez-vous l'ouvrir? La Comtesse Eh! monsieur, quelle horrible humeur peut altérer ainsi les égards entre deux époux? Si l'amour vous dominait au point de vous inspirer ces fureurs, malgré leur déraison, je les excuserais; j'oublierais peut-être, en faveur du motif, ce qu'elles ont d'offensant pour moi. Mais la seule vanité peut-elle jeter dans cet excès un galant homme? Le Comte Amour ou vanité, vous ouvrirez la porte; ou je vais à l'instant... La Comtesse, au-devant. Arrêtez, monsieur, je vous prie! Me croyez-vous capable de manquer à ce que je me dois? Le Comte Tout ce qu'il vous plaira, madame; mais je verrai qui est dans ce cabinet. La Comtesse, effrayée. Hé bien, monsieur, vous le verrez. Ecoutez-moi... tranquillement. Le Comte Ce n'est donc pas Suzanne? La Comtesse, timidement. Au moins n'est-ce pas non plus une personne... dont vous deviez rien redouter... Nous disposions une plaisanterie... bien innocente, en vérité, pour ce soir; et je vous jure... Le Comte Et vous me jurez?... La Comtesse Que nous n'avions pas plus dessein de vous offenser l'un que l'autre. Le Comte, vite. L'un que l'autre? C'est un homme. La Comtesse Un enfant, monsieur. Le Comte Hé! qui donc? La Comtesse A peine osé-je le nommer! Le Comte, furieux. Je le tuerai. La Comtesse Grands dieux! Le Comte Parlez donc! La Comtesse Ce jeune... Chérubin... Le Comte Chérubin! l'insolent! Voilà mes soupçons et le billet expliqués. La Comtesse, joignant les mains. Ah! monsieur! gardez de penser... Le Comte, frappant du pied, à part. Je trouverai partout ce maudit page! Haut. Allons, madame, ouvrez; je sais tout maintenant. Vous n'auriez pas été si émue, en le congédiant ce matin; il serait parti quand je l'ai ordonné; vous n'auriez pas mis tant de fausseté dans votre conte de Suzanne, il ne se serait pas si soigneusement caché, s'il n'y avait rien de criminel. La Comtesse Il a craint de vous irriter en se montrant. Le Comte, hors de lui, crie au cabinet. Sors donc, petit malheureux! La Comtesse le prend à bras-le-corps, en l'éloignant. Ah! monsieur, monsieur, votre colère me fait trembler pour lui. N'en croyez pas un injuste soupçon, de grâce! et que le désordre où vous l'allez trouver... Le Comte Du désordre! La Comtesse Hélas, oui! Prêt à s'habiller en femme, une coiffure à moi sur la tête, en veste et sans manteau, le col ouvert, les bras nus il allait essayer... Le Comte Et vous vouliez garder votre chambre! Indigne épouse! ah! vous la garderez... longtemps; mais il faut avant que j'en chasse un insolent, de manière à ne plus le rencontrer nulle part. La Comtesse, se jette à genoux, les bras élevés. Monsieur le Comte, épargnez un enfant; je ne me consolerais pas d'avoir causé... Le Comte Vos frayeurs aggravent son crime. La Comtesse Il n'est pas coupable, il partait c'est moi qui l'ai fait appeler. Le Comte, furieux. Levez-vous. Otez-vous... Tu es bien audacieuse d'oser me parler pour un autre! La Comtesse Eh bien! je m'ôterai, monsieur, je me lèverai; je vous remettrai même la clef du cabinet mais, au nom de votre amour... Le Comte De mon amour, perfide! La Comtesse se lève et lui présente la clef. Promettez-moi que vous laisserez aller cet enfant sans lui faire aucun mal; et puisse, après, tout votre courroux tomber sur moi, si je ne vous convaincs pas... Le Comte, prenant la clef. Je n'écoute plus rien. La Comtesse se jette sur une bergère, un mouchoir sur les yeux. O ciel! il va périr! Le Comte ouvre la porte et recule. C'est Suzanne! Scène XVII La Comtesse, Le Comte, Suzanne. Suzanne sort en riant. Je le tuerai, je le tuerai! Tuez-le donc, ce méchant page. Le Comte, à part. Ah! quelle école! Regardant la Comtesse qui est restée stupéfaite. Et vous aussi, vous jouez l'étonnement?... Mais peut-être elle n'y est pas seule. Il entre. Scène XVIII La Comtesse, assise, Suzanne. Suzanne accourt à sa maÃtresse. Remettez-vous, madame; il est bien loin; il a fait un saut... La Comtesse Ah, Suzon, je suis morte. Scène XIX La Comtesse, assise, Suzanne, Le Comte. Le Comte sort du cabinet d'un air confus. Après un court silence. Il n'y a personne, et pour le coup j'ai tort. - Madame... vous jouez fort bien la comédie. Suzanne, gaiement. Et moi, Monseigneur? La Comtesse, son mouchoir sur la bouche, pour se remettre, ne parle pas. Le Comte s'approche. Quoi! madame, vous plaisantiez? La Comtesse, se remettant un peu. Eh pourquoi non, monsieur? Le Comte Quel affreux badinage! et par quel motif, je vous prie...? La Comtesse Vos folies méritent-elles de la pitié? Le Comte Nommer folies ce qui touche à l'honneur! La Comtesse, assurant son ton par degrés. Me suis-je unie à vous pour être éternellement dévouée à l'abandon et à la jalousie, que vous seul osez concilier? Le Comte Ah! madame, c'est sans ménagement. Suzanne Madame n'avait qu'à vous laisser appeler les gens. Le Comte Tu as raison, et c'est à moi de m'humilier... Pardon, je suis d'une confusion!... Suzanne Avouez, Monseigneur, que vous la méritez un peu! Le Comte Pourquoi donc ne sortais-tu pas lorsque je t'appelais? Mauvaise! Suzanne Je me rhabillais de mon mieux, à grand renfort d'épingles; et madame, qui me le défendait, avait bien ses raisons pour le faire. Le Comte Au lieu de rappeler mes torts, aide-moi plutôt à l'apaiser La Comtesse Non, monsieur; un pareil outrage ne se couvre point. Je vais me retirer aux Ursulines, et je vois trop qu'il en est temps. Le Comte Le pourriez-vous sans quelques regrets? Suzanne Je suis sûre, moi, que le jour du départ serait la veille des larmes. La Comtesse Eh! quand cela serait, Suzon? j'aime mieux le regretter que d'avoir la bassesse de lui pardonner; il m'a trop offensée. Le Comte Rosine!... La Comtesse Je ne la suis plus, cette Rosine que vous avez tant poursuivie! Je suis la pauvre comtesse Almaviva, la triste femme délaissée, que vous n'aimez plus. Suzanne Madame! Le Comte, suppliant. Par pitié! La Comtesse Vous n'en aviez aucune pour moi. Le Comte Mais aussi ce billet... Il m'a tourné le sang! La Comtesse Je n'avais pas consenti qu'on l'écrivÃt. Le Comte Vous le saviez? La Comtesse C'est cet étourdi de Figaro... Le Comte Il en était? La Comtesse ... qui l'a remis à Bazile. Le Comte Qui m'a dit le tenir d'un paysan. O perfide chanteur, lame à deux tranchants! C'est toi qui payeras pour tout le monde. La Comtesse Vous demandez pour vous un pardon que vous refusez aux autres voilà bien les hommes! Ah! si jamais je consentais à pardonner en faveur de l'erreur où vous a jeté ce billet, j'exigerais que l'amnistie fût générale. Le Comte Eh bien, de tout mon coeur, Comtesse. Mais comment réparer une faute aussi humiliante? La Comtesse se lève. Elle l'était pour tous deux. Le Comte Ah! dites pour moi seul. - Mais je suis encore à concevoir comment les femmes prennent si vite et si juste l'air et le ton des circonstances. Vous rougissiez, vous pleuriez, votre visage était défait... D'honneur, il l'est encore. La Comtesse, s'efforçant de sourire. Je rougissais... du ressentiment de vos soupçons. Mais les hommes sont-ils assez délicats pour distinguer l'indignation d'une âme honnête outragée, d'avec la confusion qui naÃt d'une accusation méritée? Le Comte, souriant. Et ce page en désordre, en veste et presque nu... La Comtesse, montrant Suzanne. Vous le voyez devant vous. N'aimez-vous pas mieux l'avoir trouvé que l'autre? En général vous ne haïssez pas de rencontrer celui-ci. Le Comte, riant plus fort. Et ces prières, ces larmes feintes... La Comtesse Vous me faites rire, et j'en ai peu d'envie. Le Comte Nous croyons valoir quelque chose en politique, et nous ne sommes que des enfants. C'est vous, c'est vous, madame, que le roi devrait envoyer en ambassade à Londres! Il faut que votre sexe ait fait une étude bien réfléchie de l'art de se composer, pour réussir à ce point! La Comtesse C'est toujours vous qui nous y forcez. Suzanne Laissez-nous prisonniers sur parole, et vous verrez si nous sommes gens d'honneur. La Comtesse Brisons là , monsieur le Comte. J'ai peut-être été trop loin; mais mon indulgence en un cas aussi grave doit au moins m'obtenir la vôtre. Le Comte Mais vous répéterez que vous me pardonnez. La Comtesse Est-ce que je l'ai dit, Suzon? Suzanne Je ne l'ai pas entendu, madame. Le Comte Eh bien! que ce mot vous échappe. La Comtesse Le méritez-vous donc, ingrat? Le Comte Oui, par mon repentir. Suzanne Soupçonner un homme dans le cabinet de madame! Le Comte Elle m'en a si sévèrement puni! Suzanne Ne pas s'en fier à elle, quand elle dit que c'est sa camariste! Le Comte Rosine, êtes-vous donc implacable? La Comtesse Ah! Suzon, que je suis faible! quel exemple je te donne! Tendant la main au Comte. On ne croira plus à la colère des femmes. Suzanne Bon, madame, avec eux ne faut-il pas toujours en venir là ? Le Comte baise ardemment la main de sa femme. Scène XX Suzanne, Figaro, La Comtesse, Le Comte. Figaro, arrivant tout essoufflé. On disait madame incommodée. Je suis vite accouru... je vois avec joie qu'il n'en est rien. Le Comte, sèchement. Vous êtes fort attentif. Figaro Et c'est mon devoir. Mais puisqu'il n'en est rien, Monseigneur, tous vos jeunes vassaux des deux sexes sont en bas avec les violons et les cornemuses, attendant, pour m'accompagner, l'instant où vous permettrez que je mène ma fiancée... Le Comte Et qui surveillera la Comtesse au château? Figaro La veiller! elle n'est pas malade. Le Comte Non; mais cet homme absent qui doit l'entretenir? Figaro Quel homme absent? Le Comte L'homme du billet que vous avez remis à Bazile. Figaro Qui dit cela? Le Comte Quand je ne le saurais pas d'ailleurs, fripon, ta physionomie qui t'accuse me prouverait déjà que tu mens. Figaro S'il est ainsi, ce n'est pas moi qui mens, c'est ma physionomie. Suzanne Va, mon pauvre Figaro, n'use pas ton éloquence en défaites; nous avons tout dit. Figaro Et quoi dit? Vous me traitez comme un Bazile! Suzanne Que tu avais écrit le billet de tantôt pour faire accroire à Monseigneur, quand il entrerait, que le petit page était dans ce cabinet, où je me suis enfermée. Le Comte Qu'as-tu à répondre? La Comtesse Il n'y a plus rien à cacher, Figaro; le badinage est consommé. Figaro, cherchant à deviner. Le badinage... est consommé? Le Comte Oui, consommé. Que dis-tu là -dessus? Figaro Moi! je dis... que je voudrais bien qu'on en pût dire autant de mon mariage; et si vous l'ordonnez... Le Comte Tu conviens donc enfin du billet? Figaro Puisque madame le veut, que Suzanne le veut, que vous le voulez vous-même, il faut bien que je le veuille aussi mais à votre place, en vérité, Monseigneur, je ne croirais pas un mot de tout ce que nous vous disons. Le Comte Toujours mentir contre l'évidence! A la fin, cela m'irrite. La Comtesse, en riant. Eh! ce pauvre garçon! pourquoi voulez-vous, monsieur, qu'il dise une fois la vérité? Figaro, bas à Suzanne. Je l'avertis de son danger; c'est tout ce qu'un honnête homme peut faire. Suzanne, bas. As-tu vu le petit page? Figaro, bas. Encore tout froissé. Suzanne, bas. Ah! pécaire! La Comtesse Allons, monsieur le Comte, ils brûlent de s'unir leur impatience est naturelle! Entrons pour la cérémonie. Le Comte, à part. Et Marceline, Marceline... Haut. Je voudrais être... au moins vêtu. La Comtesse Pour nos gens! Est-ce que je le suis? Scène XXI Figaro, Suzanne, La Comtesse, Le Comte, Antonio. Antonio, demi-gris, tenant un pot de giroflées écrasées. Monseigneur! Monseigneur! Le Comte Que me veux-tu, Antonio? Antonio Faites donc une fois griller les croisées qui donnent sur mes couches. On jette toutes sortes de choses par ces fenêtres et tout à l'heure encore on vient d'en jeter un homme. Le Comte Par ces fenêtres? Antonio Regardez comme on arrange mes giroflées! Suzanne, bas à Figaro. Alerte, Figaro, alerte! Figaro Monseigneur, il est gris dès le matin. Antonio Vous n'y êtes pas. C'est un petit reste d'hier. Voilà comme on fait des jugements... ténébreux. Le Comte, avec feu. Cet homme! cet homme! où est-il? Antonio Où il est? Le Comte Antonio C'est ce que je dis. Il faut me le trouver, déjà . Je suis votre domestique; il n'y a que moi qui prends soin de votre jardin; il y tombe un homme; et vous sentez... que ma réputation en est effleurée. Suzanne, bas à Figaro. Détourne, détourne! Figaro Tu boiras donc toujours? Antonio Et si je ne buvais pas, je deviendrais enragé. La Comtesse Mais en prendre ainsi sans besoin... Antonio Boire sans soif et faire l'amour en tout temps, madame, il n'y a que ça qui nous distingue des autres bêtes. Le Comte, vivement. Réponds-moi donc, ou je vais te chasser. Antonio Est-ce que je m'en irais? Le Comte Comment donc? Antonio, se touchant le front. Si vous n'avez pas assez de ça pour garder un bon domestique, je ne suis pas assez bête, moi, pour renvoyer un si bon maÃtre. Le Comte, le secoue avec colère. On a, dis-tu, jeté un homme par cette fenêtre? Antonio Oui, mon Excellence; tout à l'heure, en veste blanche, et qui s'est enfui, jarni, courant... Le Comte, impatienté. Après? Antonio J'ai bien voulu courir après; mais je me suis donné, contre la grille, une si fière gourde à la main, que je ne peux plus remuer ni pied, ni patte, de ce doigt-là . Levant le doigt. Le Comte Au moins, tu reconnaÃtrais l'homme? Antonio Oh! que oui-dà ! si je l'avais vu pourtant! Suzanne, bas à Figaro. Il ne l'a pas vu. Figaro Voilà bien du train pour un pot de fleurs! combien te faut-il, pleurard, avec ta giroflée? Il est inutile de chercher, Monseigneur, c'est moi qui ai sauté. Le Comte Comment, c'est vous! Antonio Combien te faut-il, pleurard? Votre corps a donc bien grandi depuis ce temps-là ; car je vous ai trouvé beaucoup plus moindre, et plus fluet! Figaro Certainement; quand on saute, on se pelotonne... Antonio M'est avis que c'était plutôt... qui dirait, le gringalet de page. Le Comte Chérubin, tu veux dire? Figaro Oui, revenu tout exprès, avec son cheval, de la porte de Séville, où peut-être il est déjà . Antonio Oh! non, je ne dis pas ça, je ne dis pas ça; je n'ai pas vu sauter de cheval, car je le dirais de même. Le Comte Quelle patience! Figaro J'étais dans la chambre des femmes, en veste blanche il fait un chaud!... J'attendais là , ma Suzannette, quand j'ai ouï tout à coup la voix de Monseigneur et le grand bruit qui se faisait! je ne sais quelle crainte m'a saisi à l'occasion de ce billet; et, s'il faut avouer ma bêtise, j'ai sauté sans réflexion sur les couches, où je me suis même un peu foulé le pied droit. Il frotte son pied. Antonio Puisque c'est vous, il est juste de vous rendre ce brimborion de papier qui a coulé de votre veste, en tombant. Le Comte se jette dessus. Donne-le-moi. Il ouvre le papier et le referme. Figaro, à part. Je suis pris. Le Comte, à Figaro. La frayeur ne vous aura pas fait oublier ce que contient ce papier, ni comment il se trouvait dans votre poche? Figaro, embarrassé, fouille dans ses poches et en tire des papiers. Non sûrement... Mais c'est que j'en ai tant. Il faut répondre à tout... Il regarde un des papiers. Ceci? ah! c'est une lettre de Marceline, en quatre pages; elle est belle!... Ne serait-ce pas la requête de ce pauvre braconnier en prison?... Non, la voici... J'avais l'état des meubles du petit château dans l'autre poche... Le Comte rouvre le papier qu'il tient. La Comtesse, bas à Suzanne. Ah! dieux! Suzon, c'est le brevet d'officier. Suzanne, bas à Figaro. Tout est perdu, c'est le brevet. Le Comte replie le papier. Eh bien! l'homme aux expédients, vous ne devinez pas? Antonio, s'approchant de Figaro. Monseigneur dit, si vous ne devinez pas? Figaro le repousse. Fi donc, vilain, qui me parle dans le nez! Le Comte Vous ne vous rappelez pas ce que ce peut être? Figaro A, a, a, ah! povero! ce sera le brevet de ce malheureux enfant, qu'il m'avait remis, et que j'ai oublié de lui rendre. O o, o, oh! étourdi que je suis! que fera-t-il sans son brevet? Il faut courir... Le Comte Pourquoi vous l'aurait-il remis? Figaro, embarrassé. Il... désirait qu'on y fÃt quelque chose. Le Comte regarde son papier. Il n'y manque rien. La Comtesse, bas à Suzanne. Le cachet. Suzanne, bas à Figaro. Le cachet manque. Le Comte, à Figaro. Vous ne répondez pas? Figaro C'est... qu'en effet, il y manque peu de chose. Il dit que c'est l'usage. Le Comte L'usage! l'usage! l'usage de quoi? Figaro D'y apposer le sceau de vos armes. Peut-être aussi que cela ne valait pas la peine. Le Comte rouvre le papier et le chiffonne de colère. Allons, il est écrit que je ne saurai rien. A part. C'est ce Figaro qui les mène, et je ne m'en vengerais pas! Il veut sortir avec dépit. Figaro, l'arrêtant. Vous sortez sans ordonner mon mariage? Scène XXII Bazile, Bartholo ,Marceline, Figaro, Le Comte, Gripe-Soleil, La Comtesse, Suzanne, Antonio; valets du Comte, ses vassaux. Marceline, au Comte. Ne l'ordonnez pas, Monseigneur! Avant de lui faire grâce, vous nous devez justice. Il a des engagements avec moi. Le Comte, à part. Voilà ma vengeance arrivée. Figaro Des engagements! De quelle nature? Expliquez-vous. Marceline Oui, je m'expliquerai, malhonnête! La Comtesse s'assied sur une bergère. Suzanne est derrière elle. Le Comte De quoi s'agit-il, Marceline? Marceline D'une obligation de mariage. Figaro Un billet, voilà tout, pour de l'argent prêté. Marceline, au Comte. Sous condition de m'épouser. Vous êtes un grand seigneur, le premier juge de la province... Le Comte Présentez-vous au tribunal, j'y rendrai justice à tout le monde. Bazile, montrant Marceline. En ce cas, Votre Grandeur permet que je fasse aussi valoir mes droits sur Marceline? Le Comte, à part. Ah, voilà mon fripon du billet. FIGARO Autre fou de la même espèce! Le Comte, en colère, à Bazile. Vos droits! vos droits! Il vous convient bien de parler devant moi, maÃtre sot! Antonio, frappant dans sa main. Il ne l'a, ma foi, pas manqué du premier coup c'est son nom. Le Comte Marceline, on suspendra tout jusqu'à l'examen de vos titres, qui se fera publiquement dans la grande salle d'audience. Honnête Bazile, agent fidèle et sûr, allez au bourg chercher les gens du siège. Bazile Pour son affaire? Le Comte Et vous m'amènerez le paysan du billet. Bazile Est-ce que je le connais? Le Comte Vous résistez? Bazile Je ne suis pas entré au château pour en faire les commissions. Le Comte Quoi donc? Bazile Homme à talent sur l'orgue du village, je montre le clavecin à madame, à chanter à ses femmes, la mandoline aux pages; et mon emploi surtout est d'amuser votre compagnie avec ma guitare, quand il vous plaÃt me l'ordonner. Gripe-Soleil s'avance. J'irai bien, Monsigneu, si cela vous plaira. Le Comte Quel est ton nom et ton emploi? Gripe-Soleil Je suis Gripe-Soleil, mon bon signeu; le petit patouriau des chèvres, commandé pour le feu d'artifice. C'est fête aujourd'hui dans le troupiau; et je sais ous-ce-qu'est toute l'enragée boutique à procès du pays. Le Comte Ton zèle me plaÃt; vas-y mais vous à Bazile, accompagnez monsieur en jouant de la guitare, et chantant pour amuser en chemin. Il est de ma compagnie. Gripe-Soleil, joyeux. Oh! moi, je suis de la?... Suzanne l'apaise de la main, en lui montrant la Comtesse. Bazile, surpris. Que j'accompagne Gripe-Soleil en jouant?... Le Comte C'est votre emploi. Partez ou je vous chasse. Il sort. Scène XXIII Les Acteurs précédents, excepté Le Comte. Bazile, à lui-même. Ah! je n'irai pas lutter contre le pot de fer, moi qui ne suis... Figaro Qu'une cruche. Bazile, à part. Au lieu d'aider à leur mariage, je m'en vais assurer le mien avec Marceline. A Figaro. Ne conclus rien, crois-moi, que je ne sois de retour. Il va prendre la guitare sur le fauteuil du fond. Figaro le suit. Conclure! oh! va, ne crains rien, quand même tu ne reviendrais jamais... Tu n'as pas l'air en train de chanter, veux-tu que je commence?... Allons, gai, haut la-mi-la pour ma fiancée. Il se met en marche à reculons, danse en chantant la séguedille suivante; Bazile accompagne; et tout le monde le suit. SEGUEDILLE Air noté. Je préfère à richesse La sagesse De ma Suzon, Zon, zon, zon, Zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon, zon. Aussi sa gentillesse Est maÃtresse De ma raison, Zon, zon, zon, Zon, zon, zon, Zon, zon, zon, Zon, zon, zon. Le bruit s'éloigne, on n'entend pas le reste. Scène XXIV Suzanne, La Comtesse. La Comtesse, dans sa bergère. Vous voyez, Suzanne, la jolie scène que votre étourdi m'a value avec son billet. Suzanne Ah! madame, quand je suis rentrée du cabinet, si vous aviez vu votre visage! Il s'est terni tout à coup mais ce n'a été qu'un nuage; et par degrés vous êtes devenue rouge, rouge, rouge! La Comtesse Il a donc sauté par la fenêtre? Suzanne Sans hésiter, le charmant enfant! Léger... comme une abeille! La Comtesse Ah! ce fatal jardinier! Tout cela m'a remuée au point... que je ne pouvais rassembler deux idées. Suzanne Ah! madame, au contraire; et c'est là que j'ai vu combien l'usage du grand monde donne d'aisance aux dames comme il faut, pour mentir sans qu'il y paraisse. La Comtesse Crois-tu que le Comte en soit la dupe? Et s'il trouvait cet enfant au château! Suzanne Je vais recommander de le cacher si bien... La Comtesse Il faut qu'il parte. Après ce qui vient d'arriver, vous croyez bien que je ne suis pas tentée de l'envoyer au jardin à votre place. Suzanne Il est certain que je n'irai pas non plus. Voilà donc mon mariage encore une fois... La Comtesse se lève. Attends... Au lieu d'un autre, ou de toi, si j'y allais moi-même! Suzanne Vous, madame? La Comtesse Il n'y aurait personne d'exposé... Le Comte alors ne pourrait nier... Avoir puni sa jalousie, et lui prouver son infidélité, cela serait... Allons le bonheur d'un premier hasard m'enhardit à tenter le second. Fais-lui savoir promptement que tu te rendras au jardin. Mais surtout que personne... Suzanne Ah! Figaro. La Comtesse Non, non. Il voudrait mettre ici du sien... Mon masque de velours et ma canne; que j'aille y rêver sur la terrasse. Suzanne entre dans le cabinet de toilette. Scène XXV La Comtesse, seule, Il est assez effronté, mon petit projet! Elle se retourne. Ah! le ruban! mon joli ruban! je t'oubliais! Elle le prend sur sa bergère et le roule. Tu ne me quitteras plus... tu me rappelleras la scène où ce malheureux enfant... Ah! monsieur le Comte, qu'avez-vous fait? et moi, que fais-je en ce moment? Scène XXVI La Comtesse, Suzanne. La Comtesse met furtivement le ruban dans son sein. Suzanne Voici la canne et votre loup. La Comtesse Souviens-toi que je t'ai défendu d'en dire un mot à Figaro. Suzanne, avec joie Madame, il est charmant votre projet! je viens d'y réfléchir. Il rapproche tout, termine tout, embrasse tout; et, quelque chose qui arrive, mon mariage est maintenant certain. Elle baise la main de sa maÃtresse. Elles sortent. Pendant l'entracte, des valets arrangent la salle d'audience on apporte les deux banquettes à dossier des avocats, que l'on place aux deux colis du théâtre, de façon que le passage soit libre par-derrière. On pose une estrade à deux marches dans le milieu du théâtre, vers le fond, sur laquelle on place le fauteuil du Comte. On met la table du greffier et son tabouret de côté sur le devant, et des sièges pour Brid'oison et d'autres juges, des deux côtés de l'estrade du Comte. Acte troisième Le théâtre représente une salle du château appelée salle du trône et servant de salle d'audience, ayant sur le côté une impériale en dais, et dessous, le portrait du Roi. Scène I Le Comte, Pédrille, en veste et botté, tenant un paquet cacheté. Le Comte, vite. M'as-tu bien entendu? Pédrille Excellence, oui. Il sort. Scène II Le Comte, seul, criant. Pédrille! Scène III Le Comte, Pédrille revient. Pédrille Excellence? Le Comte On ne t'a pas vu? Pédrille Ame qui vive. Le Comte Prenez le cheval barbe. Pédrille Il est à la grille du potager, tout sellé. Le Comte Ferme, d'un trait, jusqu'à Séville. Pédrille Il n'y a que trois lieues, elles sont bonnes. Le Comte En descendant, sachez si le page est arrivé. Pédrille Dans l'hôtel? Le Comte Oui; surtout depuis quel temps. Pédrille J'entends. Le Comte Remets-lui son brevet, et reviens vite. Pédrille Et s'il n'y était pas? Le Comte Revenez plus vite, et m'en rendez compte. Allez. Scène IV Le Comte, seul, marche en rêvant. J'ai fait une gaucherie en éloignant Bazile!... la colère n'est bonne à rien. - Ce billet remis par lui, qui m'avertit d'une entreprise sur la Comtesse; la camariste enfermée quand j'arrive; la maÃtresse affectée d'une terreur fausse ou vraie; un homme qui saute par la fenêtre, et l'autre après qui avoue... ou qui prétend que c'est lui... Le fil m'échappe. Il y a là -dedans une obscurité... Des libertés chez mes vassaux, qu'importe à gens de cette étoffe? Mais la Comtesse! si quelque insolent attentait... Où m'égaré-je? En vérité, quand la tête se monte, l'imagination la mieux réglée devient folle comme un rêve! - Elle s'amusait ces ris étouffés, cette joie mal éteinte! - Elle se respecte; et mon honneur... où diable on l'a placé! De l'autre part, où suis-je? cette friponne de Suzanne a-t-elle trahi mon secret?... comme il n'est pas encore le sien... Qui donc m'enchaÃne à cette fantaisie? j'ai voulu vingt fois y renoncer... Etrange effet de l'irrésolution! si je la voulais sans débat, je la désirerais mille fois moins. - Ce Figaro se fait bien attendre! il faut le sonder adroitement Figaro paraÃt dans le fond, il s'arrête et tâcher, dans la conversation que je vais avoir avec lui, de démêler d'une manière détournée s'il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne. Scène V Le Comte, Figaro. Figaro, à part. Nous y voilà . Le Comte ... S'il en sait par elle un seul mot... Figaro, à part. je m'en suis douté. Le Comte ... Je lui fais épouser la vieille. Figaro, à part, Les amours de monsieur Bazile? Le Comte ... Et voyons ce que nous ferons de la jeune. Figaro, à part. Ah! ma femme, s'il vous plaÃt. Le Comte, se retourne. Hein? quoi? qu'est-ce que c'est? Figaro s'avance. Moi, qui me rends à vos ordres. Le Comte Et pourquoi ces mots?... Figaro Je n'ai rien dit. Le Comte répète. Ma femme, s'il vous plaÃt? Figaro C'est... la fin d'une réponse que je faisais allez le dire à ma femme, s'il vous plaÃt. Le Comte se promène. Sa femme!... Je voudrais bien savoir quelle affaire peut arrêter monsieur, quand je le fais appeler? Figaro, feignant d'assurer son habillement. Je m'étais sali sur ces couches en tombant; je me changeais. Le Comte Faut-il une heure? Figaro Il faut le temps. Le Comte Les domestiques ici... sont plus longs à s'habiller que les maÃtres! Figaro C'est qu'ils n'ont point de valets pour les y aider. Le Comte Je n'ai pas trop compris ce qui vous avait forcé tantôt de courir un danger inutile, en vous jetant... Figaro Un danger! on dirait que je me suis engouffré tout vivant... Le Comte Essayez de me donner le change en feignant de le prendre, insidieux valet! Vous entendez fort bien que ce n'est pas le danger qui m'inquiète, mais le motif. Figaro Sur un faux avis, vous arrivez furieux, renversant tout, comme le torrent de la Morena; vous cherchez un homme, il vous le faut, ou vous allez briser les portes, enfoncer les cloisons! Je me trouve là par hasard qui sait dans votre emportement si... Le Comte, interrompant. Vous pouviez fuir par l'escalier. Figaro Et vous, me prendre au corridor. Le Comte, en colère. Au corridor! A part. Je m'emporte, et nuis à ce que je veux savoir. Figaro, à part. Voyons-le venir, et jouons serré. Le Comte, radouci. Ce n'est pas ce que je voulais dire; laissons cela. J'avais... oui, j'avais quelque envie de t'emmener à Londres courrier de dépêches... mais, toutes réflexions faites... Figaro Monseigneur a changé d'avis? Le Comte Premièrement, tu ne sais pas l'anglais. Figaro Je sais God-dam. Le Comte Je n'entends pas. Figaro Je dis que je sais God-dam. Le Comte Hé bien? Figaro Diable! c'est une belle langue que l'anglais! il en faut peu pour aller loin. Avec God-dam, en Angleterre, on ne manque de rien nulle part, - Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras? entrez dans une taverne, et faites seulement ce geste au garçon. Il tourne la broche. God-dam! on vous apporte un pied de boeuf salé, sans pain. C'est admirable! Aimez-vous à boire un coup d'excellent bourgogne ou de clairet? rien que celui-ci. Il débouche une bouteille. God-dam! on vous sert un pot de bière, en bel étain, la mousse aux bords. Quelle satisfaction! Rencontrez-vous une de ces jolies personnes qui vont trottant menu, les yeux baissés, coudes en arrière, et tortillant un peu des hanches? mettez mignardement tous les doigts unis sur la bouche. Ah! God-dam! elle vous sangle un soufflet de crocheteur preuve qu'elle entend. Les Anglais, à la vérité, ajoutent par-ci, par-là , quelques autres mots en conversant; mais il est bien aisé de voir que God-dam est le fond de la langue; et si Monseigneur n'a pas d'autre motif de me laisser en Espagne... Le Comte, à part. Il veut venir à Londres; elle n'a pas parlé. Figaro, à part. Il croit que je ne sais rien; travaillons-le un peu dans son genre. Le Comte Quel motif avait la Comtesse pour me jouer un pareil tour? Figaro Ma foi, Monseigneur, vous le savez mieux que moi. Le Comte Je la préviens sur tout, et la comble de présents. Figaro Vous lui donnez, mais vous êtes infidèle. Sait-on gré du superflu à qui nous prive du nécessaire? Le Comte ... Autrefois tu me disais tout. Figaro Et maintenant je ne vous cache rien. Le Comte Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association? Figaro Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur? Tenez, Monseigneur, n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet. Le Comte Pourquoi faut-il qu'il y ait toujours du louche en ce que tu fais? Figaro C'est qu'on en voit partout quand on cherche des torts. Le Comte Une réputation détestable! Figaro Et si je vaux mieux qu'elle? Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant? Le Comte Cent fois je t'ai vu marcher à la fortune, et jamais aller droit. Figaro Comment voulez-vous? la foule est là chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est écrasé, Aussi c'est fait; pour moi, j'y renonce. Le Comte A la fortune? A part. Voici du neuf. Figaro, à part. A mon tour maintenant. Haut. Votre Excellence m'a gratifié de la conciergerie du château; c'est un fort joli sort à la vérité, je ne serai pas le courrier étrenné des nouvelles intéressantes; mais, en revanche, heureux avec ma femme au fond de l'Andalousie... Le Comte Qui t'empêcherait de l'emmener à Londres? Figaro Il faudrait la quitter si souvent, que j'aurais bientôt du mariage par-dessus la tête. Le Comte Avec du caractère et de l'esprit, tu pourrais un jour t'avancer dans les bureaux. Figaro De l'esprit pour s'avancer? Monseigneur se rit du mien. Médiocre et rampant, et l'on arrive à tout. Le Comte Il ne faudrait qu'étudier un peu sous moi la politique. Figaro Je la sais. Le Comte Comme l'anglais, le fond de la langue! Figaro Oui, s'il y avait ici de quoi se vanter. Mais feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend; surtout de pouvoir au-delà de ses forces; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point; s'enfermer pour tailler des plumes, et paraÃtre profond quand on n'est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des traÃtres; amollir des cachets, intercepter des lettres, et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets voilà toute la politique, ou je meure! Le Comte Eh! c'est l'intrigue que tu définis! Figaro La politique, l'intrigue, volontiers; mais, comme je les crois un peu germaines, en fasse qui voudra! J'aime mieux ma mie, ô gué! comme dit la chanson du bon Roi. Le Comte, à part. Il veut rester. J'entends... Suzanne m'a trahi. Figaro, à part. Je l'enfile, et le paye en sa monnaie. Le Comte Ainsi tu espères gagner ton procès contre Marceline? Figaro Me feriez-vous un crime de refuser une vieille fille, quand Votre Excellence se permet de nous souffler toutes les jeunes! Le Comte, raillant. Au tribunal le magistrat s'oublie, et ne voit plus que l'ordonnance. Figaro Indulgente aux grands, dure aux petits... Le Comte Crois-tu donc que je plaisante? Figaro Eh! qui le sait, Monseigneur? Tempo è galant'uomo, dit l'Italien; il dit toujours la vérité c'est lui qui m'apprendra qui me veut du mal, ou du bien. Le Comte, à part. Je vois qu'on lui a tout dit; il épousera la duègne. Figaro, à part. Il a joué au fin avec moi, qu'a-t-il appris? Scène VI Le Comte, un laquais, Figaro. Le laquais, annonçant. Dom Gusman Brid'oison. Le Comte Brid'oison? Figaro Eh! sans doute. C'est le juge ordinaire, le lieutenant du siège, votre prud'homme. Le Comte Qu'il attende. Le laquais sort. Scène VII Le Comte, Figaro. Figaro reste un moment à regarder le Comte qui rêve. ... Est-ce là ce que Monseigneur voulait? Le Comte, revenant à lui. Moi?... je disais d'arranger ce salon pour l'audience publique. Figaro Hé! qu'est-ce qu'il manque? Le grand fauteuil pour vous, de bonnes chaises aux prud'hommes, le tabouret du greffier, deux banquettes aux avocats, le plancher pour le beau monde et la canaille derrière. Je vais renvoyer les frotteurs. Il sort. Scène VIII Le Comte, seul. Le maraud m'embarrassait! en disputant, il prend son avantage, il vous serre, vous enveloppe... Ah! friponne et fripon, vous vous entendez pour me jouer? Soyez amis, soyez amants, soyez ce qu'il vous plaira, j'y consens; mais parbleu, pour époux... Scène IX Suzanne, Le Comte. Suzanne, essoufflée. Monseigneur... pardon, Monseigneur. Le Comte, avec humeur. Qu'est-ce qu'il y a, mademoiselle? Suzanne Vous êtes en colère? Le Comte Vous voulez quelque chose apparemment? Suzanne, timidement. C'est que ma maÃtresse a ses vapeurs. J'accourais vous prier de nous prêter votre flacon d'éther. Je l'aurais rapporté dans l'instant, Le Comte, le lui donne. Non, non, gardez-le pour vous-même. Il ne tardera pas à vous être utile. Suzanne Est-ce que les femmes de mon état ont des vapeurs, donc? C'est un mal de condition, qu'on ne prend que dans les boudoirs. Le Comte Une fiancée bien éprise, et qui perd son futur... Suzanne En payant Marceline avec la dot que vous m'avez promise... Le Comte Que je vous ai promise, moi? Suzanne, baissant les yeux. Monseigneur, j'avais cru l'entendre. Le Comte Oui, si vous consentiez à m'entendre vous-même. Suzanne, les yeux baissés. Et n'est-ce pas mon devoir d'écouter Son Excellence? Le Comte Pourquoi donc, cruelle fille, ne me l'avoir pas dit plus tôt? Suzanne Est-il jamais trop tard pour dire la vérité? Le Comte Tu te rendrais sur la brune au jardin? Suzanne Est-ce que je ne m'y promène pas tous les soirs? Le Comte Tu m'as traité ce matin si durement! Suzanne Ce matin? - Et le page derrière le fauteuil? Le Comte Elle a raison, je l'oubliais... Mais pourquoi ce refus obstiné quand Bazile, de ma part?... Suzanne Quelle nécessité qu'un Bazile...? Le Comte Elle a toujours raison. Cependant il y a un certain Figaro à qui je crains bien que vous n'ayez tout dit! Suzanne Dame! oui, je lui dis tout... hors ce qu'il faut lui taire, Le Comte, en riant. Ah! charmante! Et tu me le promets? Si tu manquais à ta parole, entendons-nous, mon coeur point de rendez-vous, point de dot, point de mariage. Suzanne, faisant la révérence. Mais aussi point de mariage, point de droit du seigneur, Monseigneur. Le Comte Où prend-elle ce qu'elle dit? d'honneur j'en raffolerai! Mais ta maÃtresse attend le flacon... Suzanne, riant et rendant le flacon. Aurais-je pu vous parler sans un prétexte? Le Comte veut l'embrasser Délicieuse créature! Suzanne s'échappe. Voilà du monde. Le Comte, à part. Elle est à moi. Il s'enfuit. Suzanne Allons vite rendre compte à madame. Scène X Suzanne, Figaro. Figaro Suzanne, Suzanne! où cours-tu donc si vite en quittant Monseigneur? Suzanne Plaide à présent, si tu le veux; tu viens de gagner ton procès. Elle s'enfuit. Figaro la suit. Ah! mais, dis donc... Scène XI Le Comte rentre seul. Tu viens de gagner ton procès! - Je donnais là dans un bon piège! O mes chers insolents! je vous punirai de façon... Un bon arrêt, bien juste... Mais s'il allait payer la duègne... Avec quoi... S'il payait... Eeeeh! n'ai-je pas le fier Antonio, dont le noble orgueil dédaigne en Figaro un inconnu pour sa nièce? En caressant cette manie... Pourquoi non? dans le vaste champ de l'intrigue il faut savoir tout cultiver, jusqu'à la vanité d'un sot. Il appelle. Anto... Il voit entrer Marceline, etc. Il sort. Scène XII Bartholo, Marceline, Brid'oison Marceline, à Brid'oison. Monsieur, écoutez mon affaire. Brid'oison, en robe, et bégayant un peu. Eh bien! pa-arlons-en verbalement. Bartholo C'est une promesse de mariage, Marceline Accompagnée d'un prêt d'argent. Brid'oison J'en-entends, et caetera, le reste. Marceline Non, monsieur, point d'et caetera. Brid'oison J'en-entends vous avez la somme? Marceline Non, monsieur; c'est moi qui l'ai prêtée. Brid'oison J'en-entends bien, vou-ous redemandez l'argent? Marceline Non, monsieur; je demande qu'il m'épouse. Brid'oison Eh! mais, j'en-entends fort bien; et lui veu-eut-il vous épouser? Marceline Non, monsieur; voilà tout le procès! Brid'oison Croyez-vous que je ne l'en-entende pas, le procès? Marceline Non, monsieur. A Bartholo. Où sommes-nous? A Brid'oison. Quoi! c'est vous qui nous jugerez? Brid'oison Est-ce que j'ai a-acheté ma charge pour autre chose? Marceline, en soupirant. C'est un grand abus que de les vendre! Brid'oison Oui; l'on-on ferait mieux de nous les donner pour rien. Contre qui plai-aidez-vous? Scène XIII Bartholo, Marceline, Brid'oison. Figaro rentre en se frottant les mains. Marceline, montrant Figaro. Monsieur, contre ce malhonnête homme. Figaro, très gaiement, à Marceline. Je vous gêne peut-être. - Monseigneur revient dans l'instant, monsieur le conseiller. Brid'oison J'ai vu ce ga-arçon-là quelque part. Figaro Chez madame votre femme, à Séville, pour la servir, Monsieur le conseiller. Brid'oison Dan-ans quel temps? Figaro Un peu moins d'un an avant la naissance de monsieur votre fils le cadet, qui est un bien joli enfant, je m'en vante. Brid'oison Oui, c'est le plus jo-oli de tous. On dit que tu-u fais ici des tiennes? Figaro Monsieur est bien bon. Ce n'est là qu'une misère. Brid'oison Une promesse de mariage! A-ah! le pauvre benêt! Figaro Monsieur... Brid'oison A-t-il vu mon-on secrétaire, ce bon garçon; Figaro N'est-ce pas Double-Main, le greffier? Brid'oison Oui; c'è-est qu'il mange à deux râteliers. Figaro Manger! je suis garant qu'il dévore. Oh! que oui, je l'ai vu pour l'extrait et pour le supplément d'extrait; comme cela se pratique, au reste. Brid'oison On-on doit remplir les formes. Figaro Assurément, monsieur; si le fond des procès appartient aux plaideurs, on sait bien que la forme est le patrimoine des tribunaux. Brid'oison Ce garçon-là n'è-est pas si niais que je l'avais cru d'abord. Hé bien, l'ami, puisque tu en sais tant, nou-ous aurons soin de ton affaire. Figaro Monsieur, je m'en rapporte à votre équité, quoique vous soyez de notre justice. Brid'oison Hein?... Oui, je suis de la-a justice. Mais si tu dois, et que tu-u ne payes pas?... Figaro Alors monsieur voit bien que c'est comme si je ne devais pas. Brid'oison San-ans doute. - Hé! mais qu'est-ce donc qu'il dit? Scène XIV Bartholo, Marceline, Le Comte, Brid'oison, Figaro, un huissier. L'huissier, précédant le Comte, crie. Monseigneur, messieurs. Le Comte En robe ici, seigneur Brid'oison! Ce n'est qu'une affaire domestique l'habit de ville était trop bon. Brid'oison C'è-est vous qui l'êtes, monsieur le Comte. Mais je ne vais jamais san-ans elle, parce que la forme, voyez-vous, la forme! Tel rit d'un juge en habit court, qui-i tremble au seul aspect d'un procureur en robe. La forme, la-a forme! Le Comte, à l'huissier. Faites entrer l'audience. L'huissier va ouvrir en glapissant. L'audience! Scène XV Les Acteurs précédents, Antonio, Les Valets du château, les paysans et paysannes en habits de fête; Le Comte s'assied sur le grand fauteuil; Brid'oison, sur une chaise à côté; Le Greffier, sur le tabouret derrière sa table; Les Juges, Les Avocats, sur les banquettes; Marceline, à côté de Bartholo; Figaro, sur l'autre banquette; Les Paysans et Valets, debout derrière. Brid'oison, à Double-Main. Double-Main, a-appelez les causes. Double-Main lit un papier. "Noble, très noble, infiniment noble, don Pedro George, hidalgo, baron de Los Altos, y Montes Fieros, y Otros Montes; contre Alonzo Calderon, jeune auteur dramatique. Il est question d'une comédie mort-née, que chacun désavoue et rejette sur l'autre." Le Comte Ils ont raison tous deux. Hors de cour. S'ils font ensemble un autre ouvrage, pour qu'il marque un peu dans le grand monde, ordonné que le noble y mettra son nom, le poète son talent. Double-Main lit un autre papier. "André Pétrutebio, laboureur; contre le receveur de la province." Il s'agit d'un forcement arbitraire. Le Comte L'affaire n'est pas de mon ressort. Je servirai mieux mes vassaux en les protégeant près du Roi. Passez. Double-Main en prend un troisième. Bartholo et Figaro se lèvent. "Barbe - Agar - Raab - Magdelaine - Nicole - Marceline de Verte-Allure, fille majeure Marceline se lève et salue; contre Figaro..." Nom de baptême en blanc? Figaro Brid'oison A-anonyme! Què-el patron est-ce là ? Figaro C'est le mien. Double-Main écrit. Contre anonyme Figaro. Qualités? Figaro Le Comte Vous êtes gentilhomme? Le greffier écrit. Figaro Si le ciel l'eût voulu, je serais fils d'un prince Le Comte, au greffier. L'Huissier, glapissant. Silence! messieurs. Double-Main lit. "... Pour cause d'opposition faite au mariage dudit Figaro par ladite de Verte-Allure. Le docteur Bartholo plaidant pour la demanderesse, et ledit Figaro pour lui-même, si la cour le permet, contre le voeu de l'usage et la jurisprudence du siège." Figaro L'usage, maÃtre Double-Main, est souvent un abus. Le client un peu instruit sait toujours mieux sa cause que certains avocats, qui, suant à froid, criant à tue-tête, et connaissant tout, hors le fait, s'embarrassent aussi peu de ruiner le plaideur que d'ennuyer l'auditoire et d'endormir messieurs plus boursouflés après que s'ils eussent composé l'Oratio pro Murena. Moi, je dirai le fait en peu de mots. Messieurs... Double-Main En voilà beaucoup d'inutiles, car vous n'êtes pas demandeur, et n'avez que la défense. Avancez, docteur, et lisez la promesse. Figaro Oui, promesse! Bartholo, mettant ses lunettes. Elle est précise. Brid'oison I-il faut la voir. Double-Main Silence donc, messieurs! L'Huissier, glapissant. Silence! Bartholo lit. "Je soussigné reconnais avoir reçu de damoiselle, etc. Marceline de Verte-Allure dans le château d'Aguas-Frescas, la somme de deux mille piastres fortes cordonnées, laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château; et je l'épouserai, par forme de reconnaissance, etc. Signé Figaro, tout court." Mes conclusions sont au paiement du billet et à l'exécution de la promesse, avec dépens. Il plaide. Messieurs... jamais cause plus intéressante ne fut soumise au jugement de la cour; et, depuis Alexandre le Grand, qui promit mariage à la belle Thalestris... Le Comte, interrompant. Avant d'aller plus loin, avocat, convient-on de la validité du titre? Brid'oison, à Figaro. Qu'oppo... qu'oppo-osez-vous à cette lecture? Figaro Qu'il y a, messieurs, malice, erreur ou distraction dans la manière dont on a lu la pièce, car il n'est pas dit dans l'écrit "laquelle somme je lui rendrai, ET je l'épouserai," mais "laquelle somme je lui rendrai, OU je l'épouserai"; ce qui est bien différent. Le Comte Y a-t-il ET dans l'acte, ou bien OU? Bartholo Il y a ET. Figaro Il y a OU. Brid'oison Dou-ouble-Main, lisez vous-même. Double-Main, prenant le papier. Et c'est le plus sûr; car souvent les parties déguisent en lisant. Il lit. "E, e, e, Damoiselle e, e, e, de Verte-Allure, e, e, e, Ha! laquelle somme je lui rendrai à sa réquisition, dans ce château... ET... OU... ET... OU..." Le mot est si mal écrit... il y a un pâté. Brid'oison Un pâ-âté? je sais ce que c'est. Bartholo, plaidant. Je soutiens, moi, que c'est la conjonction copulative ET qui lie les membres corrélatifs de la phrase; je payerai la demoiselle, ET je l'épouserai. Figaro, plaidant. Je soutiens, moi, que c'est la conjonction alternative OU qui sépare lesdits membres; je payerai la donzelle, OU je l'épouserai. A pédant, pédant et demi. Qu'il s'avise de parler latin, j'y suis grec; je l'extermine. Le Comte Comment juger pareille question? Bartholo Pour la trancher, messieurs, et ne plus chicaner sur un mot, nous passons qu'il y ait OU. Figaro J'en demande acte. Bartholo Et nous y adhérons
Soutien Rythmique et Théorique en Vidéo sur la version Club. Refrain Do1/2 Sol1/2 Lam Aimer à perdre la raison Fa Rém Aimer à n'en savoir que dire Do Sol A n'avoir que toi d'horizon Rém Lam2 Et ne connaître de saisons Fa Que par la douleur du partir, Do2 Dom Aimer à perdre la raison. Dom2 et 1/2 Ah, c'est toujours toi que l'on blesse Fam1/2 C'est toujours ton miroir brisé Fam1/2 Sib1/2 Mib Mon pauvre bonheur ma faiblesse Fam1/2 Sol1/2 Sol Toi qu'on insulte et qu'on délaisse Fam1/2 Sol1/2 Sol Dans toute chair martyrisée. Refrain La faim, la fatigue et le froid, Toutes les misères du monde, C'est par mon amour que j'y crois En elles je porte ma croix Et de leurs nuits ma nuit se fonde. Refrain Amour et bonheur d'autres sortes Ils tremblent l'hiver et l'été Toujours la main dans une porte Le coeur comme une feuille morte Et les lèvres ensanglantées Refrain [Haut de page] - [Version Imprimante]
aimer a perdre la raison guitare